Dix ans après l’annonce d’investissements de plusieurs centaines de millions de dollars pour transformer nos déchets domestiques en énergie renouvelable, Montréal n’a toujours pas réussi à tirer un cent du contenu des bacs bruns.

Année après année, ces matières organiques qui coûtent cher à ramasser de porte en porte empruntent l’autoroute 40 vers Joliette, où la firme EBI les transforme en compost. Un plus petit volume de résidus verts est transformé en compost au Complexe environnemental de Saint-Michel, au parc Frédéric-Back.

Aucun revenu ne peut être tiré de ce compost, qui n’a pas la qualité requise pour être vendu sur le marché, explique Jean-François Parenteau, maire de l’arrondissement de Verdun et responsable des services aux citoyens au comité exécutif de la Ville de Montréal.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Il y a déjà plus de 10 ans que les Montréalais se sont fait convaincre de remplir un troisième bac, le bac brun.

Ça fait pourtant plus de 10 ans que les Montréalais se sont fait convaincre de remplir un troisième bac, le bac brun, pour que leurs résidus alimentaires puissent être transformés en énergie.

La biométhanisation permet de transformer le contenu des bacs bruns en gaz naturel et en un sous-produit, le digestat, qui constitue un engrais de meilleure qualité que le lisier pour enrichir les terres cultivées.

Un premier projet de biométhanisation

Des investissements estimés à 215 millions de dollars dans quatre centres de traitement des résidus domestiques et deux biométhanisateurs avaient été annoncés par l’administration de Gérald Tremblay en 2010, puis réannoncés par Denis Coderre. La mairesse Valérie Plante vient de donner le coup d’envoi à un premier projet de biométhanisation à Montréal-Est, qui coûtera 167 millions et qui devrait être prêt en 2022.

Cette première usine pourra traiter une partie des résidus organiques récupérés à Montréal par la collecte de porte en porte, soit 60 000 tonnes. Le reste continuera de devenir du compost sans valeur alors qu’il pourrait servir à chauffer les bâtiments municipaux, à faire rouler des voitures ou être vendu à Énergir.

« Une immense richesse se cache dans vos bacs bruns », dit la publicité du distributeur gazier, qui veut augmenter la part de gaz naturel renouvelable (GNR) dans son réseau. Cette part ne dépasse pas 1 % actuellement.

Jean-François Parenteau souligne que la collecte des bacs bruns vise deux objectifs : réduire le volume des déchets envoyés dans des terrains d’enfouissement qui débordent et produire de l’énergie renouvelable. « Le premier des objectifs est atteint puisque les déchets revivent sous forme de compost », dit-il.

Selon lui, le compost produit chez EBI reprend éventuellement la route pour être redistribué dans les villes de la Communauté métropolitaine de Montréal. « Il n’y en a jamais trop, dit-il, on en a toujours besoin. » Il précise que le compost sert dans les aménagements paysagers et qu’il est aussi distribué aux citoyens qui veulent enrichir leurs plates-bandes.

L’élu est toutefois le premier à déplorer que la Ville ne profite pas des revenus attendus de la valorisation des déchets domestiques. « La demande pour le gaz naturel renouvelable est incroyable », convient-il.

La charrue avant les bœufs

Alors que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement tient des audiences sur la gestion des ordures au Québec, la Ville de Montréal ne peut vraiment pas servir d’exemple, estime Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

« On s’est lancés un peu tête baissée là-dedans », constate-t-il à propos de la coûteuse collecte porte-à-porte des bacs bruns.

Selon lui, on aurait pu penser d’abord à ce qu’on ferait avec le contenu des bacs avant de lancer la collecte. « On a refait la même erreur qu’avec le recyclage », dit-il.

La Ville de Québec, qui a elle aussi un projet de biométhanisation des déchets domestiques, a décidé d’attendre que son usine de transformation soit fonctionnelle avant de distribuer les bacs bruns qui l’alimenteront.

La Ville de Montréal n’est pas la seule à tarder à investir dans la biométhanisation, souligne Karel Ménard. Seuls une poignée de projets ont déjà vu le jour, dont deux, à Warwick et à Saint-Hyacinthe, traitent essentiellement des résidus du secteur agricole et agroalimentaire, et pas le contenu des bacs bruns.

Énergir voudrait faire grimper la proportion de GNR qui transite dans son réseau de 1 % à 5 % en 2025. Selon elle, le réseau de distribution pourrait être alimenté à 60 % par du gaz naturel renouvelable si le potentiel des déchets du Québec était pleinement exploité.

Adam Beauvais, candidat à la maîtrise à HEC Montréal, s’est penché sur les possibilités de biométhanisation en milieu agricole. « Ça présente des défis, parce que la plupart du temps, il n’y a pas de réseau de distribution pour injecter le GNR [gaz naturel renouvelable] qui serait produit. »

Dans une ville comme Montréal, où le réseau gazier est développé et où le volume de matières organiques est abondant, ces inconvénients n’existent pas, explique-t-il.

Selon lui, la biométhanisation est la meilleure option de valorisation des matières organiques. « On crée de l’énergie à partir d’un extrant indésirable, en plus de produire un engrais de très haute qualité », résume-t-il.

Les retards et les tergiversations des villes à aller de l’avant avec leurs projets de biométhanisation semblent avoir découragé les fournisseurs potentiels qui se positionnaient pour obtenir des contrats. Aucun soumissionnaire n’a répondu à l’appel d’offres de la Ville de Laval qui voulait se doter d’un biométhanisateur au coût de 200 millions.

Des doutes soulevés

Dans son rapport publié en juin dernier, la vérificatrice générale de la Ville de Montréal, Michèle Galipeau, se pose des questions sur les projets de biométhanisation.

Voici un extrait de son rapport :

« En 2013, la Ville a présenté au comité exécutif un projet de 237 millions, dont 130 millions subventionnables, pour construire cinq infrastructures pour le traitement des matières organiques. Quatre des cinq infrastructures devaient être fonctionnelles en 2016. Or, en 2020, aucune infrastructure n’était encore en [fonction] et la Ville prenait la décision de n’en construire que deux pour un coût de près du double de ce qui avait été présenté en 2013 pour cinq infrastructures. »