Cette semaine, l’Américaine Sonya Dreizler, cofondatrice de la plateforme Choir, qui a participé à l’évènement de CFA Montréal Provoquer le changement, répond à nos questions sur le leadership.

Vous avez relaté à quel point le monde de la finance est macho, voire misogyne, et remarqué que les commentaires déplacés surviennent parfois au moment où on ne s’y attend pas. Est-ce que vous voyez des avancées depuis que vous avez dénoncé en 2019 le multimilliardaire américain et gourou de la Bourse Ken Fisher, qui avait tenu des propos vulgaires et sexistes lors d’une conférence ?

Oui, j’ai vu tellement de progrès ces dernières années, alimentés par de nombreuses forces, dont le mouvement #metoo. Je vois plus de femmes disposées à parler du harcèlement et de la discrimination. Bien qu’il soit important de noter qu’auparavant, les femmes gardaient le silence non pas par choix, mais pour des questions de sécurité physique, professionnelle ou juridique. Je vois aussi de plus en plus d’hommes prêts à jouer un rôle de premier plan dans la dénonciation du harcèlement et de la discrimination. La prochaine génération n’a d’ailleurs aucune tolérance envers la discrimination et le harcèlement fondés sur le sexe et la race alors que la mienne l’avait accepté comme faisant partie du prix à payer pour travailler dans le domaine de la finance.

Un des progrès observés cette année est d’ordre juridique. Les États-Unis ont éliminé la possibilité pour les employeurs d’exiger que les cas de harcèlement et de discrimination sexuels soient soumis à l’arbitrage. L’arbitrage forcé réduit souvent au silence les femmes et enterre à jamais leurs histoires, ce qui protège les harceleurs en série et met en danger les victimes passées et futures. Maintenant que l’arbitrage n’est plus une exigence, les cas peuvent être portés devant les tribunaux. Ainsi le public entendra plus de détails. Avec plus de connaissances viennent plus de conscience et de pouvoir pour créer le changement.

Comment éliminer la peur lorsqu’on veut provoquer le changement et dénoncer ?

Je ne crois pas que ce soit possible. Si vous comptez vous exprimer publiquement, surtout si vous le faites seul, vous allez probablement ressentir de la peur. Bien que vous ne puissiez l’éliminer, vous pouvez vous préparer pour que tout se passe le mieux possible. Notez ce qui s’est passé et ce dont vous voulez parler. S’il existe des preuves, enregistrez-les. Présentez des faits, pas des suppositions, quelle que soit la déclaration que vous faites. Sachez que le résultat de votre dénonciation n’est pas prévisible. Vous pouvez provoquer le changement, mais aussi faire face à des répercussions personnelles négatives. Une fois que vous avez décidé que vous pouvez accepter l’éventail des résultats possibles et que vous avez des gens pour vous soutenir, respirez profondément et énoncez les faits que vous avez recueillis avec confiance.

De quelle façon un gestionnaire ou un dirigeant peut-il s’assurer de faire entendre la voix des femmes, des minorités et de la diversité ?

Je pourrais prendre toute la journée pour répondre à la question. Je vais me concentrer sur une seule suggestion : développez votre réseau. Les gens embauchent et recherchent des conseils auprès de leurs réseaux qui ont tendance à être très homogènes. Surtout les Blancs. Et la plupart des cadres financiers sont blancs. Cherchez des groupes où vous pourriez être un « étranger ». Par exemple, si vous êtes un homme blanc, trouvez une conférence avec des femmes en finance ou un groupe de chambre de commerce noir et demandez à y être invité. Écoutez simplement d’autres points de vue, présentez-vous et rencontrez de nouveaux professionnels. Une fois que vous avez un réseau plus diversifié, suggérez à ces nouvelles personnes des évènements où elles pourront prendre la parole et, lorsque vous constatez de la discrimination ou du harcèlement, intervenez et dénoncez-les immédiatement. Une phrase rapide qui fonctionne bien sur place est : « Nous, on ne fait pas ça ici ».

Vous pouvez aussi commencer dès aujourd’hui en écoutant les femmes et les personnes de couleur sur les réseaux sociaux, dans les livres, les articles et les balados.

Vous avez une grille d’évaluation très détaillée pour déterminer quelles conférences méritent la certification Choir d’engagement envers la diversité.

Choir analyse dans quelle mesure une conférence inclut et met en évidence les voix des personnes de couleur, des femmes et des personnes non binaires, par rapport à leur représentation dans la population américaine. Nous regardons qui parle, et la visibilité de chaque conférencier. Par exemple, un conférencier principal a beaucoup plus de visibilité que quelqu’un sur un panel de quatre personnes qui se déroule en même temps que trois autres panels. Si une conférence obtient un score de 60 ou plus sur 100, elle est admissible à la Choir CertificationTM.