En cette veille du festival Fierté Montréal, La Presse s’est penchée sur des initiatives récentes offertes à la communauté trans par les institutions financières. Un premier assureur offre désormais de couvrir à même ses assurances collectives les frais liés à un changement de sexe qui ne sont pas couverts par le régime public et une première banque permet à ses clients trans de changer de nom sur leur carte de crédit. Survol.

Depuis avril dernier, Beneva offre une nouvelle clause d’affirmation de genre pour les preneurs de son régime d’assurances collectives.

Cette clause a été créée pour aider les adhérents trans à couvrir les frais d’une opération d’affirmation de genre lorsque celle-ci n’est pas prise en charge par le régime public de la province ou du territoire où ils résident, explique Éric Trudel, vice-président exécutif et leader en assurances collectives chez Beneva.

Au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) rembourse les frais liés aux opérations de changement de sexe comme la vaginoplastie (création d’un sexe féminin) et la phalloplastie (création d’un sexe masculin).

Cependant, les personnes trans doivent débourser des milliers de dollars pour les interventions liées à la transformation esthétique (augmentation mammaire, féminisation du visage, réduction de la pomme d’Adam, etc.), celles-ci n’étant pas remboursées par le régime public québécois.

Un produit demandé, selon Beneva

« Plusieurs employeurs travaillent sur leur politique de diversité et d’inclusion et ils veulent être capables d’accompagner les personnes trans », affirme Éric Trudel.

L’assureur a commencé à travailler sur le développement de cette clause lorsqu’un important groupe d’assurés en Ontario en avait fait la demande en 2021. Ce dernier ne l’a toutefois pas encore intégré à son régime collectif.

Beneva est le premier assureur québécois à avoir lancé une telle clause. Au Canada, l’assureur Sun Life avait fait l’annonce d’une clause similaire en 2019, suivi par Croix Bleue Medavie et Green Shield Canada en 2021.

« On a officiellement lancé la clause le 1er avril 2022. L’un de nos plus grands groupes au Québec, issu du secteur public de la santé, l’a ajouté à son régime collectif, qui compte environ 100 000 adhérents », précise M. Trudel.

Pour l’instant, seul ce groupe a intégré la clause, mais différents preneurs sont en train d’analyser la possibilité de le faire, confirme-t-il.

Selon M. Trudel, la clause coûterait à un employeur entre 5 et 10 $ par employé, par année.

« Le preneur a le choix entre deux maximums de couverture : l’un est un maximum viager (à vie), et l’autre un maximum annuel, peut-on lire sur le Portail de l’assurance, un guichet d’information pour les professionnels de l’assurance. […] Il permet au preneur de choisir par tranche de 10 000 $ le montant de couverture qu’il souhaite offrir à ses employés. Le montant maximum à vie qu’il peut choisir est de 50 000 $ par assuré.

« Le maximum annuel est quant à lui optionnel. Le preneur qui opte pour cette avenue peut choisir un maximum annuel de 5000 $ ou de 10 000 $ par assuré. »

Pour être admissible, l’assuré doit avoir reçu un diagnostic de dysphorie de genre, c’est-à-dire quand une personne ressent de la détresse face à une inadéquation entre son sexe assigné à la naissance et son identité de genre.

Cette nouvelle clause est offerte aux groupes de plus de 500 adhérents seulement. Éric Trudel souligne que Beneva souhaite élargir cette offre aux autres groupes dans un avenir proche.

Il ajoute que la mise en place de la clause est trop récente pour sortir ses statistiques de consommation réelle. « On pourra le faire à compter de la fin de l’été », indique-t-il.

Selon le dernier recensement de Statistique Canada (2021), le pays compte plus de 100 000 personnes transgenres et non binaires, ce qui représente 0,33 % de la population active.

Éric Trudel explique que ce facteur a servi de base à Beneva dans la tarification de la clause. D’autres paramètres comme le coût variable des opérations couvertes, les différentes couvertures de santé provinciales et l’étalement à long terme de l’utilisation de la clause ont aussi été considérés.

Une carte de crédit pour les trans et les non binaires

En mars 2022, BMO Groupe financier est devenu la première institution financière au pays à mettre en œuvre la fonction Vrai Nom de Mastercard, permettant aux personnes transgenres et non binaires d’utiliser le nom de leur choix sur toutes les cartes de crédit BMO de particuliers et pour petites entreprises, sans devoir procéder à un changement de nom officiel.

La filiale américaine de BMO, BMO Harris Bank, s’était associée à Mastercard en 2019 pour émettre la nouvelle carte aux États-Unis.

« À l’heure actuelle, les titulaires de cartes disposant de la fonction Vrai Nom sont dans 30 marchés [dans] l’Union européenne, les États-Unis, le Canada et l’Amérique latine », nous indique le service des communications de Mastercard Canada.

Il n’a toutefois pas été possible de savoir combien de particuliers canadiens ont demandé la fonction Vrai Nom depuis son lancement.

Les clients transgenres de BMO peuvent désormais appeler le numéro figurant au dos de leur carte de crédit ou se rendre dans une succursale pour demander une carte de remplacement.

« Pour les membres des communautés transgenre et non binaire en particulier, l’identité imprimée sur leurs cartes peut ne pas refléter qui ils sont vraiment et peut être une source d’inconfort, en déformant leur véritable identité », avait déclaré Sasha Krstic, présidente de Mastercard Canada, lors du lancement canadien de Vrai Nom.

Réaction d’un organisme de défense des droits trans

« C’est super intéressant de voir des avancées de ce type, mais il y a quand même quelques bémols à souligner », commente Florence Gallant-Chenel, coordonnatrice adjointe à TransEstrie. « Au niveau des critères d’assurance, on demande un diagnostic de dysphorie de genre. Or, cela fait plusieurs décennies qu’on ne demande plus un tel diagnostic pour avoir accès à des soins d’affirmation de genre au Québec ni ailleurs au Canada », indique-t-elle.

Mme Gallant-Chenel attribue ce critère à un manque d’information de la part de Beneva, bien qu’elle lui reconnaisse une bonne intention de départ. « Pour avoir accès à une chirurgie d’affirmation de genre, cela prend deux lettres de professionnels de la santé. Ces lettres ne posent pas un diagnostic, mais démontrent que le professionnel de la santé a pris le temps de valider la réflexion et le parcours de la personne. » Seule la personne concernée peut s’auto-identifier comme trans, insiste-t-elle.

Elle ajoute n’avoir rien de négatif à dire à propos du changement de nom sur les cartes de crédit BMO, mais déplore que ce genre d’initiative d’inclusion vienne de la part d’une seule institution bancaire, et non du gouvernement, qui pourrait en étendre la portée.

En savoir plus
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    Nombre total d’opérations de réassignation sexuelle au Québec pour la période du 1er avril 2021 au 31 mai 2022. Coût total : 7 103 078 $
    source : Ministère de la Santé et des Services sociaux