Malgré les interventions des autorités, les banques régionales américaines restent sous pression et une vénérable institution helvétique semble avoir perdu la confiance des investisseurs. Retour sur les plus récents évènements.

Depuis l’intervention concertée des autorités américaines le week-end dernier, pourquoi le calme n’est-il pas revenu dans le secteur bancaire ?

Des banques d’envergure régionale (il y en a plus de 4000 aux États-Unis) demeurent sous pression. L’exode des dépôts se poursuit malgré les assurances des dirigeants que le système bancaire est solide. Les déposants, surtout ceux qui ont des dépôts supérieurs à 250 000 $ US, retirent leur argent. Les dépôts de 250 000 $ US et moins sont assurés par l’assurance-dépôts américaine (FDIC pour Federal Deposit Insurance Corporation). Reuters, citant Goldman Sachs, indique que les dépôts ont quitté les coffres des banques américaines pour se diriger vers les fonds du marché monétaire, des titres du Trésor de courte échéance très sécuritaires. De son côté, le réseau ABC rapportait que Wells Fargo (1700 milliards d’actifs, 4e banque américaine en importance) a enregistré des dépôts nets cette semaine, sans doute en provenance de clients de banques régionales.

Que s’est-il passé à compter du 8 mars ?

Deux banques régionales, la Silicon Valley Bank (SVB), en Californie, et la Signature Bank, à New York, ont dû fermer leurs portes à la suite d’une panique bancaire. Les clients s’y sont rués pour retirer leur argent, et les institutions ont manqué de fonds. La FDIC a pris le contrôle des banques. La fin de semaine dernière, le Trésor, la FDIC et la Réserve fédérale (Fed) ont convenu de couvrir la totalité des dépôts des deux institutions (même ceux non assurés), et la Fed a convenu d’offrir une facilité de crédit en acceptant comme garantie des actifs déprimés comme des obligations du gouvernement américain. La crise a été causée par la montée abrupte des taux d’intérêt depuis un an qui a fait chuter la valeur des actifs financiers comme les obligations. (Le prix des obligations évolue en sens inverse des taux d’intérêt.) Pendant la pandémie, la SVB avait acheté beaucoup d’obligations du gouvernement américain avec l’argent qu’elle recevait de ses déposants issus du milieu de la techno. Les obligations ayant perdu de la valeur avec la montée des taux d’intérêt, quand les déposants ont commencé à réclamer leur argent la semaine dernière, il en manquait dans les coffres des deux banques et le mot s’est répandu.

On s’inquiétait aussi pour First Republic Bank de San Francisco. Où en sommes-nous une semaine plus tard ?

Jeudi, First Republic a reçu des dépôts de 30 milliards US de la part de 11 grandes institutions financières. Avec cet argent, elle peut rembourser ses clients qui réclament leur argent sans avoir à vendre des actifs déprimés comme des obligations du gouvernement américain. First Republic est une banque régionale de taille comparable à la SVB, avec laquelle elle partage la caractéristique d’avoir une base concentrée de clients en moyens.

PHOTO BRENDAN MCDERMID, REUTERS

Depuis le 8 mars, 80 % de la valorisation boursière de First Republic Bank s’est évaporée.

Donc, tout risque de débâcle est écarté ?

Pas si on se fie au marché boursier. L’action de First Republic Bank perdait encore 30 % de sa valeur vendredi. Depuis le 8 mars, 80 % de sa valorisation boursière s’est évaporée. « Lorsqu’un évènement extrême affecte le système financier ou une économie majeure, comme l’effondrement de la SVB, qui a ébranlé le système bancaire régional américain et pesé sur les marchés boursiers du monde entier, il faut généralement plus de quelques jours aux marchés pour s’en remettre », écrivent les économistes Claire Fan et Carrie Freestone, de la Banque Royale, dans une note aux clients. Les répercussions et la volatilité peuvent s’étaler sur des semaines et s’étendre à d’autres régions géographiques, comme on a pu le constater avec les déboires de Credit Suisse.

Que s’est-il passé avec Credit Suisse ?

L’institution fondée en 1856 est aux prises avec des enjeux qui lui sont propres et qui sont connus par le marché. Son action est sous pression depuis le début de 2021. « Après l’apparition de tensions dans le système bancaire régional américain, qui ont ébranlé de nombreuses actions et obligations bancaires aux États-Unis et en Europe, la situation de Credit Suisse s’est encore détériorée, entraînant une nouvelle chute des actions bancaires et des marchés boursiers dans le monde entier », résument les économistes de la Royale. Mardi, Credit Suisse a reconnu « des défaillances importantes » dans son évaluation des risques. Mercredi, la Banque Nationale d’Arabie saoudite, actionnaire important de Credit Suisse, rejetait l’idée d’y injecter des capitaux. Principal concurrent de Credit Suisse, UBS est en pourparlers pour le rachat de son rival en difficulté, avec l’appui des autorités réglementaires suisses, affirmait vendredi le Financial Times.

La situation s’est-elle calmée ?

Il faudra voir. Le titre de Credit Suisse perdait vendredi 8 % de sa valeur à la Bourse de New York. « Les inquiétudes des investisseurs portent sur la viabilité d’un projet de scission de la division Investissement, afin de se concentrer sur ses activités domestiques et de gestion de patrimoine », rapportait The Telegraph de Londres.

Quels sont les impacts de tout ce brouhaha pour nous ?

Les impacts risquent de se faire sentir dans la politique monétaire de la Fed. À ce propos, l’analyse du Mouvement Desjardins n’est guère réjouissante. « [L]es décideurs politiques doivent l’admettre : l’histoire qu’ils ont racontée était fausse », a écrit vendredi dans une note Royce Mendes, directeur général et chef de la stratégie macroéconomique. « Au lieu d’atteindre son objectif de stabilité des prix sans troubler les marchés et l’économie, la Fed échoue maintenant dans deux de ses trois mandats. L’inflation demeure trop élevée, et le système financier est désormais en difficulté. La semaine prochaine, la Fed aura la tâche peu enviable de devoir pondérer à la fois l’instabilité financière et l’inflation excessive. » Il entrevoit une hausse de 25 points de taux d’intérêt, tout comme Mathieu Marchand, économiste indépendant de Québec. « En injectant des milliards dans les banques américaines sous forme de prêts [300 milliards US en une semaine, a indiqué la Fed vendredi], la Fed revient à imprimer de l’argent à nouveau au moment où elle doit lutter contre l’inflation », souligne M. Marchand.