(Montréal) La menace d’une loi spéciale évoquée par le gouvernement Trudeau n’a pas empêché quelque 1150 débardeurs du port de Montréal d’aller de l’avant avec une grève générale illimitée, lundi, donnant ainsi des maux de tête aux entreprises qui dépendent des activités portuaires.

Malgré le débrayage, les négociations entre le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui représente les débardeurs, et l’Association des employeurs maritimes (AEM) se poursuivaient lundi après-midi en présence d’un médiateur fédéral.

Les deux parties n’avaient pas voulu offrir de commentaires. Mais pour le gouvernement Legault, si les discussions ne permettent pas de dénouer l’impasse et que la grève est appelée à se prolonger, une intervention du gouvernement fédéral s’impose.

« J’espère que cela va porter ses fruits, a dit le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, lundi après-midi, dans le cadre d’une annonce économique sur un autre sujet. À défaut d’avoir une médiation positive, je pense que la loi spéciale s’impose. »

Pendant ce temps, munis de pancartes, les débardeurs faisaient le piquet de grève à l’entrée des installations portuaires, où l’on avait cessé la manutention des marchandises et l’amarrage des navires autant au port de Montréal qu’au terminal Contrecœur.

« De notre côté, il faut travailler deux fois plus fort pour arriver aux mêmes résultats », a déploré Pierre Dolbec, président de Dolbec International, un courtier en douane qui dessert quotidiennement environ 1800 clients.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

« Dans certains cas, on a réussi à réacheminer du cargo vers d’autres ports que celui de Montréal. Mais c’est minime comparativement à notre volume habituel. »

Sans contrat de travail depuis décembre 2018, les débardeurs mènent une grève des heures supplémentaires depuis le 17 avril et refusent de travailler le week-end depuis le 18 avril. Pour sa part, l’AEM a opté pour des changements d’horaires, ce qui a fait monter la tension entre les deux parties.

La grève survenue l’été dernier au port de Montréal avait engendré des pertes évaluées à environ 600 millions pour les entreprises, selon Statistique Canada. Plusieurs groupes d’employeurs se sont dits préoccupés par l’impact d’un nouveau conflit de travail sur les entreprises.

« Ce que je trouve le plus dur à accepter, c’est que ce n’est pas la première fois que l’on mange une claque, a lancé M. Dolbec. Il y a eu la grève au Canadien National en 2019, les blocus ferroviaires, une première grève au port de Montréal et récemment le canal de Suez. Ça n’a pas de bon sens. »

Parallèlement aux répercussions de l’arrêt des activités, le président de Dolbec International a ajouté qu’il y aurait également des défis à surmonter au moment du redémarrage des activités.

« Dans deux, trois, quatre ou cinq jours, quand ça va rouvrir, ça va être épouvantable, a-t-il dit. Tout le monde va vouloir aller chercher leurs conteneurs en même temps. Cela va être une cacophonie monstrueuse. »

Faute d’un déblocage, le gouvernement Trudeau pourrait déposer dès mardi un projet de loi pour forcer un retour au travail. La ministre fédérale du Travail, Filomena Tassi, a fait savoir que son gouvernement préférait ne pas intervenir, mais qu’il n’aurait peut-être pas le choix étant donné ce qu’elle a décrit comme des dommages importants et potentiellement durables causés à l’économie canadienne par l’arrêt de travail.

Minoritaire, le gouvernement Trudeau aura besoin de l’appui d’un parti d’opposition s’il optait pour cette solution. Déjà, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Bloc québécois (BQ) se sont prononcés contre l’adoption d’une loi spéciale.

Le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, lui, n’a pas tout à fait fermé la porte à la possibilité d’appuyer la mesure.

« Nous allons parler avec les syndicats, les entreprises et les exportateurs parce que c’est important d’avoir une solution, a-t-il dit. Il y a un risque grave pour notre économie avec une grève pour plusieurs jours. On doit trouver une solution et examiner le projet de loi. »

Alors que le port de Montréal a vu le volume de conteneurs décliner de 6 % pour les trois premiers mois de l’année, la tendance a été bien différente à des endroits comme New York, Philadelphie et Halifax, où la hausse a été de 25 % au premier trimestre par rapport à la même période l’an dernier.

Selon l’Administration portuaire de Montréal, la baisse a été de 11 % en mars et les statistiques du mois d’avril ne s’annoncent guère reluisantes, a expliqué sa directrice des communications, Mélanie Nadeau.

« On attribue cela à l’incertitude entourant les relations de travail », a-t-elle dit au cours d’un entretien téléphonique.

En chiffres

— En moyenne 275 millions de biens qui circulent quotidiennement sur les quais.

— Une perte de 10 millions à 25 millions par jour en cas d’interruption prolongée des activités.

— 80 000 conteneurs équivalents 20 pieds (EVP) cloués au sol ou détournés et une vingtaine de navires dirigés vers des ports concurrents lors de la grève survenue l’été dernier.

— 10 000 conteneurs EVP immobilisés lors du récent arrêt de la fin de semaine.

(Source : Administration portuaire de Montréal)

À New York, le volume de conteneurs équivalents 20 pieds (EVP) a affiché une progression de 12,6 % au premier trimestre comparativement à une contraction de 1 % du côté de Montréal.

Du côté de l’Administration portuaire de Halifax, le porte-parole Lane Farguson a souligné, dans un courriel, qu’il était difficile d’attribuer à un facteur en particulier l’augmentation du volume au premier trimestre. Parallèlement à une hausse du trafic maritime en provenance de l’Asie et l’Europe, le contexte économique était meilleur au premier trimestre.

« Il est difficile de s’avancer sur ce qui est attribuable aux situations dans un autre port », a-t-il écrit dans un courriel.