L’avènement de plateformes comme Zoom pendant la pandémie signifierait-elle la fin des voyages outre-mer pour un petit déjeuner d’affaires ? Peut-être, selon des experts.

Les voyageurs d’affaires se sont posés pendant la pandémie. Peu à peu, certains retrouvent leurs valises. Les compagnies aériennes le confirment : les voyages d’affaires reprennent, alors que le nombre de doubles vaccinés augmente et que l’obligation de la quarantaine s’estompe. Mais les passagers seront-ils aussi nombreux qu’en 2019 au sortir de la crise, alors que le milieu des affaires a prouvé qu’il pouvait se rencontrer, assister à des conférences et conclure des transactions par Zoom ou Teams ?

Le niveau d’activité des voyages d’affaires chez American Airlines se situe à 44 % de ce qu’il était avant la pandémie, affirmait récemment à CNBC le PDG, Doug Parker. Air Canada sent aussi une reprise depuis la fin du printemps. « Les indicateurs seront encore plus gros après la fête du Travail, dit en entrevue Lucie Guillemette, vice-présidente générale et chef des affaires commerciales d’Air Canada. Il ne faut pas s’attendre à ce que ça revienne à 100 % avant la fin de l’année, mais je pense qu’on aura une croissance constante. Aux États-Unis, la demande d’affaires est beaucoup plus avancée qu’au Canada, car les restrictions de voyage ont été plus souples qu’ici. »

Les habitudes ont changé et les entreprises se sont adaptées à une nouvelle réalité, convient toutefois Mme Guillemette.

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Lucie Guillemette, vice-présidente générale et chef des affaires commerciales d’Air Canada

On est conscients [des changements d’habitudes], mais confiants tout de même que le voyage d’affaires va revenir, car un niveau minimal de connexion humaine doit se passer. La forme sera peut-être différente, mais il y a des signes encourageants. Nos clients d’affaires et les agences de voyages nous le disent : il y a un désir de recommencer à voyager.

Lucie Guillemette, vice-présidente générale et chef des affaires commerciales d’Air Canada

On imagine néanmoins un corridor Montréal-Toronto moins achalandé à l’avenir. « Pour des voyages plus courts, ça va changer un peu, pense Lucie Guillemette. Les séjours pourraient être plus longs, les gens vont peut-être voir deux ou trois clients plutôt qu’un chaque fois. Reste que les entreprises ont hâte de revoir leurs clients. »

« La relation avec les investisseurs est au cœur de mon travail et la vente de camions est au cœur de celui de nos équipes, explique Isabelle Adjahi, vice-présidente, relations avec les investisseurs et développement durable, de Lion (véhicules électriques). Le contact client manque beaucoup à tous. On est prêts à repartir sur la route quand on sera autorisés à le faire. Il y a toute une partie intangible dans laquelle les gens investissent. Une relation de confiance se bâtit par des interactions physiques. »

Les rencontres en visioconférence ne risquent toutefois pas d’être rangées dans un tiroir de notre mémoire une fois la pandémie passée, d’après les témoignages recueillis par La Presse.

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Isabelle Adjahi, vice-présidente, relations avec les investisseurs et développement durable, de Lion

Zoom a eu du très bon, car on peut faire trois fois plus de rencontres avec les investisseurs. Il n’y a plus de barrière de pays. On peut faire les États-Unis, l’Europe et l’Asie dans la même journée.

Isabelle Adjahi, vice-présidente, relations avec les investisseurs et développement durable, de Lion

Alors qu’on voit poindre une « nouvelle normalité », la communauté des investisseurs entrevoit généralement un agenda composé désormais à 56 % d’interactions virtuelles et à 44 % en personne, selon un sondage du NASDAQ publié en juin. S’ils jugent primordial d’être en personne pour les premières rencontres, le face-à-face est moins pertinent pour des conférences, par exemple.

« Les réunions Zoom ne feront pas disparaître les voyages d’affaires, a affirmé Peter McNally, directeur mondial de la société Third Bridge Group, à Bloomberg. Peut-être que les trajets inutiles comme un aller-retour du PDG en Europe pour un déjeuner ne seront plus acceptés. Mais le reste des voyages d’affaires va reprendre, surtout avec le redémarrage de l’économie. »

En octobre 2020, le PDG de United Airlines disait même croire à un retour à la normale, mais pas avant 2024. « Le jour où une personne perdra un contrat aux mains d’un compétiteur qui va s’être déplacé, c’est la dernière fois qu’elle tentera de faire une vente par Zoom », a-t-il lancé.

« Les mentalités changent »

Les entreprises risquent d’être nombreuses à opter pour une formule hybride pour les relations d’affaires. « Maintenant, on va chaque fois se demander si c’est plus efficace en virtuel ou en personne, estime Anne-Marie Hubert, associée directrice pour l’est du Canada d’EY. Dans les réunions Zoom, on peut inviter cinq personnes de plus, pour donner de l’expérience et de la formation à une jeune employée, à un immigrant. Il y a tant de possibilités grâce aux technologies. »

« On a tous appris qu’on pouvait faire les choses par visioconférence, ajoute Stéphane Paquet, de Montréal International. Mais ça ne veut pas dire que les gens ne voyageront pas. »

Le PDG croit à un retour en deux temps. « Une fois que ce sera sécuritaire, les premiers mois, nous serons dans l’avion, envisage-t-il. Ce sera très occupé durant cette période, car on a perdu un an et demi en personne. Après, on fera peut-être moins de voyages. Mais pour les gens qu’on ne connaît pas, le contact est nécessaire. Ce n’est pas vrai que, dans une réunion Teams de 30 minutes, on développe une relation au même titre qu’en prenant un café en personne. »

Montréal International insiste toutefois : pas de voyages en avion tant que ce ne sera pas sécuritaire.

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Stéphane Paquet, PDG de Montréal International

[La sécurité], c’est la priorité. Le processus pour autoriser un voyage sera plus long. Est-ce que ta santé est à risque ? Que couvrent les assurances ? Les choses coûteront aussi plus cher, car il y aura peut-être moins d’offres.

Stéphane Paquet, PDG de Montréal International

Or, les entreprises voudront-elles investir autant en déplacements ? « Les mentalités changent, estime Charles Lalumière, président d’Edge Future. Les gens doivent justifier leur voyage. Des entreprises ont sauvé des centaines de milliers de dollars en déplacements pendant la pandémie. »

Selon le spécialiste en téléprésence, de plus en plus d’organisations équipent leurs locaux avec les dernières technologies de visioconférence. « Les gens améliorent l’expérience Zoom et Teams, affirme Charles Lalumière. Ils travaillent dans des salles qui permettent des présentations plus dynamiques. Je les équipe comme à la télé pour casser la monotonie. »

Alors qu’on doit de plus en plus montrer une volonté de carboneutralité, la diminution du nombre de déplacements sera peut-être considérée par les directions pour atteindre leurs cibles. « Plus de 50 % des investisseurs demandent un plan concret pour 2050 de réduction des émissions, dit Anne-Marie Hubert. C’est clair qu’il faut penser aux déplacements, à la flotte de transport, aux bâtiments… »

« On a des moyens de réduire notre empreinte, indique Isabelle Adjahi. On a réussi à vendre nos véhicules électriques pendant la pandémie. Mais les investisseurs doivent voir de façon tangible ce qu’on fait. Il faut toutefois des gestes durables autant que possible. »

La COVID-19 a accéléré la réflexion et encourage les dirigeants à prendre le meilleur des deux mondes, juge Anne-Marie Hubert. « Bien des gens consacraient beaucoup de temps pour aller et revenir, dit-elle. Or, certains déplacements sont plus exigeants, comme Montréal-Dallas. On perd notre semaine pour six heures de contenu pertinent. »