Le tiers de la profitabilité d’Hydro-Québec dépend du contrat d’achat d’électricité de Churchills Falls, dont la renégociation « ne sera pas simple », estime la PDG de la société d’État, Sophie Brochu.

La seule certitude, c’est que « ça coûtera plus cher », a-t-elle dit à la veille d’une première rencontre entre les premiers ministres du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador qui lance officiellement les discussions sur ce contrat conclu en 1969 et qui arrive à échéance en 2041.

Hydro-Québec achète l’électricité de Terre-Neuve à 0,2 cent le kilowattheure, soit un prix plus bas que son propre coût de production et peut la revendre aux États-Unis à des prix qui ont dépassé les 8 cents le kilowattheure en 2022, d’où l’énorme rentabilité de ce contrat pour le Québec.

Plusieurs hypothèses circulent déjà sur les moyens qu’ont François Legault et son homologue Andrew Furey pour régler, au bénéfice des deux parties, un contrat qui a profité uniquement à Hydro-Québec. « Je vous encourage tous à les laisser travailler dans le calme », a lancé Sophie Brochu aux journalistes, à l’occasion de la publication du rapport annuel de la société d’État.

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Sophie Brochu, PDG d'Hydro-Québec

La PDG d’Hydro-Québec, qui quittera son poste le mois prochain, a souligné la complémentarité des territoires du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador et l’occasion qui s’offre de mieux partager la richesse de ces territoires.

Elle dit avoir déjà noté un réchauffement des relations entre les deux propriétaires de la centrale de Churchills Falls, Hydro-Québec et son équivalent terre-neuvien, Newfoundland Labrador Hydro.

« Les équipes opérationnelles se sont rapprochées depuis deux ans », a-t-elle fait savoir, un rapprochement qu’elle explique par le changement à la tête des deux organisations. Newfoundland Labrador Hydro a depuis juin 2021 une nouvelle présidente, Jennifer Williams.

Profits : record par-dessus record

L’année 2022 a été faste pour Hydro-Québec, qui rapporte un profit record de 4,5 milliards, en hausse de 1 milliard de dollars sur les résultats de 2021, qui étaient déjà les meilleurs de l’histoire de la société d’État.

Hydro-Québec a profité de la hausse généralisée du prix de l’énergie qui a suivi l’invasion russe en Ukraine, ce qui a augmenté la rentabilité des exportations d’électricité aux États-Unis.

L’entreprise a obtenu en moyenne 8,2 cents par kilowattheure exporté sur les marchés de la Nouvelle-Angleterre, comparativement au prix moyen de 5 cents l’année précédente.

Tous les astres étaient bien alignés pour Hydro-Québec en 2022. Les ventes d’électricité au Québec ont atteint un sommet, à 180 térawattheures, en raison d’une forte demande et des températures froides de l’hiver dernier. Janvier 2022 a été le mois le plus froid depuis 2004 au Québec.

Hydro a aussi profité de la hausse du prix de l’aluminium sur les marchés internationaux, qui est venu gonfler la rentabilité des contrats à partage de risques avec les alumineries. Les ventes d’électricité au Québec ont aussi augmenté, et ont rapporté davantage avec la hausse de tarif de 2,6 % entrée en vigueur en avril 2022.

Baisse des profits en vue

Après deux années consécutives de profit record, l’année en cours se conclura sur des résultats en baisse, prévient Jean-Hugues Lafleur, vice-président et chef de la direction financière d’Hydro-Québec. Le prix du gaz naturel, qui conditionne la rentabilité des exportations, a chuté de 80 % au cours des derniers mois. Son prix, qui avait atteint 10 $US par MMBTU, a dégringolé autour de 2 $US. Les exportations rapportent déjà moins, soit 5 cents le kilowattheure depuis le début de l’année comparativement au prix moyen de 8,2 cents obtenu l’an dernier.

« On va revenir à des années normales », dit Hugues Lafleur. Il ne faudrait pas s’en inquiéter, selon Sophie Brochu. Hydro-Québec a l’avantage d’être une propriété collective qui « ne court pas après le prochain trimestre. On est capables de réfléchir dans la durée comme peu d’autres entreprises d’électricité peuvent le faire, a-t-elle observé. Et les bénéfices restent chez nous plutôt que d’aller dans les poches d’investisseurs privés ».

Pas question d’abandonner le Massachusetts

Hydro-Québec a signé deux gros contrats d’exportation à long terme totalisant 20 térawattheures avec les États de New York et du Massachusetts. Ce dernier contrat (9,5 térawattheures) s’enlise depuis des années devant les tribunaux en raison de la contestation de résidants du Maine, qui s’opposent à la construction de la ligne de transport qui passerait par leur État pour rejoindre le Massachusetts et Boston. Malgré cette impasse et malgré le fait qu’Hydro-Québec doit augmenter sa capacité de production pour répondre à la demande du marché québécois, il n’est pas question de laisser tomber le contrat avec le Massachusetts, a fait savoir Sophie Brochu. Hydro-Québec s’est engagée à fournir de l’électricité au Massachusetts et à l’intention de le faire. Sa réputation est en jeu, a-t-elle dit, en ajoutant que c’est son partenaire américain qui soutient financièrement le projet de ligne de transport, a-t-elle dit.

Si le contrat avec le Massachusetts devait avorter, Hydro-Québec a d’autres options, reconnaît-elle. Et si les deux contrats à long terme devaient se concrétiser, Hydro-Québec sera beaucoup moins présente sur les marchés de gros (marché spot), où elle a écoulé à gros profit 35 térawattheures en 2022. À long terme, Hydro fait le pari que les contrats à long terme seront plus rentables parce que le marché spot ne reconnaît pas la valeur de l’électricité renouvelable. « C’est comme vendre des tomates bio au même prix que les autres tomates », a-t-elle illustré.

Une chicane, quelle chicane ?

La décision de Sophie Brochu de quitter son poste avant la fin de son mandat continue de soulever des questions sur ses relations avec le ministre responsable de la société d’État, Pierre Fitzgibbon, et sur leurs divergences de vues sur l’avenir de l’entreprise. Mercredi, celle qui reste la PDG d’Hydro-Québec jusqu’au 11 avril a répété que son départ n’avait rien à voir avec ses relations avec le ministre. « Je ne suis en conflit avec personne », a-t-elle réitéré.

« Au risque de sonner comme un record cassé », elle a répété que son talent était comme celui d’un architecte qui fait des plans et qu’il faut quelqu’un d’autre pour construire la maison. « J’ai 60 ans, a-t-elle dit. Je vais faire autre chose, c’est le temps pour moi de réfléchir à la suite de ma propre vie. »