Qu’est-ce que le Québec pourrait mieux faire avec son énergie propre et abondante ? Alors qu’Hydro-Québec consulte les Québécois sur les choix qui s’offrent à eux, la création d’un marché commun de l’électricité dans le nord-est du continent pourrait être une occasion à saisir pour le Québec et la planète.

C’est le temps où jamais de réaliser un programme de libre-échange de l’électricité dans le nord-est de l’Amérique du Nord, propose Marcel Boyer, professeur émérite à l’Université de Montréal et fellow du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), dans un texte publié ce vendredi dans la section Débats.

« Une occasion historique se présente aux gouvernements provinciaux de l’est du Canada, au premier chef ceux de Terre-Neuve, du Québec et de l’Ontario », explique le professeur lors d’un entretien avec La Presse.

À bien des égards, la mise en commun des ressources énergétiques entre voisins est un bon plan. Dans le cas de l’électricité, elle permettrait d’équilibrer l’offre et la demande, d’optimiser l’efficacité énergétique et d’éviter de construire inutilement des infrastructures coûteuses.

Le secteur de l’énergie est en train de se transformer profondément avec la montée en puissance des énergies renouvelables. Nombre de spécialistes pensent que le temps est venu de repenser le modèle québécois.

Il y a des gains énormes à faire pour le Québec à mettre les capacités de production en commun. L’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] le dit depuis des années. Si on le fait correctement, tout le monde va en bénéficier.

Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie

L’idée de faire circuler librement l’électricité entre provinces ou États voisins n’est pas nouvelle. C’est ce que font déjà le New England Power Pool et ISO New England pour les États de la Nouvelle-Angleterre. En Europe, des pays comme l’Allemagne, la France et le Danemark s’échangent depuis longtemps de l’électricité en comptant les uns sur les autres pour assurer leur sécurité énergétique.

Élargi au nord-est du continent, le libre-échange de l’électricité enrichirait les producteurs, comme le Québec, Terre-Neuve-et-Labrador et l’Ontario. Il réduirait les émissions de gaz à effet de serre associés à la production d’électricité aux États-Unis, mais aussi dans les provinces maritimes, qui comptent encore sur l’énergie fossile. Le prix de l’électricité aurait tendance à s’équilibrer dans la zone de libre-échange, ce qui implique des économies pour la plupart des consommateurs de la zone de libre-échange et une augmentation de la facture pour les consommateurs québécois, qui serait plus que compensée par une augmentation des profits d’Hydro-Québec, dont les ventes augmenteraient.

« Il va falloir plus d’électricité dans le nord-est du continent, renchérit Marcel Boyer. Les provinces qui ont des ressources pourraient les exploiter de façon rentable. »

En plus, l’hydroélectricité permet au solaire et à l’éolien, des énergies intermittentes, de continuer de se développer, ce qui est une autre bonne raison de mettre nos énergies en commun, selon le professeur.

Le libre-échange existe

Le libre-échange de l’électricité, ça existe pratiquement déjà, observe Pierre Godin, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine. « Il n’y a pas de tarifs douaniers qui s’appliquent au commerce de l’électricité », précise-t-il.

Ce qui limite les échanges, selon lui, c’est que « les États veulent toujours développer leur propre production avant d’acheter des voisins, pour atteindre une sorte d’autonomie énergétique ».

Les États de la Nouvelle-Angleterre, notamment le Massachusetts et New York, ont entrepris de développer les énergies renouvelables, dont le coût marginal est maintenant moins élevé que celui des énergies fossiles, et même moins cher que le gaz naturel.

Pierre Godin, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine

Pour Pierre-Olivier Pineau, cette obsession de la sécurité énergétique est difficile à comprendre. Les Américains se méfient d’Hydro-Québec, qui est un partenaire fiable depuis des années, « mais à New York, on consomme beaucoup de gaz et de pétrole, et il n’y a aucune ressource locale, observe-t-il. Il y a des considérations de sécurité énergétique réelles, mais il faut mettre ça en perspective. Les Allemands dépendent du gaz russe ; c’est une considération de sécurité énergétique encore plus réelle ».

Pierre Godin est d’avis que le Québec devra bientôt prendre des décisions qui engageront son avenir pour les 30 ou 40 prochaines années. Actuellement, Hydro-Québec profite des exportations aux États-Unis parce qu’il y a des surplus. « C’est du profit pur et c’est extrêmement séduisant », estime-t-il.

Mais à moyen terme, selon lui, Hydro-Québec devra trouver un moyen de transformer ses exportations d’énergie en vrac en produits à plus haute valeur ajoutée. « L’énergie en vrac va être plus difficile à exporter à mesure que le stockage va se développer », dit-il.

Il faudra trouver le moyen de rentabiliser les capacités de stockage que peut offrir Hydro-Québec à ses voisins, ou bien garder l’électricité au Québec pour fabriquer des produits verts à haute valeur ajoutée (aluminium, hydrogène, lithium).

Le syndrome du Nouveau-Brunswick

Malgré ses avantages évidents, un marché commun de l’électricité dans le nord-est du continent reste encore un rêve d’économistes. Même le professeur Boyer l’admet : « On a encore beaucoup de chemin à faire. »

D’une part, il y a des obstacles techniques à la libre circulation de l’électricité, observe Jean-Thomas Bernard, économiste spécialisé en énergie. De l’autre, les principaux obstacles sont de nature politique. « L’électricité a encore une forte dimension régionale, et il n’y a pas beaucoup de gouvernements qui sont prêts à la laisser aller », explique-t-il.

Il donne l’exemple de la population du Nouveau-Brunswick, qui, en dépit de l’assurance de tarifs d’électricité moins chers, a mis dehors le gouvernement qui avait accepté de vendre Énergie NB à Hydro-Québec en 2009 et fait avorter la transaction.

Malgré leurs intérêts communs, le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador n’ont toujours pas réussi à s’entendre sur l’avenir du contrat de Churchill Falls, qui expire en 2041. Terre-Neuve a même décidé de poursuivre seule son développement hydroélectrique avec Muskrat Falls, un projet qui risque de mener la province à la faillite.

L’Ontario a jugé préférable de rénover ses centrales nucléaires en fin de vie plutôt que de s’approvisionner en électricité du Québec, ce qui serait une solution moins coûteuse.

Ces exemples alimentent le scepticisme de Pierre-Olivier Pineau sur un éventuel marché commun de l’électricité. « Je suis pessimiste, dit-il, parce que quand il est question d’électricité, les gens sont irrationnels. »

(LIEN VERS LE TEXTE DE MARCEL BOYER DANS LA SECTION DÉBATS SVP)