Dans le but d’éviter la grève, l’Alliance syndicale, qui regroupe les cinq syndicats de l’industrie de la construction, a fait une proposition aux quatre associations patronales tard dimanche soir, a appris La Presse. En se basant sur le rapport d’un organisme spécialisé en sécurité informatique, les syndicats proposent de reporter le débat sur le pointage électronique et la géolocalisation.

En pleine négociation pour le renouvèlement de quatre conventions collectives concernant 200 000 travailleurs de la construction, les syndicats ont fait une offre formelle à la partie patronale vendredi dernier au sujet des avantages sociaux. Or, selon l’Alliance syndicale, les associations patronales attendent la position syndicale sur le pointage numérique et la géolocalisation avant d’accepter ou non cette offre.

Depuis le vendredi 21 mai, les syndicats ont un mandat pour déclencher une grève à 12 heures d’avis.

Dans le but de moderniser l’industrie, les employeurs souhaitent l’introduction d’applications mobiles dans les cellulaires des ouvriers pour enregistrer les heures de travail et les géolocaliser.

Pour savoir si les craintes des syndicats face à la géolocalisation et les risques pour la vie privée des travailleurs sont fondées, l’Alliance syndicale a engagé un organisme à but non lucratif, Crypto.Québec, spécialisé en analyse des enjeux reliés aux technologies de surveillance, à la protection de la vie privée et à la cybersécurité.

Le rapport, que La Presse a obtenu, est sans équivoque : « [N]ous croyons que non seulement cette méthode ne devrait pas être utilisée, [mais] elle devrait [aussi] carrément être bannie. »

« Notre analyse conclut que de toutes les méthodes de pointage électronique, celle par géolocalisation est la pire », affirme en entrevue téléphonique Luc Lefebvre, président et cofondateur de Crypto.Québec.

« Elle n’est pas futur proof, poursuit-il, dans le sens qu’avec les projets de loi qui s’en viennent, le projet de loi 64 au provincial, la modernisation des lois au niveau fédéral en ce qui a trait à la protection de la vie privée et les données des utilisateurs, on ne croit pas que ça puisse survivre à l’arrivée de ces lois-là. »

Reporter le débat

En se basant sur les conclusions de l’analyse de l’organisme, les syndicats s’engagent à rouvrir les conventions collectives pour y inclure de nouvelles dispositions sur le pointage électronique en regard des nouvelles lois qui seront adoptées prochainement par les gouvernements provincial et fédéral.

« À la lumière du rapport de Crypto.Québec, l’Alliance syndicale a décidé de reporter le débat sur le pointage électronique après l’adoption du projet de loi 64. Nous avons des conventions collectives à adopter, le débat sur la géolocalisation dépasse nos négociations, c’est un débat de société », soutient à La Presse Éric Boisjoly, porte-parole de l’Alliance syndicale, qui regroupe la FTQ-Construction, le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International), le Syndicat québécois de la construction, la CSD-Construction et la CSN-Construction.

Les projets de loi à l’étude

Le gouvernement fédéral est en train de moderniser la Loi sur la protection des renseignements personnels, ce qui aura un impact sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Du côté provincial, Québec travaille sur le projet de loi 64, Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels, qui viendra modifier la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.

« Définitivement, cette méthode de pointage ne survivrait pas au Règlement général sur la protection des données (RGPD) qui a été mis en œuvre en 2018 par l’Union européenne pour tous les pays membres, peut-on lire dans le rapport commandé par l’Alliance syndicale. Et ça ne fonctionne pas non plus avec les bas standards du milieu de la sécurité de l’information. »

Crypto.Québec en vient à la conclusion que l’industrie devrait utiliser d’autres méthodes de pointage électronique qui existent et répondraient aux normes.

« Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit également d’une des méthodes préférées des systèmes répressifs. Car c’est un outil de contrôle qui n’offre que des avantages à celui qui l’opère et que des désavantages à celui qui la subit », conclut le rapport de Crypto.Québec.

Les quatre conventions collectives sont échues depuis le 30 avril. Selon les syndicats, l’enjeu des négociations ne porte ni sur les salaires ni sur les avantages sociaux, mais sur l’utilisation d’une application mobile dans les cellulaires des ouvriers pour enregistrer les heures de travail et les géolocaliser.