(Québec) Accusé d’avoir déposé un projet de loi sexiste, le ministre Jean Boulet défend sa réforme de la santé et de la sécurité du travail.

Le ministre du Travail soutient qu’au contraire, son projet de loi 59 protégera davantage les travailleuses. Cependant, il refuse une demande de l’opposition, soit de procéder à l’examen du texte législatif avec une « analyse différenciée selon le sexe ».

Plusieurs syndicats, dont la CSN et la CSQ, affirment que des secteurs d’emploi à majorité féminins, comme la santé et l’éducation, ne seront plus assujettis aux mécanismes de prévention actuels et que, par conséquent, le projet de loi est sexiste.

M. Boulet a dit avoir été affecté par ces critiques émises lors des consultations. « Absolument, ça m’a fait réagir », a-t-il déclaré dans une entrevue à La Presse Canadienne diffusée dimanche.

Il plaide que si le projet de loi est adopté, 94 % des travailleurs seraient désormais assujettis à des mécanismes de prévention et de participation, par rapport à 25 % actuellement, donc davantage de femmes.

Travailleuses domestiques et stagiaires

Ainsi, les travailleuses domestiques seront couvertes, alors qu’elles ne le sont pas actuellement, ce qui équivaut à près de 20 000 personnes.

« Beaucoup viennent de l’Afrique, des Philippines, ce sont des personnes hyper vulnérables. Elles viennent chez nous, elles n’ont droit à rien. »

Également, si l’employeur a des motifs raisonnables de croire qu’une de ses employées est exposée sur les lieux de travail à une situation de violence conjugale, il sera tenu de prendre les mesures pour assurer sa protection.

« C’est un phénomène grandissant », a déploré M. Boulet.

En outre, les stagiaires seraient désormais admissibles au régime d’indemnisation. Or pas moins de « 75 % des stages d’observation sont effectués par des femmes », le plus souvent en enseignement et dans les services de santé, a-t-il fait valoir.

Niveaux de risque

Le ministre s’engage à repenser la classification prévue des milieux de travail selon les niveaux de risques, de faible, modéré à élevé, un système qui a été critiqué par les syndicats.

« Je suis en train de reconsidérer l’utilisation même des niveaux de risques », a-t-il évoqué.

Selon lui il est faux de prétendre que tout le secteur de la santé serait considéré comme à risques faibles.

Par exemple, les secteurs des soins psychiatriques et ambulanciers seraient à risques moyens ou élevés, mais M. Boulet est prêt à réévaluer la classification d’autres milieux.

Quant à savoir s’il est prêt à revoir, en fonction d’études scientifiques, toute la catégorisation projetée des milieux de travail, comme ce qui lui a été demandé, le ministre n’a pas voulu ouvrir son jeu, puisqu’il ne veut pas dévoiler l’intention du législateur avant le dépôt officiel des amendements en commission parlementaire.

« Je ne peux pas embarquer là-dedans », a-t-il tranché.

De même, il juge que de faire une « analyse différenciée selon les sexes » de son texte législatif n’est pas nécessaire, puisque ses équipes tiennent toujours en compte les « répercussions sur les hommes et les femmes ». Ce type d’analyse en usage dans l’administration publique sert à détecter des biais sexistes dans des politiques ou programmes.

« Urgence »

Il y a « urgence » de sortir du « statu quo vraiment inacceptable » pour couvrir tous ceux que les lois actuelles ont oubliés et le secteur tertiaire dont elles ne tiennent pas compte, a résumé M. Boulet.

« Actuellement, il n’y a rien d’impératif en prévention et en participation des travailleurs dans des secteurs tels que le commerce, l’agriculture et des secteurs tels que l’enseignement, les services médicaux et services sociaux, à forte prépondérance féminine. »

En 2018, plus de la moitié des lésions de travail ont été enregistrées chez des employeurs où il n’y a aucun mécanisme de prévention et de participation des travailleurs. Le ministre ne s’en cache pas, il veut réduire le coût du régime d’indemnisation, assumé par les employeurs.

Autant l’opposition que les syndicats ont reproché à son projet de loi de bafouer la science. On craint notamment le retour du « médecin de compagnie », qui penche toujours en faveur de l’employeur. En effet, l’avis du médecin traitant ne sera plus prépondérant en matière de retour au travail ou de réadaptation, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de contestations avec des médecins payés par l’employeur.

La Fédération des médecins spécialistes (FMSQ) s’inquiète de la « perte d’indépendance des médecins » et souligne que l’expertise médicale « doit rester indépendante ».

Aussi, toutes les Directions de la santé publique (DSP) se sont élevées contre le projet de loi : en effet, les médecins spécialisés en travail dans les DSP ne pourraient plus intervenir dans les milieux de travail à moins d’avoir été sollicités par un employeur.