La loi spéciale adoptée en 2017 pour forcer 175 000 travailleurs de la construction à reprendre le travail était inconstitutionnelle, tranche la Cour supérieure du Québec. Toutefois, l’Alliance syndicale échoue à obtenir des dommages-intérêts ainsi que des gains en matière de dispositions interdisant le recours aux briseurs de grève ainsi que de rétroactivité des salaires.

En imposant un retour sur les chantiers quelques jours seulement après le début du débrayage, le gouvernement libéral de Philippe Couillard avait « interdit aux travailleurs d’exercer leur droit de grève légal », écrit le juge Frédéric Pérodeau, dans sa décision de 84 pages rendue mardi.

« Cette entrave substantielle à la négociation collective ne se justifie pas dans une société libre et démocratique », estime le magistrat, qui invalide la pièce législative.

À l’époque, avant même le débrayage, Québec avait brandi le spectre d’une loi spéciale en disant craindre des répercussions économiques ainsi que des retards dans les chantiers. On était passé de la parole aux actes en imposant une hausse salariale aux ouvriers ainsi qu’une médiation pour renouveler les contrats de travail.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement québécois se fait taper sur les doigts après avoir adopté une loi spéciale pour forcer un retour au travail. En 2019, les tribunaux avaient aussi confirmé que cette façon de faire était inconstitutionnelle pour forcer le retour au travail de ses juristes deux années plus tôt.

Depuis 2015, le droit de grève bénéficie d’une protection constitutionnelle dans la foulée de l’arrêt Saskatchewan, de la Cour suprême du Canada. Le plus haut tribunal du pays avait tranché que le droit de grève était « également inclus dans le droit fondamental d’association protégé » par la Charte des droits et libertés.

Des revers

La victoire de l’Alliance syndicale est cependant partielle puisque ses autres demandes sont rejetées par la Cour supérieure. Elle réclamait 25 millions à l’État à titre de dommages-intérêts, mais cette demande est rejetée par le juge Pérodeau puisque « les institutions législatives bénéficient d’une immunité à l’égard de telles demandes ».

Elle a également échoué dans sa tentative visant à ce que des dispositions anti-briseurs de grève soient intégrées dans la loi R-20 (Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction). Selon la Cour supérieure, ce n’est pas aux tribunaux de trancher sur cette question.

L’absence de dispositions qui interdisent le recours à des briseurs de grève ne prive pas de facto les travailleurs de leur droit à participer à la grève et que la détermination du juste équilibre entre les employeurs et les travailleurs est une question délicate et essentiellement politique que le législateur est mieux en mesure de trancher que les tribunaux.

Le juge Frédéric Pérodeau

Ce dernier rejette également les demandes de l’Alliance syndicale qui permettraient d’intégrer l’effet rétroactif des augmentations salariales dans les négociations. Le contexte actuel crée une dynamique où la partie patronale n’a pas intérêt à conclure une entente rapidement lors des négociations.

Selon la Cour supérieure, cette situation ne « constitue pas une entrave substantielle à la négociation collective » et un élément qui remet en question « l’intégrité du processus de négociation ».

« Il ne s’agit pas d’une matière d’une importance telle que les travailleurs ne sont pas en mesure d’exercer collectivement leur droit à la négociation collective », écrit le magistrat.

Malgré la loi spéciale de 2017, les conventions collectives des travailleurs de la construction avaient été renouvelées l’été dernier sans débrayage. Les contrats de travail viendront à échéance en 2025. Mercredi, les membres de l’Alliance syndicale n’avaient pas commenté la décision de la Cour supérieure du Québec.

En savoir plus
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    L’Alliance syndicale regroupe la FTQ-Construction, le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International), le Syndicat québécois de la construction, la CSD-Construction et la CSN-Construction.
    SOURCE : alliance syndicale de la construction