Si le passé est garant de l’avenir, Ottawa se rendra vite compte que sa taxe sur les produits de luxe – comme les jets privés – fait fausse route, conclut un nouveau rapport de l’Association des industries aérospatiales du Canada (AIAC) publié ce jeudi et que La Presse a obtenu. Mieux vaut corriger le tir avant qu’il ne soit trop tard, plaide l’organisation.

Avions privés, yachts et voitures… Les États-Unis avaient opté pour la même approche, il y a trois décennies. Le dénouement ? En août 1993, seulement deux ans après l’entrée en vigueur de la mesure, on faisait marche arrière.

« L’argument était le même, soit que les fabricants souffraient plus que les recettes générées par la taxe », souligne l’auteur du rapport, Jacques Roy, professeur de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal. La taxe ressemblait énormément à ce que l’on voit ici. »

Un article du Washington Post publié l’année où la taxe de luxe avait été abrogée au sud de la frontière témoignait des répercussions sur l’industrie. Entre le 1er janvier et le 30 juin 1992, les autorités américaines n’avaient perçu que 158 000 $ US sur les ventes d’avions privés grâce à cette taxe – une somme suffisante pour faire fonctionner le département de l’Agriculture pendant 15 minutes à l’époque.

En contrepartie, l’entreprise Beechcraft affirmait que la taxe de luxe l’avait privée de 80 ventes totalisant 130 millions US – 278 millions US en dollars d’aujourd’hui. Dans l’ensemble, Washington avait récolté 12,7 millions US (27 millions US en dollars d’aujourd’hui) pendant les 18 mois ayant suivi l’entrée en vigueur de la taxe de luxe.

La taxe américaine s’élevait à 10 % du prix de vente des voitures coûtant plus de 30 000 $ US, des bateaux coûtant plus de 100 000 $ US et des aéronefs coûtant plus de 250 000 $ US.

Une telle taxe a été mise à l’essai à d’autres endroits et l’expérience a échoué. Cette taxe fera perdre des revenus au gouvernement au lieu de lui en faire gagner.

Mike Mueller, président et chef de la direction de l’AIAC

L’Association demande que les avions d’affaires soient exclus du champ d’application de la taxe.

Longue croisade

L’AIAC s’oppose vigoureusement à la mesure annoncée au printemps 2021 par le gouvernement Trudeau et qui est en vigueur depuis le 1er septembre dernier. M. Mueller affirme que cette taxe aura un « impact négatif et préjudiciable » sur une industrie qui a été sérieusement ébranlée par la pandémie de COVID-19.

Cette « taxe sur certains biens de luxe » vise les voitures et aéronefs qui se vendent plus de 100 000 $ et les yachts qui coûtent plus de 250 000 $. Le taux varie entre 10 et 20 %. Selon le rapport, elle a déjà fait perdre des ventes supérieures à un demi-milliard puisque des ventes d’avions d’affaires (Bombardier) et d’hélicoptères (Bell Textron Canada) sont en suspens.

On n’annoncera pas des licenciements massifs demain matin à travers le pays à cause de la taxe. Mais il y aura un manque à gagner pour l’industrie. C’est là que les emplois ne seront pas créés.

Jacques Roy, professeur de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal

À elle seule, la moyenne des « salaires perdus » et des sommes versées en « impôt fédéral sur le revenu perdu » dans l’industrie aérospatiale finira par être plus élevée que la somme de 140 à 145 millions qui doit annuellement entrer dans les coffres de l’État grâce à la taxe. Sur cinq ans, elle doit permettre au gouvernement Trudeau d’empocher 570 millions.

Une taxe de 10 % sur un Challenger 3500, dont le prix courant est de 26,7 millions US, serait d’au moins 2,7 millions US. Elle atteindrait 7,5 millions US pour le fer de lance de Bombardier, le Global 7500, vendu 75 millions US.

Signe que les acheteurs ont été refroidis, il n’y a aucune transaction sur la table chez l’avionneur où il faudrait percevoir la nouvelle taxe. Bombardier avait témoigné d’un ralentissement de la demande dans le marché canadien.

Lisez l’article « Un coup de frein pour Bombardier au Canada »

Il n’y a pas que l’AIAC qui remet en question l’esprit de la taxe de luxe. En mai dernier, une analyse publiée par le directeur parlementaire du budget concluait que les inconvénients seraient supérieurs aux avantages. Sur un horizon de cinq ans, la mesure ferait fléchir d’environ 3 milliards les ventes d’automobiles, de navires et d’avions.

En savoir plus
  • 34 milliards
    Revenus de l’industrie aérospatiale canadienne en 2019, avant la pandémie
    Source : Association des industries aérospatiales du Canada