Comme plusieurs de ses anciens collègues d’Aveos, Gilles Talbot serait retraité si la faillite du spécialiste de la maintenance d’aéronefs n’était pas survenue en 2012. Une décennie après avoir subitement perdu son gagne-pain, ce sexagénaire fait partie des 2200 ex-salariés de l’entreprise qui devront être dédommagés par Air Canada.

« Je suis euphorique, confie l’homme de 62 ans au bout du fil. Parfois, j’ai le goût de rire, et d’autres fois, de pleurer. Quand j’ai annoncé la nouvelle à d’ex-collègues, certains pleuraient et d’autres criaient de joie. »

La nouvelle en question est la décision de 154 pages rendue jeudi par la juge Marie-Christine Hivon, de la Cour supérieure du Québec. La magistrate donne raison sur presque toute la ligne aux ex-employés d’Aveos dans le cadre de l’action collective déposée par ces derniers à l’endroit du plus grand transporteur aérien au pays.

Impossible pour l’instant de savoir combien d’argent devra être versée par Air Canada puisque le processus pour calculer les sommes sera long et complexe. Selon les plaignants, on parle de plusieurs dizaines de millions de dollars. L’entreprise pourrait aussi interjeter appel de la décision. On ignore si elle se tournera vers cette option.

PHOTO FOURNIE PAR GILLES TALBOT

Gilles Talbot

C’est comme un baume. Si cette fermeture n’était pas survenue, plusieurs d’entre nous seraient à la retraite. J’étais admissible à 57 ans, mais je vais devoir travailler encore quelques années. Toutefois, le plus important, c’est de ne pas avoir lâché et d’avoir la réponse d’aujourd’hui.

Gilles Talbot, embauché chez Aveos en 1994

Un engagement rompu

Ancienne filiale d’Air Canada devenue indépendante en 2011, Aveos était chargée de l’entretien des avions du transporteur — qui représentait 90 % de ses revenus — dans ses centres de Montréal, Winnipeg et Mississauga. Du jour au lendemain, le spécialiste de la maintenance avait mis la clé sous la porte, au printemps 2012, alors que son principal client se tournait vers d’autres fournisseurs.

Dans la foulée de la disparition d’Aveos, Air Canada avait par la suite confié l’entretien de ses aéronefs à des sous-traitants étrangers. En agissant de la sorte, elle enfreignait la loi fédérale (Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada) qui l’obligeait à maintenir des centres de maintenance à Montréal, Winnipeg et Mississauga.

« [L’entreprise] a indiqué clairement, dans les jours suivant la cessation des activités d’Aveos, qu’elle n’avait aucune intention de racheter Aveos ou de rembaucher les employés directement afin de remettre les centres en service, écrit la juge Hivon. Air Canada n’a pas pris les moyens raisonnables pour se conformer à la loi. »

Dans ses appels de proposition, le transporteur n’a jamais intégré d’obligations pour maintenir des activités de maintenance au Canada, ajoute la magistrate. Elle souligne aussi que la compagnie a plutôt laissé à ses fournisseurs potentiels le « loisir de choisir l’endroit d’exécution des travaux d’entretien ».

Jean Poirier ne travaillait pas chez Aveos, mais l’ex-représentant syndical a agi comme porte-parole des ex-salariés pendant des années. Au téléphone, celui-ci avait de la difficulté à contenir son émotion.

« C’est 2200 familles qui vont finalement être récompensées, raconte-t-il. C’est une des plus belles journées pour moi. C’est incroyable. Ce n’était pas seulement une fermeture d’entreprise. C’était une injustice. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Jean Poirier était le porte-parole des salariés d’Aveos qui avaient perdu leur emploi.

Lorsque Québec avait entrepris des recours juridiques contre Air Canada après la faille d’Aveos — des procédures qui ont été abandonnées en 2016 —, les tribunaux avaient aussi conclu que l’entreprise enfreignait la loi fédérale.

Après s’être retrouvé au chômage il y a 10 ans, Mario Longo avait fini par dénicher du boulot ailleurs dans l’industrie. Il y avait toutefois toujours de l’amertume.

« Je me sens au moins plus léger de 20 kilos, s’exclame-t-il. Je trouve cela incroyable qu’il ait fallu se battre aussi longtemps. Au moins, nous avons gagné avec des sommes à obtenir. On espère que cela ne traînera pas trop. »

Un bémol

La victoire n’est pas totale pour les plaignants. La juge Hivon estime qu’Air Canada n’a pas délibérément provoqué la déconfiture d’Aveos, comme il était allégué dans l’action collective. L’entreprise n’aura donc pas à payer de dommages punitifs, ce qui aurait fait considérablement grimper la facture.

« Air Canada a toujours agi de bonne foi dans ce dossier, ce que la cour a reconnu tout en confirmant qu’Air Canada n’avait pas provoqué la fermeture d’Aveos », souligne l’entreprise, dans une déclaration envoyée par courriel.

Le transporteur aérien n’a pas commenté les conclusions de la juge entourant le non-respect de la loi. Le libellé de la réglementation fédérale avait été modifié par le gouvernement Trudeau en juin 2016 afin d’offrir davantage de souplesse à Air Canada en matière d’entretien.

Cela ne déchargeait pas complètement le transporteur pour la période qui s’échelonnait entre la fermeture d’Aveos et la modification législative, selon la juge Hivon. Les dommages pourront être calculés pour la période allant d’avril 2013 à juin 2016.

L’affaire n’est toutefois pas terminée.

Un long processus s’enclenchera puisqu’Air Canada devra offrir des dédommagements pécuniaires, notamment pour des pertes de revenus et de prestations de retraite. Il y aura aussi un volet non pécuniaire, soit pour le stress, l’angoisse et les autres préjudices découlant de la fermeture d’Aveos. Les conjoints et conjointes des employés morts depuis 2012 seront aussi admissibles à une indemnisation.

Ces montants devront être déterminés au cas par cas. Air Canada devra assumer les frais de cette démarche.

La saga d’Aveos en quelques dates

  • Juillet 2011 : Filiale de la société d’Air Canada, Aveos devient indépendante.
  • 18 mars 2012 : Aveos ferme ses centres à Montréal, Winnipeg et Mississauga.
  • 4 février 2013 : La Cour supérieure conclut qu’Air Canada enfreint la loi fédérale.
  • 3 novembre 2015 : L’appel du transporteur aérien est rejeté par la Cour d’appel.
  • 30 décembre 2015 : Air Canada se tourne vers la Cour suprême du Canada.
  • 18 février 2016 : Air Canada commande des C Series de Bombardier. Elle s’engage à établir un centre d’entretien au Québec. Le gouvernement québécois abandonne son recours judiciaire.
  • 22 juin 2016 : Ottawa modifie la loi fédérale encadrant Air Canada.
  • 15 mai 2018 : La Cour supérieure accepte d’entendre l’action collective des ex-salariés d’Aveos.
En savoir plus
  • 1800 travailleurs
    Nombre d’employés d’Aveos à Montréal au moment de sa fermeture
    SOURCE : LA PRESSE