Depuis 2015, les constructeurs québécois de maisons neuves doivent montrer patte blanche auprès de la Garantie de construction résidentielle. Mais le chien de garde de la qualité dans l’habitation manque de mordant… et demande à Québec de lui en donner davantage.

« On n’est pas outillés pour une situation comme Bel-Habitat »

Les règles que Québec a mises en place pour protéger les acheteurs de maisons neuves ont besoin de rénovations majeures. C’est le patron de la Garantie de construction résidentielle (GCR) lui-même qui le dit. Avec la faillite douteuse du constructeur Bel-Habitat, le chantier est devenu urgent, insiste Daniel Laplante en entrevue avec La Presse, sa première depuis la catastrophe de l’été dernier à Laval.

Lisez « Garantie des maisons neuves: ça prendra plus que du rafistolage »

« On n’est pas outillés pour une situation comme Bel-Habitat », plaide le gestionnaire, ancien attaché de presse et directeur de cabinet sous les gouvernements péquistes de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard.

L’entreprise a déclaré faillite en juin. Son propriétaire, Luc Perrier, a ainsi laissé tomber pas moins de 118 familles qui attendaient la livraison de leurs maisons à Laval. En vertu du règlement qui la régit, la GCR ne peut pas leur rembourser plus de 50 000 $, même si la plupart d’entre elles avaient confié à Bel-Habitat des sommes beaucoup plus importantes.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La faillite de Bel-Habitat a braqué les projecteurs sur la Garantie de construction résidentielle, qui se dit incapable de dédommager pleinement les victimes. « Quand j’ai vu la situation, je savais qu’on était pour prendre des décisions difficiles », dit le PDG Daniel Laplante, en entrevue avec La Presse.

Pour mieux protéger les consommateurs se retrouvant dans des situations semblables, Daniel Laplante compte recommander à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) une série de changements au règlement qui régit son organisation. Il appartiendra à la responsable de l’organisme, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, puis au Conseil des ministres, de les approuver.

Justement, dans une récente lettre au PDG de la RBQ Michel Beaudoin, que La Presse a obtenue, Andrée Laforest exige notamment pour le printemps 2022 une nouvelle version du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. Il reste à voir quelles modifications elle appuiera.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Désastre sans précédent à Laval

Le propriétaire de Bel-Habitat, Luc Perrier, a dépensé les généreux acomptes de ses clients en achetant d’autres terrains, sans avoir les fonds pour construire les maisons promises. Le syndic attitré au dossier, Jean Gagnon, de Raymond Chabot, a même déclaré en assemblée des créanciers que ces transactions s’apparentaient « à du Ponzi ».

Dans un tel système frauduleux, l’argent des derniers arrivés sert à rembourser les premiers investisseurs, jusqu’à ce que tout s’écroule.

Chose certaine, Luc Perrier « savait ce qu’il faisait », dit Daniel Laplante. Durant les trois années qu’a duré son manège, il avait la pleine confiance de la RBQ et de la GCR. Puis il a fait enregistrer 95 maisons « d’une shot » auprès de la Garantie, juste avant de faire faillite.

C’est là que je vous disqu’on est faibles au niveau de la fraude.

Daniel Laplante, PDG de la Garantie de construction résidentielle

Bel-Habitat s’est construite sur la transmission d’informations erronées aux acheteurs. « On ne peut rien faire contre un mensonge », dit M. Laplante.

41

Nombre de dépôts que la GCR a dû rembourser à des consommateurs pour des maisons jamais achevées avant Bel-Habitat, depuis ses débuts en 2015

91

Nombre de dépôts que la GCR devra rembourser seulement dans le dossier Bel-Habitat, un nombre qui augmentera encore dans les prochaines semaines

De 6 à 8 millions

Coût de la faillite de Bel-Habitat pour la GCR

2,5 millions

Coût du pire dossier d’entrepreneur pour la GCR avant Bel-Habitat

Les leçons d’une crise

Le PDG croit que la GCR doit « tirer des leçons » de cette faillite douteuse.

« On fait une analyse sérieuse, et on va faire des représentations adéquates auprès de la RBQ, ça c’est clair. »

Exemple d’amélioration possible : plusieurs maisons que Bel-Habitat était en train de construire avant sa faillite étaient presque terminées. La GCR affirme néanmoins qu’elle ne peut pas payer pour en finir la construction, parce que les lots où elles se trouvent n’appartenaient pas encore aux consommateurs ayant signé des contrats avec l’entreprise. Le règlement qui régit la Garantie exige qu’un acheteur soit déjà propriétaire du terrain pour parachever la maison.

Impossible d’outrepasser cette règle, assure Daniel Laplante.

CAPTURE D’ÉCRAN DE L’ASSEMBLÉE DES 
CRÉANCIERS DE BEL-HABITAT

Luc Perrier, propriétaire de Bel-Habitat

« Moi, mon vérificateur à la fin de l’année va dire : “T’as pris tant de millions dans le fonds de réserve, en fonction de quoi ?” Parce que j’avais beaucoup d’empathie pour ces gens-là ? Mais ce n’est pas une raison, ça… », explique-t-il.

Devant la situation que vivent les victimes de Bel-Habitat, la GCR dit qu’elle discute avec la RBQ pour déterminer si elle devrait modifier cette fameuse règle du terrain, déjà contestée en cour.

Luc Perrier, reconnu à Laval comme un vendeur hors pair, a passé des arrangements inhabituels avec ses clients. Daniel Laplante croit qu’une telle situation exige des mesures précises.

Est-ce qu’on ne pourrait pas prévoir dans le règlement quelque chose de particulier quand il y a vraiment des gens qui ont des intentions malicieuses ?

Daniel Laplante, PDG de la Garantie de construction résidentielle

Par exemple, plusieurs des consommateurs pris au piège ont confié à Luc Perrier des dépôts pouvant atteindre plus de 500 000 $, voire 700 000 $, pour financer la construction de leur nouvelle demeure, soit 14 fois le maximum assurable de 50 000 $.

Québec devrait songer à rehausser ce plafond, fixé lors de la réforme des plans de garantie en 2015, pense Daniel Laplante. « C’est sûr qu’avec l’effervescence de cette année, il y a beaucoup d’entrepreneurs qui nous disent que 50 000 $, ce n’est pas assez. »

Contrôler la fausse autoconstruction

D’autre problèmes préoccupent le patron de la Garantie. Son organisation a notamment besoin de meilleurs outils pour lutter contre la « fausse autoconstruction », selon lui. Dans un tel cas de figure, un consommateur prétend se charger lui-même de l’érection de sa maison. Dans les faits, il la confie plutôt à un entrepreneur général qui se présente comme un « gestionnaire de projet » pour échapper à ses responsabilités. Il paye ainsi moins cher, mais se retrouve sans protection en cas de pépin.

D’autres entrepreneurs prétendent construire pour eux-mêmes, mais dans les faits, ils revendent les maisons, sans les avoir enregistrées au plan de garantie.

« Notre service d’enquête détecte beaucoup de cas », dit Daniel Laplante.

Pour combattre le phénomène, la GCR songe à préciser la définition d’« entrepreneur » pour y inclure « toute personne agissant à titre de gestionnaire de projet, ayant le contrôle du chantier ou exécutant un minimum de deux éléments de construction majeurs ».

À l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), le vice-président aux affaires publiques, François Bernier, se dit en faveur d’un meilleur contrôle.

Là où on ne veut pasaller par contre, c’est de punir des gens qui fontvraiment de l’autoconstruction et embauchent des entrepreneurs spécialisés.

François Bernier, vice-président aux affaires publiques de l’APCHQ

À l’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC), le directeur général Marc-André Harnois est impatient de voir des changements se concrétiser à la GCR.

En juin 2019, la RBQ avait invité son organisme pour faire le point sur la Garantie. Depuis, plus rien.

Au-delà des acomptes et de la règle sur la propriété du terrain, l’ACQC croit également que la GCR devrait prendre des mesures pour obliger les constructeurs à respecter leurs contrats, malgré la hausse des prix des matériaux et de la main-d’œuvre. « Des entreprises ont réalisé que de ne pas respecter leur contrat, ce n’est pas si grave que ça », dénonce-t-il.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Terrain vendu par Bel-Habitat

La Garantie répond qu’elle est ouverte à l’idée.

La ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, n’a pas souhaité accorder d’entrevue à La Presse.

Joint au téléphone, le PDG de la RBQ, Michel Beaudoin, assure qu’il a bel et bien l’intention de « faire évoluer le règlement » sur le plan de garantie. « Les derniers événements nous permettent de mettre tout ça sur la table », dit-il au sujet des propositions de la GCR, sans vouloir les commenter dans le détail.

Les cotes de qualité des entrepreneurs gardées secrètes par Québec

Depuis 2017, la Garantie de construction résidentielle (GCR) classe les entrepreneurs en fonction d’une cote de qualité. L’organisme s’en sert pour déterminer le coût de la couverture et la fréquence des inspections pour chacun d’entre eux.

En mai 2019, la GCR a voulu rendre cette cote publique pour qu’elle puisse aussi guider les consommateurs dans le choix de leur constructeur. Le lobby de l’industrie s’y est toutefois opposé, puis a convaincu Québec de bloquer cette décision.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Depuis deux ans, les cotes de qualité attribuées aux entrepreneurs en construction sont gardées secrètes, malgré l’intention de la GCR de les rendre publiques.

« On était prêts. Mais le cabinet [de la ministre de l’Habitation, Andrée Laforest] nous a demandé de reporter temporairement la publication », avait expliqué en 2019 François-William Simard, vice-président aux communications de la GCR, à notre collègue Stéphanie Grammond.

L’industrie de la construction craignait que ces cotes ne donnent une mauvaise réputation à certains de ses membres, explique aujourd’hui Daniel Laplante, PDG de la Garantie.

On a voulu les publier, mais ça a créé un tollé.

Daniel Laplante, PDG de la GCR

À l’époque, l’organisme avait diffusé un communiqué annonçant son intention, que les associations de consommateurs avaient unanimement saluée. Plus de deux ans plus tard, le texte est toujours sur son site internet, même si la publication des cotes de qualité est toujours suspendue.

Malgré l’opposition des entrepreneurs, de la Régie du bâtiment et de Québec, le PDG de la GCR croit toujours que le client serait mieux servi s’il pouvait connaître la cote technique de son entrepreneur. « C’est sûr que notre projet de départ, c’était de la publier, dit Daniel Laplante. Si on veut être bien honnêtes, si on veut être juste logiques, là… »

La Garantie doit plutôt se contenter de dévoiler divers détails sur le dossier de l’entrepreneur. Parmi ces renseignements : le nombre de non-conformités observées dans ses constructions et leur gravité, les réclamations de consommateurs reconnues par adresse et les décisions dont il a fait l’objet en arbitrage.

Plus de deux ans plus tard, la vérificatrice générale du Québec a démontré l’inefficacité du système de protection du public dans la construction. Le 30 septembre, la RBQ a retiré toutes les licences des Habitations Trigone, l’un des plus importants constructeurs au Québec, qui a pu multiplier les malfaçons pendant des années dans ses condos (le Tribunal administratif du travail a suspendu cette sanction le 14 octobre).

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales et de l’Habitation

Rien pour pousser la ministre à modifier sa position. Dans un courriel à La Presse, le cabinet d’Andrée Laforest assure que les informations publiées sur le site de la GCR « sont beaucoup plus représentatives du dossier d’un entrepreneur qu’une simple cote ».

Selon son attachée de presse, Bénédicte Trottier-Lavoie, tout le monde s’est montré « satisfait » des informations disponibles en ce moment sur le site de la Garantie, y compris les associations de consommateurs.

En entrevue avec La Presse, le PDG de la Régie du bâtiment du Québec, Michel Beaudoin, explique que pour lui, le système de cotes à la GCR est « évolutif ». « Le questionnement se fera, c’est clair, dit-il. Je ne suis pas fermé à rien, au contraire. »

En bout de ligne, c’est toutefois à la ministre que revient la prérogative de trancher.

Quant à l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), elle a combattu l’idée de publier les cotes en 2019. Son vice-président aux affaires publiques, François Bernier, n’est toujours pas chaud à l’idée. Selon lui, leur diffusion risque toujours de léser des constructeurs, surtout les nouveaux venus sur le marché, qui n’ont pas encore subi assez d’inspections pour être cotés.

« Je vais attendre d’avoir des données là-dessus avant de me prononcer à nouveau. Moi, après, il faut que je me retourne vers mes entrepreneurs qui étaient défavorisés et j’ai besoin d’informations claires, dit-il. Le système, il faut vraiment en faire le tour et ne pas laisser des éléments qui font croire au public que quelqu’un n’est pas digne de confiance. »

Alors que l’organisation inspectait moins de la moitié des maisons accréditées encore l’an dernier, la Garantie prévoit avoir visité 60 % des chantiers en 2021. Daniel Laplante prévoit que cette proportion grimpera à 80 % l’an prochain, puis à 100 % en 2023.

L’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction, elle, s’était réjouie de la publication des cotes en 2019. Le directeur général Marc-André Harnois croit qu’il est grand temps de démontrer plus de transparence. « Il y a peut-être eu des ratés dans les premières années des cotes de la GCR, mais depuis ce temps-là, elles sont rendues solides. »

Avec Marie-Eve Fournier, La Presse