Le vol interne est une tare qui fait mal au commerce de détail. La Société des alcools du Québec (SAQ) n’y échappe pas. Chaque année, elle doit composer avec cette réalité. Mais l’année financière 2021-2022, au cœur de la pandémie, fait figure d’exception : 1000 bouteilles ont été volées par 10 employés. La valeur des vols totalise près de 100 000 $.

Sur les dix employés de la société d’État qui se sont fait prendre, deux avaient de grandes ambitions.

« La hausse du nombre de vols de bouteilles à l’interne pour l’année 2021-2022 s’explique notamment par des vols commis par deux de nos employés, précise la porte-parole de la SAQ, Geneviève Cormier. Ces derniers ciblaient des produits de haute valeur. Une enquête interne nous a permis d’établir que ce sont près de 750 bouteilles qui ont été subtilisées par ces employés, pour une valeur approximative de 95 000 $. Ces employés ne sont plus à [la SAQ] et une plainte au criminel a également été déposée. »

La SAQ a été avare de détails, puisque l’enquête est toujours en cours et afin de s’assurer de ne pas donner de trucs aux suivants.

Ce n’est pas la première fois que le monopole doit composer avec un tel crime : en 2007, des employés de la SAQ ont volé pour un total de 121 434 $, essentiellement des alcools haut de gamme destinés à la revente.

Durant les années subséquentes, on n’avait pas été témoin d’un coup d’une telle envergure. Jusqu’à l’année dernière.

Sans dévoiler les détails du vol, la SAQ confirme que, dans ce cas, un stratagème efficace avait été mis en place à son entrepôt et que les bouteilles sont disparues dans la nature avant que les voleurs soient épinglés. Sans dire ni où ni comment, la SAQ informe que 124 de ces bouteilles volées ont été récupérées, pour une valeur de 16 863 $.

Ce larcin, notable, a fait bondir la valeur des pertes dues au vol interne à la SAQ, un phénomène qui reste autrement relativement restreint, en général.

Geneviève Cormier explique aussi qu’il n’y a pas qu’un seul scénario de vol et que les bouteilles dérobées ne sont pas toutes destinées au recel. Certains cas impliquent un employé qui prend une seule bouteille, sans l’intention de la revendre.

La SAQ dispose d’une ligne de dénonciation confidentielle pour ses employés témoins de gestes répréhensibles de la part de leurs collègues.

Vols à l’interne

2018-2019

21 bouteilles

Valeur : 235 $

Nombre d’employés indéterminé

2019-2020

72 bouteilles

Valeur : 437 $

4 employés impliqués

2020-2021

65 bouteilles

Valeur : 13 401 $

4 employés impliqués

2021-2022

1000 bouteilles

Valeur : 97 345 $

10 employés impliqués

2022-2023 *

7 bouteilles

Valeur : 110 $

1 employé impliqué

*Chiffres de l’exercice en cours récoltés du 27 mars 2022 au 16 décembre 2022

Source : SAQ, au moyen d’une demande d’accès à l’information

Où se retrouvent ces bouteilles ?

On peut aussi noter que les employés qui ont commis des vols à la SAQ pour l’exercice 2020-2021 savaient également très bien ce qu’ils faisaient puisque la valeur moyenne de la bouteille s’élève à plus de 200 $.

« Il y a un marché noir pour tout ça », confirme la porte-parole de la SAQ.

Bien que l’achat d’alcool en ligne sur des sites d’échanges soit illégal au Québec, on peut imaginer que ça se fasse parfois. On peut plus difficilement penser que des bouteilles volées à la SAQ seront vendues à la lumière du jour ou affichées dans des canaux traditionnels au Québec.

À Montréal, chez Iegor – Hôtel des encans, par exemple, l’encanteur doit soumettre la liste des vins qui sont mis aux enchères à la SAQ. « On est sous l’autorité de la Société des alcools du Québec, confirme Laurent Berniard, commissaire-priseur de grands vins à la maison Iegor. Et nous devons suivre un protocole très strict, où nous soumettons le nom des vendeurs. »

Lors d’un encan de vin, le vendeur doit d’ailleurs verser une commission de 10 % à la SAQ, ce qui limite grandement le recel de bouteilles qui auraient été volées… à la SAQ !

Si un restaurateur décidait d’acheter des bouteilles vendues sous le manteau, il prend un réel risque puisqu’elles n’auront pas leur timbre réglementaire, obligatoire pour les restaurateurs et qui identifie chaque établissement.

Et la police fait des inspections.

C’est à l’Unité ACCES (Action concertée pour contrer les économies souterraines) que revient cette responsabilité. « Le rôle de l’Unité ACCES est de faire l’inspection systématique des endroits licenciés », explique Caroline Labelle, porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal. Si les enquêteurs mettent la main sur des bouteilles irrégulières, ils peuvent les saisir et les retourner à la SAQ.

Avec William Leclerc, La Presse