Investisseur en Russie, qui est menacée de sévères sanctions économiques en cas d’invasion de l’Ukraine, le bas de laine des Québécois est aussi actionnaire, depuis plusieurs années, d’entreprises sur la liste noire du Canada à la suite de l’invasion de la Crimée par le pays de Vladimir Poutine en 2014.

Principales banques russes, géant de l’énergie Gazprom et autres acteurs du secteur pétrolier et gazier : la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) était actionnaire d’au moins sept de ces entreprises en date du 30 décembre 2020 – les plus récentes données publiques du gestionnaire de régimes de retraite –, selon une recension effectuée par La Presse.

Les investissements dans les entreprises jugées indésirables par le gouvernement canadien étaient estimés à 365 millions. La Caisse avait investi dans au moins 36 sociétés établies dans le plus vaste pays du monde, ce qui représentait quelque 740 millions.

« Cela mériterait un toilettage, au moins du côté des compagnies qui font l’objet de représailles, affirme Ivan Tchotourian, professeur spécialisé dans la gouvernance et la responsabilité sociale des entreprises de l’Université Laval. C’est comme si l’on condamne du côté politique, mais que l’on conserve nos investissements. »

C’est en 2014 que le gouvernement canadien, à l’instar de plusieurs autres pays, a imposé des sanctions à une série de personnes et d’entités à la suite de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie. Elles consistent à geler des avoirs et à proscrire les transactions financières.

Il n’y a toutefois pas d’obligation de désinvestissement. Ainsi, la CDPQ a conservé ses actions au fil du temps. Cela est appelé à changer, même si l’institution est avare de détails.

« Les sanctions canadiennes s’appliquent à certaines entreprises seulement, a souligné une porte-parole de la Caisse, Kate Monfette, dans un courriel. Nous avons déjà un plan de disposition en cours pour les titres sous sanction, même s’ils ont été acquis avant l’adoption de ces dernières. »

La CDPQ n’a pas voulu préciser quels titres seraient liquidés et pourquoi autant d’années s’étaient écoulées avant le déploiement de ce « plan de disposition ». Le portrait des investissements du plus important investisseur institutionnel du Québec en date du 31 décembre 2021 sera diffusé plus tard cette année.

Selon la politique d’investissement durable de la Caisse, celle-ci « proscrit […] les investissements auprès d’entités visées par des interdictions financières par le Canada ». Depuis que des sanctions ont été décrétées par Ottawa, l’organisation n’a pas remis d’argent dans les sociétés russes visées.

Escalade ?

Le Canada fait partie des pays, parmi lesquels on retrouve les États-Unis, qui ont brandi le spectre de nouvelles ripostes économiques si la Russie décide d’envahir l’Ukraine – un scénario plausible, selon l’administration Biden.

« Il y a des sanctions économiques depuis plusieurs années et, maintenant, le risque de guerre est présent, souligne M. Tchotourian. On se demande quel évènement il faudra pour que la Caisse bouge. »

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ LAVAL

Ivan Tchotourian, professeur spécialisé dans la gouvernance et la responsabilité sociale des entreprises à l’Université Laval

L’approche d’investissement durable de la Caisse s’oriente autour de trois leviers, dont l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans ses décisions. M. Tchotourian souligne que la Russie n’est pas un modèle en la matière.

Au département de management de l’Université Laval, le professeur Yan Cimon rappelle que la CDPQ gère un actif net de 390 milliards et qu’il n’était pas « inhabituel » de voir de grandes organisations avoir un portefeuille « très diversifié ».

Si la Caisse décide de tourner le dos à la Russie parce qu’elle juge que les risques sont devenus trop grands, l’expert explique qu’elle devra le faire de façon « ordonnée ».

« Il ne faut pas que cela se fasse au détriment des déposants et en réalisant des pertes importantes », dit-il.

L’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada (OIRPC), plus important investisseur institutionnel avec un actif net d’environ 520 milliards, n’investit pas directement en Russie.

En 2014, dans une entrevue accordée au Globe and Mail, la haute direction de l’organisation avait affirmé être « allergique » à ce marché en raison de l’instabilité et d’interrogations sur le système juridique du pays.

Dans le plus vaste pays du monde, les investissements de la CDPQ se concentrent essentiellement dans les secteurs de la finance, des télécommunications, de l’énergie et du commerce de détail.

En savoir plus
  • 440
    Nombre estimé de personnes et d'entités russes visées par les sanctions du Canada
    SOURCE : MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
    6
    Plus de six millions de personnes sont cotisants ou bénéficiaires de la Caisse au Québec
    SOURCE : CAISSE DE DÉPÔT ET PLACEMENT DU QUÉBEC