(Ottawa) Après avoir versé des dizaines de milliards en aide d’urgence aux travailleurs et aux entreprises durant la pandémie de COVID-19, l’Agence du revenu du Canada (ARC) passe à l’étape du recouvrement de prestations qui n’auraient pas dû être versées.

Et la somme est importante : 3,2 milliards de dollars dans le cas de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et des programmes subséquents d’aide aux individus (la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants et la Prestation canadienne de la relance économique) qui ont été mis en œuvre par le gouvernement Trudeau, selon des informations obtenues par La Presse.

L’ARC a envoyé depuis le mois de mai des avis de recouvrement à quelque 825 000 contribuables qui, selon les critères d’admissibilité, n’avaient pas droit à des prestations d’urgence. Dans le cas de la PCU, ce programme offrait jusqu’à 500 $ imposables par semaine aux travailleurs admissibles qui avaient perdu leur revenu ou leur emploi à cause de la pandémie. En tout, l’ARC a versé 83,4 milliards de dollars en paiements à quelque 9 millions de Canadiens.

Durant la pandémie, l’ARC a administré 12 programmes d’urgence mis sur pied à la vitesse de l’éclair par le gouvernement fédéral. L’ARC a effectué le tout dernier paiement en vertu de l’un de ces programmes le 13 novembre, qui était la date limite pour soumettre une demande rétroactive de subvention salariale et la subvention pour le loyer pour les entreprises.

Le travail de vérification et de recouvrement va s’échelonner jusqu’en 2025, a indiqué Marc Lemieux, sous-commissaire de la Direction générale des recouvrements et de la vérification à l’ARC.

« L’Agence poursuit ses efforts de vérification pour assurer l’intégrité des programmes de prestations et de subventions. Nous accomplissons ce travail et le recouvrement en plaçant les gens d’abord. Les gens qui reçoivent des avis peuvent nous appeler pour prendre des arrangements s’ils ne peuvent rembourser entièrement les prestations qui sont dues. On va travailler avec eux pour le faire », a indiqué M. Lemieux.

Les montants à recouvrer ne sont pas considérés comme des fraudes, mais des prestations qui ont été versées à des personnes qui ont plus tard été jugées inadmissibles.

« Ce sont beaucoup de gens qui sont touchés. On comprend que ça a un impact négatif. C’est stressant. On demande un remboursement d’un montant qui peut être important. Mais il est possible de prendre des ententes de remboursement qui reflètent les moyens de chaque personne et des capacités de payer », a-t-il ajouté. Il a précisé qu’aucun intérêt et aucune pénalité ne seront imposés aux individus affectés.

Des milliers de victimes de vol

M. Lemieux a aussi révélé que l’ARC a pu confirmer qu’au moins 25 000 Canadiens ont été victimes de vol d’identité au cours des deux dernières années de la part d’individus sans scrupules. « On a réussi quand même à contenir cela beaucoup. Je peux vous dire qu’on en a examiné beaucoup plus que 25 000 dossiers pour en trouver 25 000 cas », a indiqué M. Lemieux.

« Comme bien des entreprises, l’Agence a été la cible de fraudeurs. On les a bloqués et on continue de les bloquer. On utilisait des indices qu’on avait décelés à l’interne ou des indices qui nous avaient été fournis par les partenaires comme les corps policiers et les banques. Ils nous communiquaient des informations sur des transactions qui semblaient louches. Cela nous a permis de bloquer des transactions qui étaient à risque », a-t-il relevé.

M. Lemieux et l’ancien sous-commissaire de la Direction générale de cotisation, de prestation et de service, Frank Vermaeten, ont accordé une entrevue à La Presse lundi afin de marquer la fin des programmes d’urgence et les efforts qui s’amorcent pour recouvrer les sommes qui sont remboursables au fisc.

Ils ont expliqué les dessous de la mise en œuvre de ces programmes d’aide visant à soutenir les familles, les travailleurs, les étudiants et les entreprises tandis que le gouvernement fédéral et les provinces imposaient des mesures de confinement sévères pour limiter les pertes de vie durant la pandémie.

Quand le déni fait place à la réalité

À l’instar de beaucoup de Canadiens, Frank Vermaeten admet qu’il était dans le déni au début de la pandémie de COVID-19. L’ancien haut fonctionnaire à l’Agence du revenu du Canada (ARC) espérait que ce qu’il lisait dans les journaux au sujet de cette crise était une forme d’exagération.

« À ce moment-là, ma plus grande préoccupation était la saison de hockey de mon fils ! Les séries étaient sur le point de commencer. Et c’était tellement important pour lui. Il était en lice pour décrocher une bourse », a-t-il raconté en entrevue avec La Presse.

À l’époque, M. Vermaeten était sous-commissaire de la Direction générale de cotisation, de prestation et de service à l’ARC. Mais la réalité l’a vite rattrapé.

M. Vermaeten, qui est aujourd’hui conseiller spécial auprès du commissaire de l’ARC, se rappelle comme si c’était hier le coup de fil qu’il a reçu d’un homologue du ministère des Finances, un samedi du mois de mars 2020, après que le gouvernement Trudeau eut décidé de mettre sur pied la Prestation canadienne d’urgence (PCU).

« Le ministère des Finances m’a informé qu’il fallait que ce programme soit mis sur pied en trois semaines. Mettre sur pied un tel programme de cette ampleur, c’est l’équivalent de créer un programme d’allocation pour enfants à partir de zéro », a indiqué M. Vermaeten.

Cela prend normalement de 18 à 24 mois. Il fallait le faire en trois semaines ! On s’est mis à l’œuvre. Et trois semaines plus tard, le 6 avril, on a lancé la PCU.

Frank Vermaeten

Durant les premiers mois de la pandémie, les employés de l’ARC ont littéralement travaillé jour et nuit, sept jours sur sept, pour mener à bien les mandats qui leur avaient été confiés. Des équipes entières ont été réaffectées à d’autres tâches, notamment celles affectées aux vérifications, qui ont donné un coup de main à ceux qui devaient répondre aux nombreux appels des Canadiens qui avaient des tas de questions.

La situation était urgente. La crise sanitaire faisait rage. L’économie canadienne s’effondrait. Les gouvernements imposaient des mesures de confinement sans précédent dans l’espoir de limiter la propagation du virus et d’éviter que les hôpitaux ne soient submergés de patients gravement malades.

Le jour J, l’ARC a reçu 31 000 demandes durant les 10 premières minutes. Quelques jours après le lancement, on comptait 3 millions de demandes.

Autre programme

« Trois semaines après le lancement de la PCU, j’ai eu un autre appel du ministère des Finances me demandant d’administrer un autre programme, celui des subventions salariales aux entreprises. Il fallait qu’il soit lancé dans quatre semaines », a-t-il aussi expliqué.

M. Vermaeten a affirmé qu’il était impératif de rendre l’application la plus simple et la plus souple possible. Car l’objectif fondamental était de verser les prestations le plus rapidement possible. Seule une attestation était exigée par les autorités dans le cas des individus.

« Services Canada était déjà débordé par les demandes d’assurance-emploi qui se multipliaient. Il était donc impossible que Services Canada puisse gérer les programmes d’urgence. Cela aurait pris des mois pour évaluer les demandes et verser les prestations. Et des millions de Canadiens auraient été exclus, comme les travailleurs autonomes, ceux qui sont à contrat », a-t-il avancé.

Ces gens n’auraient pas été en mesure de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires comme la nourriture, le loyer et l’électricité. Il ne faisait aucun doute que quelque chose de radicalement différent devait être mis sur pied pour composer avec une situation exceptionnelle.

Frank Vermaeten

En entrevue avec La Presse, il a repris à son compte la métaphore de l’avion construit en plein vol utilisée par plusieurs élus, dont le premier ministre du Québec, François Legault.

« Nous savions que nous devions faire voler cet avion et ajouter des pièces à l’appareil en plein vol. Nous avons ajouté des garde-fous pour contrer la fraude, les cyberattaques, des banques non autorisées et le changement d’adresse », a-t-il dit.

« Je ne dis pas que nous avons été parfaits, loin de là. Nous avons appris beaucoup de choses durant la pandémie, surtout lors des cyberattaques. Il y aura toujours des gens qui vont analyser le tout avec un recul et qui diront que nous aurions pu faire ceci ou faire cela. Mais je dirais simplement que nous avons fait de notre mieux dans une situation sans précédent », a-t-il conclu.