(Ottawa ) Accusant de larges déficits et des dépenses à la hausse en santé à cause de la pandémie, les provinces cherchent de nouvelles sources de revenus. Plusieurs d’entre elles demandent au gouvernement Trudeau de partager le pactole de 800 millions de dollars que doit rapporter annuellement dans les coffres d’Ottawa la nouvelle taxe sur les services numériques.

En principe, la taxe de 3 % doit entrer en vigueur le 1er janvier 2024, mais elle serait rétroactive à janvier 2022. Le Québec fait partie des provinces qui ont cogné à la porte du ministère des Finances à Ottawa afin de réclamer un partage de cette nouvelle taxe, a appris La Presse.

Des documents obtenus récemment en vertu de la Loi sur l’accès à l’information révèlent que cette requête a déjà fait l’objet de discussions entre les fonctionnaires fédéraux et leurs collègues des provinces.

« Plusieurs provinces ont demandé si le gouvernement fédéral compte partager avec elles les revenus découlant de la taxe proposée sur les numériques », peut-on lire dans une note d’information destinée au sous-ministre des Finances, Michael Sabia, et datée du 13 mai 2021.

À Québec, une source a confirmé que le gouvernement Legault tient bec et ongles à avoir sa juste part de cette taxe, si elle voit le jour.

PHOTO BLAIR GABLE, ARCHIVES REUTERS

Chrystia Freeland, ministre des Finances

Dans son plus récent budget, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a annoncé que le Canada compte imposer une taxe sur les services numériques de 3 % qui s’appliquerait aux revenus des grandes entreprises de services numériques telles que Google, Facebook et Amazon qui brassent des affaires au pays. Cette taxe s’appliquerait à compter du 1er janvier 2024, mais toucherait les revenus générés au Canada qui ont été empochés à partir du 1er janvier de cette année. Elle s’appliquerait sur les revenus de 20 millions de dollars et plus qui ont été gagnés par une entreprise ou un groupe consolidé affichant un chiffre d’affaires mondial d’au moins 750 millions d’euros (environ 1,06 milliards de $ CAN).

Mais cette nouvelle taxe verrait le jour seulement si l’accord international visant à imposer une taxation minimale de 15 % aux entreprises multinationales n’est pas ratifié à temps par les pays signataires.

Au terme de plusieurs mois de négociations qui se sont déroulées sous l’égide de l’OCDE, le Canada et 136 autres pays se sont entendus en octobre dernier pour appliquer un taux d’imposition minimum de 15 % aux multinationales à compter de 2023. Les États-Unis font partie de cet accord. Mais sa ratification par le Congrès est loin d’être acquise.

Des revenus de 4,5 milliards

Cette réforme majeure du système fiscal international, qui vise à mettre fin « à la course vers le bas » du taux d’imposition des grandes sociétés, devrait permettre au Canada d’empocher des revenus supplémentaires d’environ 4,5 milliards par année, selon les estimations du ministère des Finances. Pour l’ensemble des pays signataires de l’accord, les revenus supplémentaires pourraient atteindre 216 milliards grâce à cet impôt minimum.

L’option d’imposer une taxe sur les services numériques serait donc jetée aux orties, si l’accord international est ratifié par l’ensemble des pays signataires dans les délais prescrits. La nette préférence de la ministre Chrystia Freeland est de s’assurer que l’accord international sur un impôt minimum devienne réalité. Les États-Unis, de leur côté, ont déjà fait savoir qu’ils s’opposent au plan B du gouvernement Trudeau en cas d’échec de l’accord international.

« Les accords multilatéraux ont toujours été une priorité pour le Canada. L’accord de l’OCDE mettra les travailleurs et les entreprises canadiens sur le même pied d’égalité dans l’économie mondiale, et le Canada accueille favorablement le travail fait avec ses partenaires internationaux pour faire entrer en vigueur ce nouveau cadre fiscal ambitieux et inscrire sa mise en œuvre dans la loi. Le Canada a un intérêt national évident à l’égard de cet accord multilatéral qui protège contre l’érosion de l’assiette fiscale et qui générera des revenus supplémentaires pour le Canada », a indiqué la porte-parole de la ministre Freeland, Adrienne Vaupshas.

Le filet de sécurité sociale solide et essentiel du Canada repose sur une assiette fiscale nationale solide. C’est pourquoi ceux qui font des affaires au Canada doivent payer leur juste part.

Adrienne Vaupshas, porte-parole de la ministre Chrystia Freeland

« Afin de protéger les intérêts des Canadiens en toute circonstance, nous avons l’intention de déposer une loi qui permettra de promulguer une taxe sur les services numériques (TSN). Nous espérons sincèrement que la mise en œuvre en temps voulu du nouveau système international rendra ce processus inutile », a-t-elle ajouté.

À Québec, on estime que le plan B d’Ottawa doit prévoir une formule de partage des revenus. D’autant plus que le gouvernement Legault prévoit intégrer les nouvelles règles d’imposition dans le régime fiscal québécois, si l’accord international négocié par le Canada va finalement de l’avant.

Dans l’éventualité d’un échec de l’accord international qui forcerait le Canada à mettre en œuvre une taxe sur les services numériques, « il est essentiel que les revenus de cette taxe fassent l’objet d’une entente de partage avec les provinces et les territoires », a-t-on fait valoir.

« L’érosion actuelle de la base d’imposition des sociétés affecte aussi bien les revenus du gouvernement fédéral que ceux des provinces et des territoires », a-t-on aussi souligné.