Les experts s’entendent pour dire qu’il y aura peu d’impacts sur notre système bancaire

(Secoué aux États-Unis par la faillite soudaine de la Silicon Valley Bank, qui a forcé une intervention fédérale, le secteur bancaire est encore solide au Canada, malgré quelques notes pessimistes. ) Les banques canadiennes, à l’exception de la Scotia, ont signé lundi une troisième séance boursière négative consécutive. Dans le cas de la CIBC, de la TD, de la BMO et de la Laurentienne, la séquence négative s’étire maintenant à six. Le pessimisme va au-delà des craintes liées aux récents déboires des banques américaines, mais ces déboires accentuent la nervosité.

Les valorisations du milieu bancaire canadien reflétaient déjà une légère récession avant que les ennuis de la Silicon Valley Bank fassent les manchettes la semaine dernière.

Il y a toujours des raisons de s’inquiéter dans le marché, peu importe le moment de l’année, lance le stratège Stéphane Rochon, de la BMO.

« Les banques canadiennes sont parmi les plus conservatrices au monde et certainement plus conservatrices que les banques américaines. Et elles sont très bien capitalisées. Au Canada, les dépôts sont garantis par le gouvernement fédéral. Il n’y a pas de meilleure garantie », dit-il.

Non seulement l’échec de la Silicon Valley Bank ne devrait pas avoir d’implications négatives significatives pour nos banques, croit Meny Grauman, analyste chez Scotia Capital, mais cette crise devrait en fait être considérée comme une preuve supplémentaire de l’efficacité du modèle bancaire canadien, dominé par un petit nombre de grandes banques diversifiées.

« La grande leçon à tirer de l’effondrement de la Silicon Valley Bank est que le secteur bancaire américain doit devenir plus canadien », soutient-il.

« Et c’est ce que nous verrons probablement de toute façon – que les régulateurs soient d’accord ou non – au fur et à mesure que les dépôts se déplacent de plus en plus vers les grandes institutions », précise cet expert.

À première vue, l’analyste Darko Mihelic, chez RBC, croit que la défaillance de la Silicon Valley Bank est idiosyncrasique et qu’il est peu probable qu’elle entraîne une contagion au système financier dans son ensemble.

« Largement à l’abri »

Son collègue Mike Rizvanovic, de la firme Keefe, Bruyette & Woods, tente lui aussi de se montrer rassurant. « Bien que l’effondrement de la Silicon Valley Bank ait suscité des craintes généralisées sur les marchés mondiaux, les banques canadiennes sont largement à l’abri du type de risque qui a conduit à la faillite de la Silicon Valley Bank. »

Pour justifier son propos, Mike Rizvanovic souligne notamment la clientèle « très diversifiée » des banques canadiennes, une exposition « modeste » aux entreprises technologiques à haut risque, une augmentation moins importante des dépôts depuis le début de la pandémie (par rapport aux banques américaines), et des ratios prêts/dépôts plus élevés qui mettent en évidence une composition du financement plus favorable.

Il insiste sur le fait que les prêts liés à la technologie sont faibles pour les six grandes banques du pays. À la CIBC, par exemple, qui fournit les informations les plus détaillées sur son exposition à la technologie, il estime que les start-up à haut risque représentent environ 1 % du total des dépôts.

Par conséquent, dit-il, toute faiblesse du cours boursier des six grandes banques liée aux problèmes de la Silicon Valley Bank et à d’autres prêteurs américains moins diversifiés n’est pas justifiée.

Opportunités aux États-Unis

Pour sa part, Darko Mihelic pense que le risque perçu dans le marché pourrait se transformer en opportunité.

« Par exemple, il se peut que certains consommateurs et clients commerciaux en Californie soient touchés par une perte de liquidités et un accès réduit au crédit, et peut-être même que cet évènement constitue un risque pour l’économie californienne avec des effets d’entraînement. Mais d’un autre côté, cela peut créer des opportunités pour certaines banques de la région, y compris les banques canadiennes ayant des activités en Californie », souligne-t-il dans une note publiée lundi.

« Il est peut-être trop tôt pour que la BMO réagisse de manière agressive [pour embaucher des banquiers ou recruter des clients], car elle n’a que récemment conclu l’acquisition de la Bank of the West, mais ça reste à voir. »

Il se demande aussi si la situation aidera la TD ou lui nuira dans son projet d’acquisition de First Horizon, dont l’action a plongé lundi, laissant ainsi planer le doute sur la clôture de la transaction. « Nous continuerons de supposer que la TD est engagée dans la transaction et que l’acquisition sera finalement approuvée jusqu’à ce que les faits suggèrent le contraire, mais nous reconnaissons l’incertitude de la situation qui pourrait entraîner une certaine volatilité de l’action de la TD. »

Darko Mihelic précise ne pas voir de catalyseurs positifs à court terme pour les titres des institutions financières du pays et suggère une certaine prudence à l’égard des actions des banques canadiennes. « Les problèmes peuvent se révéler lentement », prévient-il.

Certains investisseurs peuvent être tentés de rechercher des titres « défensifs » dans le secteur, et Darko Mihelic pense notamment à celui de la Banque Nationale, dont les ratios de capital sont élevés, les liquidités, solides et l’exposition aux États-Unis, moindre. « Mais comme son évaluation est relativement élevée, nous suggérons la prudence avec toutes les banques pour le moment », dit-il.

Meny Grauman ne voit pas le signal d’une crise financière plus profonde se profiler à l’horizon, que ce soit aux États-Unis ou au Canada. « Les mesures annoncées dimanche par la Fed contribueront à garantir que cela reste le cas », affirme-t-il dans un rapport envoyé lundi à ses clients.

« Cela ne signifie toutefois pas que ce qui s’est passé vendredi n’aura pas de conséquences à plus long terme, tant pour les secteurs bancaire et technologique américains, ni que le contexte de hausse des taux d’intérêt ne posera pas de défis continus aux banques de toutes tailles au cours des prochains trimestres », prévient-il.