Je n’ai pas eu à me déplacer. Pas manqué une demi-journée de travail. Pas risqué d’être en contact avec d’autres patients. En quelques minutes au téléphone, mon médecin a fait mon « examen » de routine, à la mi-avril, à ma grande satisfaction. Vive la pandémie.

Bien sûr, il aurait peut-être été préférable que l’examen se fasse par vidéoconférence ou, mieux, en personne, mais mon état de santé ne l’exigeait pas. Bref, tout le monde est content : le patient, le médecin et le système de santé.

Je ne suis pas le seul à penser ainsi. Selon un sondage de l’Association médicale du Canada, 91 % des Canadiens qui ont reçu des soins virtuels pendant la pandémie se sont déclarés satisfaits du service. Ils souhaitent que la téléconsultation se poursuive et soit même étendue après la COVID-19.

La pandémie aura donc permis de faire débloquer, en quelques jours, l’épineux dossier qui traîne depuis une décennie. Au Québec, il a suffi d’un décret du gouvernement, le 13 mars, suivi d’une entente avec les médecins sur la rémunération, le 16 mars, pour que tombent tous les obstacles. Et trois mois plus tard, 1 million de patients avaient eu recours à la téléconsultation au Québec. Wow !

Pourtant, la télésanté n’était encore que très peu populaire il y a quelques années. En 2014, seulement 0,15 % des services facturables l’avaient été par téléconsultation. Et en 2016, seulement 16 % des médecins canadiens étaient susceptibles d’offrir à leurs patients la possibilité de les contacter par courriel, la proportion la plus faible parmi 10 pays riches (86 % en Suisse et 64 % aux États-Unis). Et aujourd’hui, au Québec, on utilise encore le fax…

Sur la base de ces constats, Mélanie Bourassa Forcier, professeure à l’Université de Sherbrooke, ainsi que le duo formé de Maude Laberge et Francesca Brundisini, de l’Université Laval, ont publié des analyses et fait des recommandations sur le sujet.

Leurs études ont été publiées dans la foulée de l’appel lancé en juin à la communauté universitaire par le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, à soumettre leurs suggestions pour relancer l’économie du Québec.

Un projet de relance économique, la téléconsultation ? Plutôt oui, quand on y pense bien. Bien sûr, on pourrait multiplier la construction de routes et de ponts et ainsi augmenter le PIB et les recettes fiscales. Mais on pourrait aussi doper l’efficacité du système de santé, entre autres, et le rendre moins coûteux par habitant.

« La crise sanitaire a créé une occasion unique de se développer rapidement et de promouvoir de nouvelles utilisations de la télémédecine qui, à leur tour, peuvent améliorer la croissance économique et la reprise », écrivent Mmes Laberge et Brundisini.

Les chercheuses citent des études de 2011 qui calculent qu’au Canada, la télémédecine pourrait permettre d’éviter 47 millions de visites en personnes chaque année et d’augmenter le PIB de 408 millions de dollars. Autre gain : la diminution des pertes de productivité liées au travail, la réduction des frais de garde d’enfants ainsi que des économies de frais de déplacement et de stationnement.

La télémédecine pourrait aussi permettre aux médecins de voir plus de patients en moins de temps. Qui plus est, « pour des résultats de santé similaires, les coûts associés à la télésurveillance de certaines maladies chroniques sont moindres » que des consultations en personne, fait valoir l’analyse.

Modifier la rémunération des médecins

Les trois chercheuses font toutefois des recommandations pour que le succès se poursuive. D’abord, une formation devrait être obligatoire pour les médecins de famille, afin qu’ils maîtrisent les modes de téléconsultation et leurs limites (1).

Surtout, les chercheuses recommandent d’adapter la rémunération des médecins à cette nouvelle réalité. À la mi-mars, le gouvernement n’a pas créé de nouveau code de facturation pour la téléconsultation, il a simplement exigé qu’on indique que le « service a été rendu à distance dans le cadre de la COVID-19 », explique Mélanie Bourassa Forcier, qui croit qu’il faut un tarif spécifique à la téléconsultation.

Le duo Laberge-Brundisini va dans le même sens. Le modèle de rémunération doit satisfaire les médecins – un élément-clé du succès –, mais aussi, bien sûr, tenir compte des patients et du payeur, soit l’État. Certains modes de rémunération pourraient favoriser une réponse rapide, mais une qualité moindre, et inversement.

« Les consultations en télémédecine sont relativement peu coûteuses par rapport aux visites et aux hospitalisations aux urgences. Il est recommandé de revoir de façon globale les modalités de rémunération afin de favoriser à la fois l’accès, la pertinence et l’efficience. Ceci pourrait se faire en introduisant par exemple une rémunération à la capitation ou un taux horaire », suggère le duo Laberge-Brundisini.

Mélanie Bourassa Forcier constate par ailleurs que les territoires avancés dans le monde privilégient en temps normal la vidéoconférence et proscrivent le seul téléphone.

Autre recommandation : que l’État établisse des partenariats avec des entreprises privées de télémédecine, afin notamment de profiter de leurs savoir-faire en matière de sécurité et de rentabilité. On juge par ailleurs que le gouvernement devrait investir dans la recherche et qu’il profite, entre autres, de l’expérience de la pandémie pour évaluer les coûts et les résultats de la téléconsultation.

La bataille n’est pas gagnée d’avance. À la mi-avril, mon examen médical s’est bien déroulé jusqu’à ce que le médecin exige que je passe à la clinique en personne pour récupérer le papier pour l’analyse sanguine. Il était impossible de transmettre le document par courriel, ce qui efface la plupart des avantages de la téléconsultation…

(1) Le Collège des médecins offre un atelier sur le sujet, mais il n’est pas obligatoire, selon l’analyse. Actuellement, les applications autorisées par le Collège des médecins et le ministère de la Santé et des Services sociaux pour la téléconsultation sont Teams, React et Zoom Santé. Les applications Facebook, Skype et Snapchat sont proscrites.