Le groupe Prével a entrepris la construction de la première phase de l’Esplanade Cartier, tout juste à l’est du pont Jacques-Cartier, un projet audacieux de 2000 unités d’habitation réalisé dans un environnement mixte de condos, logements locatifs, bureaux, commerces de proximité et places verdoyantes. Il s’agit aussi du plus important projet que met en branle Laurence Vincent, présidente et cheffe de la direction depuis le 1er janvier du groupe de développement immobilier fondé par son père Jacques Vincent. La PDG nous raconte son cheminement et sa vision du développement.

Vous étiez depuis trois ans la coprésidente de Prével avec Jonathan Sigler, un associé de longue date de votre père. Comment s’est déroulée la transition ?

J’ai succédé à mon père en 2018 comme coprésidente de Prével. Depuis quelques années, mon père souhaitait progressivement se retirer, et on a été accompagnés durant deux ans par une firme spécialisée en transfert d’entreprise.

Jonathan, qui s’est joint à mon père au début des années 1990, n’était pas prêt à quitter tout de suite et c’est pour ça qu’on a codirigé. Autant il était complémentaire à mon père, autant il l’a été avec moi. Graduellement, Jonathan a pris un peu de recul. C’est un grand sportif et il voulait en profiter un peu plus. Disons que la pandémie m’a mise en pleine responsabilité.

Était-ce une ambition de longue date de vouloir succéder à votre père et de diriger cette entreprise qui a réalisé plus d’une quarantaine de projets immobiliers dans la grande région de Montréal ?

Non, pas du tout. Après avoir décroché mon bac en histoire à l’Université de Colombie-Britannique, en 2004, je suis revenue à Montréal et mon père m’a demandé si je voulais m’occuper du service après-vente d’un projet de construction de maison de retraite qui arrivait à terme. Je prévoyais aller travailler pour des organisations internationales ou devenir journaliste.

J’ai commencé comme ça, sur une base temporaire, puis de projet en projet, j’ai fait toutes sortes de mandats : sur les chantiers, aux ventes, au marketing, en conception, aux communications. J’ai pris une pause pour compléter un MBA à HEC et je suis revenue en 2009 comme vice-présidente aux ventes.

Qu’est-ce qui vous a convaincue de poursuivre dans le domaine du développement immobilier ?

J’ai été très impressionnée par la réputation qu’avait acquise Prével dans le marché. Mon père était reconnu comme un homme de parole, droit, et nos projets immobiliers amélioraient la vie des gens et des quartiers. On pouvait faire une différence et revitaliser des lieux négligés dans le passé. On n’a qu’à penser au projet Lowney, dans Griffintown. Ça a commencé par la conversion de deux petites usines abandonnées pour se terminer avec un projet en 15 phases et 1700 condos qui ont réanimé tout un quartier.

C’est la marque de commerce de Prével de revitaliser et de développer des quartiers mal aimés et c’est ce que vous faites actuellement avec l’Esplanade Cartier. Comment est née cette vision de la revitalisation urbaine ?

À la fin des années 1990, l’industrie immobilière a été en crise. Durant cinq-six ans, il ne se vendait pas et ne se construisait pas de maisons neuves. Prével avait 17 projets de front, ç’a été une période très difficile. Mon père s’est lancé dans le projet du Quai de la Commune, puis s’est toujours limité à un certain nombre de projets menés simultanément.

C’est encore votre modèle. Combien de projets gérez-vous actuellement ?

Idéalement, on souhaite mener quatre projets de front. C’est la meilleure façon d’optimiser nos ressources. On est une petite équipe d’une centaine de personnes, et chaque groupe, que ce soit les ventes et le marketing, les acquisitions, le développement, la gestion de chantiers, les services après-vente, est pleinement occupé.

Aujourd’hui, on construit la première des six phases de l’Esplanade Cartier. On a 400 000 pieds carrés à développer au centre-ville de Montréal. Il y aura 2000 unités d’habitation, dont le tiers sera en location, des espaces de bureaux aux premiers étages, un supermarché et des commerces de proximité au rez-de-chaussée.

On a aussi le projet Quartier Général dans Griffintown, où on construit 300 condos aux abords du canal de Lachine, et le Bellerive, à Tétreaultville, avec 600 condos et maisons de ville.

Vous avez fait l’acquisition de terrains à Brossard. Vous souhaitez sortir un peu de Montréal ?

Ça fait partie de notre stratégie. Aujourd’hui, notre vision est de nous implanter en milieu urbain à revitaliser et autour des grands pôles de transport en commun. On a fait deux acquisitions REM, dont celle de Brossard à proximité de la station Panama.

Vous avez dû payer la plus-value foncière qu’exige la Caisse de dépôt. Est-ce que ce sera le cas à l’Esplanade Cartier, où la Caisse souhaite faire circuler le REM sur le boulevard René-Lévesque ?

On a fait les acquisitions REM en sachant qu’on devait payer une prime, mais notre projet Esplanade, ce n’est pas un projet REM. Il a été développé et entrepris avant qu’on annonce la possibilité d’y faire circuler le REM, et je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’installer cette infrastructure en hauteur. Ce n’est pas un mode de transport urbain. Partout, on a réduit les infrastructures en hauteur, que ce soit l’échangeur Turcot ou celui de l’avenue des Pins. La station de métro Papineau est à 150 mètres de l’Esplanade. À la rigueur, un tramway serait beaucoup plus approprié.

Est-ce que vous appréhendez la crise immobilière que de plus en plus d’experts évoquent avec la flambée des prix qu’on a connue l’an dernier ?

On n’est pas dans la situation de Toronto ou de Vancouver. On offre des unités d’habitation qui se détaillent entre 250 000 $ et 600 000-700 000 $, ce qui est encore abordable. Les prix des terrains sont en hausse, les coûts de construction augmentent, mais on a été moins affectés que les rénovateurs par la hausse des prix du bois. On vit présentement un enjeu avec la pénurie de béton, attribuable, selon moi, à la multiplication des travaux d’infrastructures.

Est-ce que vous voyez encore un potentiel de nouveaux développements immobiliers à Montréal ou est-on arrivé à un point de saturation ?

Vous ne pouvez pas savoir tout le potentiel de développement qu’il reste à Montréal. On irait marcher et vous verriez que rue Saint-Catherine Est, il faut densifier en construisant en hauteur pour ramener un peu de vie dans le quartier.

Il n’y a pas de commerces parce qu’il n’y a pas la densité de population nécessaire. Beaucoup de petits centres commerciaux pourraient être transformés en incorporant une mixité verticale. On peut observer la même situation dans une multitude de quartiers à Montréal.