Non, tranche un juge dans une décision qui pourrait rapporter plusieurs millions à Montréal aux termes de négociations avec la Société du Vieux-Port

Le Vieux-Port, où l’on retrouve un cinéma IMAX, les Terrasses Bonsecours, des stationnements, une grande roue et une panoplie d’activités commerciales, est-il un parc ? Pas selon la Cour fédérale, qui taille en pièces plusieurs des arguments brandis par la société qui gère le site afin de se soustraire à un mécanisme fiscal avec la Ville de Montréal.

Ce litige, qui remonte à 2014 et dont le dénouement est survenu le 30 juillet dernier, risque de s’accompagner d’une facture de plusieurs millions de dollars pour la Société du Vieux-Port de Montréal. La décision du juge Peter Pamel l’oblige à négocier avec la municipalité pour trouver un terrain d’entente sur les sommes à payer. Selon le dossier de cour, en 2020, le manque à gagner atteignait au moins 22,8 millions. Le magistrat suggère également le paiement d’un « supplément de retard » à la Ville, puisque les choses traînent en longueur.

Les sociétés de la Couronne comme le Vieux-Port sont exemptées de l’impôt foncier, puisqu’elles jouissent d’une immunité fiscale. En contrepartie, un mécanisme les oblige à verser des sommes aux municipalités où elles sont implantées en fonction notamment de l’usage de leurs propriétés en vertu de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts (LPRI).

Il existe cependant une exception à la règle lorsqu’il s’agit d’un parc. C’est cette disposition qui était évoquée depuis 2014 par la Société du Vieux-Port, qui, dans ses arguments, soutenait que le site « dans son ensemble, incluant le Quai Alexandra », était un parc. En 2013, c’est 3,7 millions qui avaient été reçus par Montréal en vertu de la loi.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Selon le juge Peter Pamel, « le site du Vieux-Port a été développé comme destination urbaine aux fins d’amusement et de divertissement ».

Mais aux yeux du juge Pamel, lorsqu’un site « développé comme un parc d’attractions » abrite des endroits comme le spa Bota Bota et le Centre des sciences, en plus d’accueillir le Cirque du Soleil « tous les deux ans », le portrait est différent.

Il me semble plutôt que le site du Vieux-Port a été développé comme destination urbaine aux fins d’amusement et de divertissement, avec des vendeurs et des kiosques à travers le site pour répondre aux besoins du public payant.

Le juge Peter Pamel, dans sa décision de 122 pages

La Société du Vieux-Port, elle, estimait que le qualificatif de « parc » s’appliquait au site, étant donné qu’on y retrouve des espaces verts aménagés avec des arbres et des étangs. De plus, des endroits comme le Centre des sciences et le cinéma IMAX sont utilisés à des fins « éducatives, récréatives et scientifiques ». Par ailleurs, tous les grands parcs de la métropole sont dotés de stationnements, selon le Vieux-Port.

Analyse remise en question

Le magistrat ne se contente pas de trancher en faveur de Montréal dans sa décision. Il écorche également la Société du Vieux-Port en lui reprochant d’être allée au-delà du pouvoir discrétionnaire que lui confère la LPRI – qui donne le droit aux sociétés de la Couronne de déterminer les paiements à faire aux municipalités.

De l’avis du juge Pamel, le Vieux-Port a effectué une interprétation « déraisonnable » de « la plupart des exceptions » de la définition des règles fiscales.

« Je ne peux pas concevoir qu’une personne raisonnable puisse s’imaginer que je me dirige vers un cinéma IMAX, une foire alimentaire ou un centre scientifique, par exemple, si je lui dis que je vais dans un parc », souligne-t-il.

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La Société du Vieux-Port estimait que le qualificatif de « parc » s’appliquait au site, étant donné qu’on y retrouve des espaces verts aménagés avec des arbres et des étangs.

À un « moment donné », le site était peut-être considéré comme un parc au « sens traditionnel du mot », mais les nombreuses « opérations commerciales » lui ont fait perdre « l’essence de ce qu’il a pu être par le passé ».

Certes, quelques parties du Vieux-Port peuvent être vues par certaines personnes comme un « havre de paix », est-il souligné, mais le site, considéré comme la destination touristique « numéro 1 […] à Montréal et au Québec », est loin d’être un « havre de paix » comme c’est le cas pour un parc naturel.

Sur son site web, le Vieux-Port indique accueillir annuellement plus de six millions de visiteurs – dans un contexte où il n’y a pas de crise sanitaire – et vante, aux côtés d’attraits historiques, ses « magnifiques terrasses », sa plage urbaine ainsi que sa patinoire « parmi les plus belles au pays ».

Le juge Pamel donne quand même raison à la Société du Vieux-Port sur certains aspects. Ainsi, ce n’est pas l’intégralité du site qui doit être assujettie à la LPRI. La passerelle surélevée du quai Jacques-Cartier, la promenade du Vieux-Port et la promenade des Artistes ainsi que la route du Port peuvent être écartées.

Si les deux parties ne sont pas en mesure de s’entendre au terme de la fenêtre de 30 jours qui a été accordée par le magistrat, des observations écrites devront être déposées auprès du tribunal.

Mercredi, la Société du Vieux-Port n’a pas voulu commenter la décision de la Cour fédérale, disant vouloir prendre connaissance des détails. Elle pourrait faire appel de la décision d’ici le 1er octobre. Dans une déclaration, la Ville de Montréal a dit accueillir « favorablement » le jugement, sans aller plus loin, puisqu’elle est dans « l’attente des décisions » qui doivent être prises par le Vieux-Port.