Certains s’échinent à faire changer nos pratiques depuis des années. Piochent pour faire évoluer la société, mais frappent le mur de la résistance au changement, surtout dans le secteur public.

Puis, soudain, la COVID-19 a tout transformé. Travail, éducation, santé, environnement, justice, tous ont mis la main à la pâte pour s’adapter au changement.

La pandémie a été extrêmement douloureuse – et l’est encore. En revanche, elle aura permis de faire des pas de géant dans plusieurs domaines, ce qu’on croyait littéralement impossible.

Le travail

Le travail à distance généralisé ? Mais non, voyons, tu rigoles. Comment les patrons parviendront-ils à contrôler leurs employés, comment le travail d’équipe pourra-t-il s’organiser ?

Ça, c’était avant. Des prêcheurs avaient beau dire que la technologie le permettait, qu’elle entraînait des économies, pas question. Il faut absolument que les employés consacrent plusieurs heures inutiles par semaine à se déplacer pour occuper des pieds carrés de bureau au centre-ville, que l’employeur paie une fortune.

Aujourd’hui, les patrons constatent que la perte de productivité chez certains de leurs employés est largement compensée par les gains de loyer et de transport. Oui, il faut travailler physiquement ensemble, mais 40 heures par semaine ?

L’éducation

L’éducation à distance, les cours en ligne ? Mais vous êtes tombé sur la tête. Rien ne vaut les cours magistraux en personne dans une classe de béton donné par un professeur à 200 étudiants, n’est-ce pas ? Et que dire du plagiat ?

Ça, c’était avant. Des prêcheurs avaient beau expliquer que certains cours universitaires de base en comptabilité, en politique, en génie pourraient être offerts virtuellement par un seul professeur à 5000 étudiants plutôt que par 50 profs dans 10 universités… Que les jeunes, de plus en plus, se tournent vers les Harvard et Oxford en ligne de ce monde, en concurrence avec nos campus, rien à faire.

Depuis le printemps, c’est une véritable révolution. On en retient que nombre de cours universitaires peuvent être suivis en ligne, avec plus d’avantages que d’inconvénients pour les étudiants (on peut réécouter les explications complexes du cours, par exemple).

Pas tous les cours, bien sûr, pas les labos, pas les cours de danse ou autres qui exigent une présence physique ou un travail d’équipe. Et oui, la situation a été souvent pénible depuis le printemps, si bien que la majorité des cours resteront traditionnels après la pandémie, avec les interactions entre étudiants.

Mais certaines expériences devront assurément être conservées. Et de grâce, cessez de construire des pavillons, le virtuel peut alléger les budgets d’immobilier.

La situation a été plus douloureuse au cégep et au secondaire, et davantage au public. Bien des enseignants ont vécu l’enfer, obligés de s’adapter rapidement aux nombreux changements de direction. On a constaté la grande importance du « présentiel » à cet âge, notamment pour la motivation et les relations sociales.

Beaucoup ont néanmoins trouvé des avantages aux cours virtuels, qu’il faudra désormais mettre dans le coffre à outils.

La santé

Consulter son médecin de famille au téléphone, sur Zoom ? Êtes-vous malade ? Il est indispensable qu’un médecin voie physiquement son patient pour palper le bobo et poser un diagnostic. Oui, mais pour les suivis, les questions de routine ? C’est non.

Ça, c’était avant, essentiellement.

La pandémie aura permis de faire débloquer, en quelques jours, l’épineux dossier qui traînait depuis une décennie.

Au Québec, il a suffi d’un décret du gouvernement, le 13 mars, suivi d’une entente avec les médecins sur la rémunération, le 16 mars, pour que tombent tous les obstacles. Et trois mois plus tard, 1 million de patients avaient eu recours à la téléconsultation au Québec.

Tout n’est pas parfait, bien sûr. Et de nombreuses consultations exigent une rencontre physique. Il reste que 91 % des patients sont satisfaits. Peut-on bâtir sur cette fondation, une fois le coronavirus maîtrisé, pour économiser temps et argent pour les patients, les médecins et le système ?

La justice

Administrer la justice à distance ? Vous parlez de science-fiction, monsieur Vailles. Il faudra encore des lunes pour faire passer le système de justice au XXIe siècle.

Ça, c’était avant. Dans une chronique parue en mai, mon collègue Yves Boisvert expliquait que bien des avocats et juges voyaient dans la pandémie l’occasion en or d’utiliser les outils virtuels pour moderniser le système et ainsi réduire les trop nombreux délais déraisonnables.

Or, quelques mois plus tard, il appert qu’une mise à jour informatique majeure a été déployée. Et que les nouveaux outils sont utilisés pour les requêtes secondaires en Cour et pour limiter les déplacements inutiles.

L’environnement

Ces changements dans nos pratiques ont un impact majeur sur les transports et donc sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) et l’environnement. Cette année, la chute des GES est sans précédent.

Elle le sera bien davantage au Québec que l’arrivée d’un nouveau Réseau express métropolitain, dont on se demande s’il sera autant nécessaire qu’hier avec le maintien minimal du télétravail dans l’avenir. Comme bien des agrandissements de route, bien entendu.

Pour certains environnementalistes, la pandémie apparaît donc étrangement comme une bonne nouvelle, en quelque sorte, pour sauver la planète.

Soyons réalistes : il est peu probable que ces pas de géant dans plusieurs domaines soient intégralement conservés une fois la population vaccinée. Et bien des situations sont évidemment intenables.

Mais si l’on gardait ne serait-ce que 20 % des gains de cette pandémie, ce serait un énorme bienfait pour nos modes de vie, pour la planète et pour la productivité économique. Qui dit mieux ?