(Toronto) Si de nombreux fabricants de véhicules électriques canadiens comptent accroître leurs capacités de production au cours des prochaines années, certains songent à construire des installations aux États-Unis afin de se protéger contre les mesures protectionnistes.

« Il existe vraiment un lien entre l’endroit où est fabriqué un produit et où il est vendu. C’est particulièrement vrai pour les véhicules électriques », dit Joanna Kyriazis, conseillère principale chez Clean Energy Canada.

« Les batteries pour les véhicules électriques sont très grosses. Elles sont lourdes, chères et difficilement transportables sur de longues distances. La transition de l’industrie automobile vers les véhicules électriques verra des chaînes d’approvisionnement plus régionale, plus locale. »

À l’instar de Mme Kyriazis, plusieurs experts prônent encore plus de mesures incitatives pour convaincre les consommateurs à se tourner vers les véhicules électriques.

Le fabricant Lion Électrique, établi à Saint-Jérôme, qui construit notamment des autobus électriques, a vu sa production s’accroître à 40 véhicules au dernier trimestre, dont 28 pour le marché canadien et 12 pour le marché américain.

L’entreprise veut accroître sa production américaine en ouvrant une usine dans l’Illinois dotée d’une capacité de production annuelle de 20 000 véhicules par année.

Un porte-parole de Lion Électrique, Patricl Gervais reconnaît que les dispositions du programme Buy America en matière de véhicules de transport sont des facteurs motivant la construction d’une usine aux États-Unis. Il ajoute toutefois que l’entreprise souhaite être plus efficiente d’un point de vue énergétique.

« Nous avons la politique de construire là où nous vendons, car cela est compatible à notre mission qui tourne autour de la réduction des émissions de gaz à effet de serre », explique-t-il.

Lion Électrique a aussi accru la capacité de production de son usine québécoise à plus de 2500 véhicules par année. Un plus grand appui gouvernemental signifie une hausse de la production intérieure.

« L’électrification est une grande occasion pour l’économie canadienne. On doit s’assurer que tout est mis en place pour la croissance de cet écosystème », lance M. Gervais.

Vicinity Motor, une entreprise d’Aldergroove, en Colombie-Britannique, fabrique des véhicules au Canada, mais elle construit une usine dans l’État de Washington afin de respecter le programme Buy America.

Des fournisseurs de pièces suivent le même chemin. Ainsi, la société ontarienne Magna a annoncé le mois dernier une entente pour produire des blocs de batterie pour les véhicules électriques Ford F-150 aux États-Unis. Elle a commencé à bâtir une nouvelle usine au Michigan qui fabriquera aussi des enceintes pour batterie pour le Hummer GMC électrique.

Toutefois, Aurora dit qu’elle ne produit aucune pièce pour des véhicules électriques au Canada.

L’industrie canadienne est aussi sous la menace d’un crédit d’impôt que propose le président américain Joe Bide afin de favorise la production de véhicules électriques aux États-Unis. Selon le gouvernement canadien, ces dispositions sont l’équivalent d’un tarif douanier de 34 % sur les véhicules électriques assemblés au pays.

Dans une lettre transmise à des élus importants du Congrès, la vice-première ministre Chrystia Freeland et la ministre du Commerce Mary Ng ont menacé les États-Unis d’imposer des mesures de représailles si les États-Unis allaient de l’avant dans ce dossier.

Selon Matthew Fortier, le président et chef de la direction d’Accélérer, une coalition regroupant les acteurs de l’industrie canadienne, le Canada doit en faire plus afin de s’assurer que toute la chaîne d’approvisionnement et l’économie profiteront de cette croissance de la demande.

« C’est l’occasion d’une génération de mettre en place une stratégie dans un domaine où le Canada peut être très concurrentiel », déclare M. Fortier

Il faut agir rapidement, ajoute-t-il, car le pays a déjà perdu du temps. Les autres pays se veulent des concurrents sérieux pour produire des batteries qui permettent d’enraciner d’autres éléments de la chaîne d’approvisionnement.

Le Canada est-il en retard ? Absolument. Nous aurions dû avoir cette stratégie l’an dernier, il y a cinq ans. Mais nous sommes toujours dans la course mondiale dans l’environnement des véhicules électriques.

Matthew Fortier, le président et chef de la direction d’Accélérer, une coalition regroupant les acteurs de l’industrie canadienne

Des signes de progrès se pointent à l’horizon. Des mesures fiscales entreront en vigueur l’an prochain. Des milliards de dollars sont prévus pour l’électrification du transport public. Le gouvernement fédéral veut aussi contraindre les concessionnaires d’automobiles au Canada à vendre un certain nombre de véhicules électriques.

Les gouvernements ont déjà annoncé du financement pour plusieurs projets, dont 590 millions pour convertir l’usine Ford d’Oakville à la production des véhicules électriques et 100 millions à Lion Électrique pour une usine d’assemblage de blocs de batterie et un centre de recherches.

Les acteurs devront coordonner plus leurs efforts, souligne M. Fortier.

« La fenêtre est grande ouverte. Je ne sais pas quand elle se fermera. Je sais que nombreux pays et de nombreuses juridictions tentent actuellement d’en profiter. »