Ce n’est pas une illusion : la facture payée par les clients des restaurants est de plus en plus salée. Cette année, près de 83 % des propriétaires augmenteront les prix sur le menu, selon une enquête menée en décembre 2021 par HRImag et l’Association Restauration Québec (ARQ).

De 10 % à 15 %

Nombre des restaurateurs interrogés par La Presse ont déjà procédé à des modifications de prix sur leur carte, avec des augmentations moyennes de 10 % à 15 % par rapport à il y a deux ans. Et certains plats, notamment ceux composés de viande rouge, ont subi une hausse plus importante, alors que d’autres ont subi des augmentations plus faibles. La salade thaïe au bœuf grillé servie dans les restaurants Zibo ! coûtait 22 $ en 2019. Les clients qui la commandent doivent maintenant débourser 27 $.

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La salade thaïe au bœuf grillé servie dans les restaurants Zibo ! coûte 5 $ de plus qu’il y a trois ans.

Dans Lanaudière, aux restaurants Le Coup monté (L’Assomption et Repentigny), le prix de l’assiette de bœuf a fait un bond de 30 %, confirme le chef Matthieu Perreault. Devant l’augmentation du coût de la viande rouge, son équipe et lui ont décidé d’opter pour un bœuf québécois de qualité supérieure afin de mieux justifier la flambée des prix auprès de leurs clients.

Des grandes chaînes comme La Cage – Brasserie sportive, où le burger signature (Blitz burger) est passé de 16,75 $ (novembre 2018) à 19,75 $, et le Groupe St-Hubert, qui a augmenté son assiette de côtes levées en salle à manger de 20 $ (2019) à 22,50 $, ont également dû se plier à cet exercice « peu plaisant ». « On ne veut pas [avoir à augmenter les prix], mais on n’a pas le choix si on veut maintenir la santé financière de notre entreprise », a souligné à plusieurs reprises le président et chef de la direction du Groupe St-Hubert, Richard Scofield, en entrevue. Le grand patron des célèbres rôtisseries cachait difficilement son malaise face à ce qui semble être une fatalité : pour survivre, il faut refiler une partie de la facture aux consommateurs.

Les raisons pour justifier la hausse

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Benjamin Chevrefils, vice-président du Groupe Zibo !

L’huile de canola, le fromage, le bœuf, le poulet, la bière… et même les uniformes des employés coûtent plus cher, explique Marc Pelletier, vice-président marketing et communication de Sportscene, groupe qui gère La Cage – Brasserie sportive. Lorsqu’il a demandé à son responsable des approvisionnements si le coût de certains produits avait diminué au cours des deux dernières années, il a obtenu un long silence en guise de réponse, raconte-t-il. « On dirait que tous les domaines ont été frappés, indique M. Pelletier. La capacité de production a été affectée, les frais de transport ont augmenté, les masses salariales ont augmenté. On a remarqué aussi une réduction de l’offre. Avant, on pouvait avoir deux ou trois fournisseurs pour un produit. Là, on en a un qui s’offre à nous, donc il faut négocier avec lui. »

« Les marges de profit sont déjà minces en restauration », ajoute Benjamin Chevrefils, vice-président du Groupe Zibo ! (restaurants Zibo ! et Vertigo). « On n’a pas vraiment de place pour aller piger dans cette marge de profit là. Pour s’assurer de la maintenir, il a fallu qu’on s’ajuste pour conserver les mêmes ratios. »

L’augmentation des salaires fait également partie des raisons invoquées pour expliquer pourquoi le burger, la salade ou l’entrée d’ailes de poulet coûtent plus cher. « Mon plongeur est presque rendu à 20 $ l’heure », souligne Matthieu Perreault, un taux horaire qu’il est prêt à verser pour garder à ses côtés son fidèle employé.

Boulettes maison et poutine au poulet

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Les restaurateurs comme La Cage – Brasserie sportive (photo) doivent jouer avec le menu ou revoir leur façon de travailler pour maintenir la rentabilité.

Pour éviter de refiler la totalité de la facture aux clients, les restaurateurs interrogés doivent ainsi s’adonner à une véritable épreuve d’équilibrisme en jouant avec le menu ou en revoyant leur façon de travailler. L’objectif : trouver un moyen de réduire les coûts. À La Cage, les boulettes de viande sont désormais façonnées et assaisonnées en cuisine. En achetant le bœuf au prix du gros, la chaîne, qui commandait auparavant des boulettes déjà prêtes, économise. Même si l’entreprise doit payer des employés pour s’acquitter de cette tâche, ce nouveau modus operandi contribue malgré tout à réduire les dépenses puisque les coûts de transport (abattoir et usine de transformation) et d’emballage des boulettes prêtes à cuire sont devenus très importants.

Le Groupe Zibo ! mise pour sa part sur sa nouvelle cuisine centrale située à Mirabel, un investissement de 2,5 millions. « Ça nous aide à amortir un peu l’augmentation de prix, soutient M. Chevrefils. On commande maintenant le filet mignon en gros, on le portionne nous-mêmes, ce qui nous permet de faire une économie sur le volume et d’être plus concurrentiels sur le prix final. »

L’entreprise a également fait des changements au menu. La poutine au canard, devenue trop coûteuse, fait maintenant place à la poutine au poulet.

Les amateurs de St-Hubert devront pour leur part se passer de certaines promotions auxquelles ils étaient habitués. « On ne va jamais toucher à nos portions, on ne va jamais toucher à la qualité, assure Richard Scofield. Mais il y a certaines promotions qu’on ne fera peut-être pas cette année. »

Moins de 1 $ de profit

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La hausse de prix dans le restauration est notable depuis deux ans. Nombre des restaurateurs interrogés par La Presse rapportent des augmentations moyennes de 10 % à 15 % pendant cette période.

Sur une assiette composée d’une frite et d’un Blitz burger (cheddar, bacon), dont le coût affiché au menu est de 19,75 $, La Cage – Brasserie sportive empoche à peine 0,99 $, ce qui équivaut à 5 % de profit brut. À noter que l’entreprise n’a pas voulu hausser le prix de ce produit de façon excessive. « Pour nos produits vedettes, il y a des limites psychologiques, admet Marc Pelletier. Avant d’arriver à la dizaine supérieure, on va préférer augmenter un autre produit plutôt que celui-là. »

Dans cette optique, comment les restaurateurs réussissent-ils à avoir des marges intéressantes ? Il faut amener les employés au service à générer une « facture parfaite », explique M. Chevrefils. Et ce genre d’addition est généralement composée, pour un couple, d’un cocktail, d’une entrée (à partager ou pas), d’une bouteille de vin, d’un plat principal, d’un dessert et d’un café.

Les clients

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Matthieu Perreault, chef du bistro Le Coup monté à Repentigny

La facture est plus élevée, mais les clients sont au rendez-vous, assurent les restaurateurs interrogés. « On revoit nos habitués. Aussi, on a une nouvelle clientèle, souligne Matthieu Perreault, du Coup monté. On a beaucoup de premières fois. Le restaurant, c’est devenu un luxe. Les gens, quand ils viennent au resto, viennent pour se gâter, donc ils sont prêts à payer. »

Mais si les prix continuent d’augmenter, certains consommateurs ne risquent-ils pas de se résigner à manger à la maison ? « Ça serait malhonnête de dire qu’on n’est pas inquiets pour l’avenir, confie Richard Scofield. Oui, je suis inquiet. C’est évident. Si ça coûte plus cher, moins de gens vont venir au restaurant, ou ils vont modifier leur choix d’établissement », dit-il ajoutant dans la foulée qu’il faudra revoir le modèle de la restauration.

L’inflation alimentaire en chiffres

88,05 $

C’est la somme que paie maintenant le Groupe Zibo ! pour 5 kg de mozzarella. Le même produit coûtait 57,24 $ en 2019.

74,50 $

Prix d’une facture moyenne pour une famille de quatre chez St-Hubert en salle à manger (avant taxes et pourboires). Cette même famille payait en moyenne 70 $ il y a un an.

20 %

Augmentation du prix du poulet vivant sur le marché en deux ans