Pour démarrer leur idée originale d’épiceries multiples en ligne epipresto.ca en 2019, Walid Baba-Moussa et son frère Djalil n’ont eu accès à aucun financement. Comme la majorité des immigrants qui se lancent en affaires au Québec.

Bien que l’intention entrepreneuriale soit plus forte chez les immigrants que chez les natifs du Québec, les immigrants sont moins nombreux à devenir entrepreneurs et obtiennent rarement du soutien financier, révèle une enquête de HEC Montréal.

Le concept d’épiceries multiples a germé dans la tête de Walid Baba-Moussa par une froide journée d’hiver, alors qu’il faisait ses courses dans différents commerces les deux pieds dans la neige. En 2019, l’idée était fort originale.

Originaires du Bénin, en Afrique, son frère Djalil et lui avaient obtenu leur diplôme en génie mécanique à Polytechnique Montréal, travaillaient dans le domaine au Québec, mais n’étaient pas citoyens canadiens. Un des principaux freins à l’obtention d’aide aux entrepreneurs.

On a pris les économies qu’on a réussi à faire en travaillant comme ingénieurs, raconte au téléphone Walid Baba-Moussa. Il n’y a pas d’autre solution. Mon frère n’était résident pas permanent, moi pas encore citoyen canadien, ce qui fait qu’on n’était pas encore admissibles aux concours, aux bourses et au financement. Ç’a pris du temps.

Walid Baba-Moussa

L’hiver dernier, les deux frères se sont inscrits au programme d’accompagnement de six mois pour développer leurs compétences entrepreneuriales, le Parcours Rémi-Marcoux, et ils ont enfin réussi à obtenir une bourse de 8000 $.

Pas de financement pour les non-résidents

Selon les résultats de l’enquête « Entrepreneuriat immigrant au Québec : un écosystème entrepreneurial catalyseur ou inhibiteur ? » réalisée sous la direction de Luis Cisneros (HEC Montréal) et Tania Saba (Université de Montréal), les personnes immigrantes font face à des obstacles en ce qui concerne l’accès au financement externe à cause de leur statut.

« Si on a un statut d’immigrant temporaire, un permis de travail, un permis d’études, ça veut dire qu’on n’a pas la résidence permanente. C’est très difficile d’avoir du financement, des subventions et de l’accompagnement, parce que la majorité des organismes qui font ces activités vont demander la résidence permanente », affirme Luis Cisneros, Ph. D., professeur titulaire et codirecteur de la base entrepreneuriale HEC Montréal.

Par exemple, durant la pandémie, 44,4 % des entrepreneurs natifs ont eu accès à une subvention, à un financement ou à un crédit d’impôt, alors que seulement 25,3 % des immigrants ont pu avoir ces aides, révèle l’enquête.

Les immigrants plus intéressés que les natifs

Lorsqu’on sonde l’intention entrepreneuriale de la population, on observe qu’elle est nettement plus élevée chez les immigrants. En 2020, ce sont 28 % des immigrants qui affirmaient vouloir un jour créer une entreprise, contre 14,7 % chez les natifs. Cependant, les données de l’enquête révèlent que le taux d’entrepreneurs immigrants et natifs qui se lancent finalement en affaires est presque le même, soit de 5,9 % pour les immigrants et de 5,5 % pour les natifs.

Le passage à l’acte a tendance à être même plus rapide pour les personnes immigrantes, même en période de pandémie.

Le degré de fermeture est quant à lui plus important dans le cas des personnes immigrantes, 15,9 % contre 11,3 %.

Historiquement, ceux qui ont le plus d’intention entrepreneuriale, ce sont les immigrants. Mais ce n’est pas parce que les immigrants ont deux fois plus d’intention entrepreneuriale que ça se traduit par le double d’entrepreneurs.

Luis Cisneros, professeur titulaire et codirecteur de la base entrepreneuriale HEC Montréal

Autres données révélatrices : l’envie de créer une entreprise a connu une croissance dans la population québécoise en général depuis 2009, passant de 7 % à 16,8 % en 2020. Or, le taux d’entrepreneurs connaît plutôt une décroissance. En 2014, il y en avait 14 %, un pourcentage qui a chuté à 5 % en 2020.

Une réserve puissante sous-utilisée

Plus de la moitié des immigrants de 18 à 34 ans a des intentions entrepreneuriales, indique l’enquête, soit 53,8 %, contre 31,7 % chez les natifs. Toutefois, ce taux s’inverse au moment du passage à l’acte. Seulement 2,4 % deviennent entrepreneurs, contre 4,3 % chez les natifs.

Le professeur observe un nombre important d’étudiants internationaux en entrepreneuriat dans les universités et cégeps québécois, qui connaissent la culture de la province et se créent des réseaux. Une réserve puissante qui est sous-utilisée selon lui et les autres auteurs de l’enquête.

« On crée des programmes pour attirer des entrepreneurs étrangers ici, c’est bon, mais on les a déjà, s’exclame le professeur. Avant de faire ça, pourquoi ne pas créer un écosystème pour les immigrants déjà formés, qui travaillent ici, qui connaissent le Québec et qui veulent se lancer en affaires afin qu’ils aient les mêmes conditions que les natifs ? »

Au moment où la relance économique est sur toutes les lèvres, le professeur croit que le moment est bien choisi pour réfléchir à cette question.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LAPRESSE

Portrait du co-auteur du rapport, Luis Cisneros, dans les locaux de la base entrepreneuriale HEC Montréal.

« Je suis mexicain d’origine, ça fait 15 hivers que je suis là et je me sens comme un cactus à l’érable tellement je me suis bien adapté, lance à la blague Luis Cisneros. Je pense que le Québec accueille bien les immigrants, mais je pense que c’est un moment clé pour dire : « Est-ce qu’on peut les aider plus ? » »

Les auteurs de l’enquête proposent des solutions, dont la sensibilisation des acteurs de l’économie aux biais inconscients qui font en sorte que les immigrants obtiennent moins de financement. Qu’il y ait également plus de diversité dans les comités et les organismes pour refléter tous les entrepreneurs. Le professeur suggère aussi que les programmes ne soient pas destinés qu’à une tranche de la population spécifique, comme les femmes ou les immigrants, mais offerts à tous pour que les gens d’affaires puissent tous se côtoyer, peu importe leur origine ou leur genre.