(Montréal) Loto-Québec aura toujours deux prises contre elle lorsque vient le temps de concurrencer le jeu illégal en ligne si les forces policières et le législateur fédéral ne parviennent pas à retirer le bâton à ces joueurs ou, à tout le moins, à le leur enlever des mains et le mettre dans leurs roues.

Le nouveau président et chef de la direction de Loto-Québec, Jean-François Bergeron, s’adressait à un parterre de gens d’affaires, mercredi, à l’invitation de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, lorsqu’il a fait part des difficultés de la société d’État à se tailler une place dans le secteur du jeu en ligne.

Nous, on va faire notre bout de chemin, mais il y a la sécurité publique, qui doit faire son bout de chemin ; il y a le fédéral — parce que c’est une loi criminelle — le fédéral doit aussi faire son bout de chemin

Jean-François Bergeron, PDG de Loto-Québec

M. Bergeron s’est toutefois bien gardé de leur jeter la pierre : « On ne fait pas de pression (sur la sécurité publique et le gouvernement fédéral) parce qu’on est dans la même équipe, mais ils sont conscients. Il y a des travaux », a-t-il dit, rappelant du même souffle que tous ont encore les mains pleines avec la pandémie.

Offre tout aussi illégale qu’abondante

Bien que les innombrables publicités de jeu en ligne fassent la promotion de plateformes de jeu gratuites — ce qui est légal — elles sont toutes une porte d’entrée vers une plateforme payante, ce qui ne l’est pas. Pourtant, l’offre illégale demeure plus qu’abondante et ces autres joueurs de l’industrie sont avantagés, n’étant pas encombrés par les contraintes réglementaires qui régissent l’offre de Loto-Québec.

C’est ce que l’on appelle le «marché gris», a-t-il expliqué à son auditoire : « C’est à moitié légal. L’offre de jeu gratuite qu’ils nous offrent via leur publicité à la télé, c’est légal. Mais on sait tous que leur modèle d’affaires n’est pas basé sur le jeu gratuit. C’est le jeu d’argent payant et ça, ce n’est pas légal. »

« À l’exception des courses de chevaux et des bingos, si ce n’est pas Loto-Québec, ce n’est pas légal. Il n’y a pas d’ambiguïté », a-t-il insisté.

L’inscription, un « point de bascule »

M. Bergeron s’est longuement attardé à la notion de simplification, tant comme modèle d’affaires que comme condition pour permettre à son organisation de s’imposer. Une des contraintes importantes auxquelles fait face la société d’État en ligne est le processus d’inscription : « Il faut simplifier le processus quand un client vient chez nous, avec toute la conformité. C’est compliqué ouvrir un compte chez nous. C’est un premier point de bascule pour les joueurs. »

« C’est plus que juste ouvrir un compte et mettre une carte de crédit. Il y a beaucoup de vérifications. Il y a Equifax qui est en arrière-scène et qui valide certaines choses. La vérification d’âge, c’est plus que juste un “ oui ou non je suis majeur ”. C’est plus que le marché des opérateurs illégaux. Eux, ils veulent seulement un numéro de carte de crédit », a-t-il fait valoir.

« Si c’était un site physique, terrestre, l’enjeu ne serait pas le même. On fermerait les portes, ce serait facile. Ça l’est moins sur le web », reconnaît-il.

Concurrencer malgré tout

Cela n’empêche pas Loto-Québec de ne pas lâcher le morceau : « Loto-Québec est déterminée à compétitionner avec les opérateurs illégaux. On doit continuer à faire mieux, on doit continuer à bonifier notre offre. Si Loto-Québec ne prend pas sa place, d’autres le feront, mais ce ne sera pas avec la même éthique, la même responsabilité et certainement pas au bénéfice du Québec », a-t-il fait valoir.

Mais la partie ne s’annonce guère facile. Il prend pour exemple le pari sportif : « On est en train de faire une tournée des équipes sportives qui s’affichent aussi auprès de ces opérateurs illégaux pour leur dire : écoutez, c’est vrai que le produit qu’ils offrent à la télé est légal, mais vous savez maintenant. L’année passée, il y a deux ans il y avait de l’ambiguïté sur ces modèles d’affaires. Maintenant on sait que ce n’est pas légal, le jeu d’argent payant et, donc, qu’il y a un souci de réputation. Les organisations qui continuent à s’associer avec eux devraient se questionner au niveau des risques réputationnels, parce que c’est de plus en plus compris que ces joueurs-là ne sont pas légaux. »

D’ailleurs, Ottawa l’a compris, bien qu’un peu tard et seulement en partie. Jusqu’à tout récemment, il n’était pas permis de faire des paris sur un seul match ; il fallait parier sur des combinaisons de matchs : « C’est seulement depuis le 27 août dernier que le gouvernement fédéral a autorisé les provinces à le faire. Avant, c’était du pari sur plusieurs évènements. On n’avait pas le droit au pari simple, sinon, on l’aurait fait il y a longtemps. Tout le monde le demandait ».

Ainsi, en attendant de pouvoir retirer les joueurs illégaux de la partie, le législateur cherche à donner aux sociétés d’État provinciales un terrain de jeu plus égalitaire, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres pour les joueurs institutionnels canadiens.