Ottawa a accordé à une exemption pour que le gros-porteur d’une compagnie portugaise achemine de l’eau potable à Iqaluit, privée de cette ressource. Si la décision est critiquée par l’industrie aérienne, Chrono Aviation, derrière la requête, reproche aux mécontents de vouloir « profiter d’une crise pour faire de l’argent ».

À deux reprises depuis le début de la semaine, un Airbus A330-900 de Hi Fly, qui peut accueillir de 260 à 300 personnes, s’est posé, sans passagers, sur la piste d’atterrissage de l’aéroport d’Iqaluit, au Nunavut. L’un des allers-retours s’est effectué de Mirabel, dans les Laurentides.

L’Association du transport aérien du Canada (ATAC) s’explique mal cette situation. Elle estime que des transporteurs canadiens, toujours secoués par la pandémie, se font damer le pion par une compagnie étrangère.

« Toutes les compagnies ont mal, ces temps-ci », affirme son président et chef de la direction, John McKenna.

Donner du travail au Portugal, c’est inacceptable. Il y a plein de compagnies au Canada qui peuvent accomplir ce travail.

John McKenna

Ces vols du A330-900 du transporteur Hi Fly, établi à Lisbonne, ont été effectués pour le compte de Chrono Aviation, compagnie québécoise qui a décroché le contrat auprès du gouvernement du Nunavut.

En soirée, jeudi, Transports Canada n’avait pas répondu aux questions envoyées par La Presse à propos de l’exemption accordée à Hi Fly.

« Le service de transport aérien doit se limiter au transport d’eau potable et d’équipements nécessaires en raison de l’état d’urgence », est-il expliqué dans un courriel signé par Colin Stacey, directeur général, politique aérienne chez Transports Canada, que La Presse a pu consulter.

Les exemptions doivent faire l’objet d’un avis. Celui-ci devrait être diffusé ce vendredi.

Mesure temporaire

Ce traitement spécial permet donc à Hi Fly de faire, jusqu’au 27 octobre, du cabotage – du transport de trafic intérieur par une compagnie étrangère –, ce qui n’est généralement pas autorisé par le cadre réglementaire actuel.

Nolinor avait effectué deux allers-retours vers Iqaluit la semaine dernière. Depuis, elle n’a pas reçu de nouvelles du gouvernement du Nunavut.

Non seulement on ne reçoit plus de demande, mais aussi on apprend qu’un transporteur portugais fait l’ouvrage à notre place. Et pas avec un avion-cargo, mais de passagers.

Marco Prud’Homme, président de Nolinor

Selon l’homme d’affaires et l’ATAC, il y a amplement d’appareils disponibles au pays pour répondre aux besoins du Nunavut et de sa crise de l’eau potable. Depuis le début de la pandémie, le gouvernement Trudeau n’a pas volé au secours d’entreprises comme Nolinor, a souligné M. Prud’Homme.

En accordant des exemptions qui permettent à des avions de compagnies étrangères de transporter des marchandises, l’homme d’affaires estime que Transports Canada laisse tomber les acteurs locaux.

Décision intelligente

Chez Chrono, le vice-président, Dany Gagnon, voit les choses d’un autre œil.

Si l’entreprise a demandé une exemption aux autorités fédérales, c’est parce que « personne n’avait les avions pour subvenir aux besoins urgents » des habitants d’Iqaluit.

« L’A330-900 est un avion de passagers dont le ventre [la soute] est amplement grand, affirme M. Gagnon. Juste en remplissant le ventre d’une cargaison d’eau potable, le poids maximal [pour voler] est atteint. »

Cet appareil permet d’effectuer moins d’allers-retours et, ainsi, de réduire le prix demandé, estime-t-il.

Le vice-président de Chrono juge que ses Boeing 737-200 destinés au transport de marchandises, à l’instar de ceux de Nolinor, n’étaient pas adéquats pour acheminer de l’eau potable à Iqaluit.

« Notre job a été de jouer les entremetteurs intelligents qui ont travaillé pour les gens d’Iqaluit et le gouvernement plutôt que de mettre de l’argent dans leur poche, affirme M. Gagnon. On a fait notre job de transporteur : admettre qu’on ne pouvait pas le faire [avec nos avions]. »

De l’avis du vice-président de Chrono, la demande d’exemption était la décision « intelligente et honnête » à prendre dans un secteur où certains ne « pensent qu’à leur poche ».