Des demandes de l'industrie aérienne entendues par l'OTC soulèvent des questions

L’organisme fédéral chargé de protéger les voyageurs a été sollicité par l’industrie en mars 2020 pour appuyer les crédits offerts par les transporteurs aériens comme forme de dédommagement acceptable pour les vols annulés à cause de la pandémie, indiquent des documents que La Presse a pu consulter.

Pour l’organisme Droits des voyageurs et le Bloc québécois (BQ), cela soulève d’autres doutes à propos de la proximité entre l’Office des transports du Canada (OTC) et le secteur privé.

À leur avis, le temps est venu d’enquêter de manière indépendante sur le rôle de l’organisme fédéral responsable de l’application du Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA), qui prévoit entre autres des indemnisations en cas de retard ou des remboursements en cas d’annulation de vols.

Ce que l’on voit ici est très préoccupant. C’est inapproprié. L’Office n’a agi que pour le compte des compagnies aériennes, pas comme un organisme indépendant.

Gabor Lukacs, fondateur de Droits des voyageurs

Lorsque les frontières ont été fermées au plus fort de la pandémie, les compagnies aériennes, plongées dans la tourmente financière après avoir annulé des vols, se sont tournées vers les crédits de voyage plutôt que de rembourser les voyageurs. L’approche avait été vivement critiquée par la classe politique et les consommateurs qui souhaitaient récupérer leur argent.

Dans une lettre datée du 22 mars 2020 – trois jours avant la sortie de l’OTC (25 mars 2020) –, Jean-Marc Eustache, alors président et chef de la direction de Transat A.T., dressait une liste de demandes en réclamant notamment un appui sur la question des crédits.

« Cela permettrait aux émetteurs de cartes de crédit de refuser les demandes de remboursement des clients pour ensuite cesser d’exiger des garanties financières aux transporteurs aériens », demandait-il à Scott Streiner, qui était aux commandes de l’OTC.

M. Eustache demandait également la suspension, pendant au moins un an, des dispositions du RPPA entourant les sanctions financières pour les compagnies aériennes.

Quelques jours auparavant, le 18 mars, George Petsikas, directeur principal, affaires gouvernementales et de l’industrie, chez le voyagiste, interpellait l’OTC sur le sujet.

Droits des voyageurs a obtenu environ 165 pages de correspondances émanant de l’OTC à la suite d’une décision de la Cour fédérale d’appel rendue en octobre dernier.

Le porte-parole bloquiste en matière de transports, Xavier Barsalou-Duval, était aussi l’un des deux vice-présidents d’un comité des Communes qui a remis en question le rôle de l’OTC dans un rapport publié en juin dernier.

Lisez notre texte « Le rôle de l’OTC a-t-il été détourné ? Un comité d’élus s’est posé la question »

À la lecture de certains échanges, il croit également que le moment est venu d’enquêter sur l’organisme.

L’OTC a fait un copier-coller des demandes de l’industrie. Ça n’a même pas pris une semaine et c’était réglé. C’est écrit noir sur blanc. On prend fait et cause du côté des compagnies sans tenir compte des droits des consommateurs.

Xavier Barsalou-Duval, porte-parole bloquiste en matière de transports

Sortie controversée

C’est le 25 mars 2020 que l’organisme avait publié une déclaration à propos des crédits de voyage en soulignant que, « de façon générale », cette solution était convenable dans le contexte de la crise sanitaire. Selon le code de conduite, ses membres ne doivent pas exprimer d’opinion sur des cas potentiels afin d’éviter de susciter « une crainte raisonnable de partialité ».

Rapidement, l’OTC avait apporté des précisions en ajoutant que sa déclaration n’était pas une décision exécutoire.

Trois jours auparavant, Heather Craig-Peddie, qui occupait le poste de vice-présidente, plaidoyer et relations avec les membres, à l’Association canadienne des agences de voyages (ACTA), soulignait que plusieurs de ses membres au Québec, en Ontario ainsi qu’en Colombie-Britannique étaient préoccupés.

Elle s’en prenait aussi à M. Lukacs qui répétait, sur de nombreuses tribunes, que les consommateurs avaient le droit d’être remboursés s’ils n’obtenaient pas le service pour lequel ils avaient payé.

Dans un courriel, l’OTC a fait savoir qu’il ne commenterait pas le contenu divulgué en Cour d’appel fédérale. Pour élaborer des « décisions » et « positions », l’organisme « tient compte de plusieurs facteurs dans ses analyses », a-t-il ajouté.

« Le cadre législatif ne permettait pas à l’OTC d’exiger les remboursements dans le cas de perturbations de vol indépendantes de la volonté d’une compagnie aérienne, a-t-on fait valoir. Dans de telles situations, [il] permettait seulement d’exiger par l’intermédiaire du RPPA que la compagnie aérienne fasse en sorte que le passager complète son itinéraire prévu. »

En juin dernier, le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités, formé de 12 membres des quatre principaux partis politiques fédéraux, avait publié un rapport dans lequel il suggérait que le rôle de l’OTC avait été détourné afin de favoriser les transporteurs pendant la pandémie.

Parmi ses recommandations, le document proposait que l’organisme fédéral explique comment il empêche la « capture réglementaire », une expression utilisée lorsqu’une institution publique qui doit agir comme chien de garde de la collectivité devient au service d’intérêts privés. C’est donc une forme de corruption qui était évoquée.