La STM recommande de réduire « au minimum » les activités du bureau de projet de la ligne bleue tant que le flou entourant l’avenir du dossier n’aura pas été dissipé, a appris La Presse. La ministre déléguée aux Transports assure de son côté que le prolongement ira de l’avant, mais qu’une des cinq stations pourrait être éliminée.


Lundi, La Presse a révélé que la Société de transport de Montréal (STM) avait tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises pour dénoncer la gouvernance « déficiente » du projet. La STM est le maître d’œuvre de ce chantier de 5,8 kilomètres et cinq stations, mais dans les faits, 14 comités distincts apportent leur grain de sel au sein d’une structure « extrêmement complexe ».

Le bureau de projet génère des coûts de 4 millions de dollars par mois, peut-on lire dans un rapport interne présenté au conseil d’administration de la STM en février dernier. Qui plus est, chaque mois de retard ajoute 15 millions de plus à la facture, sans aucune valeur ajoutée au projet, précise-t-on.

Pour éviter de gaspiller davantage de ressources dans un projet qui sera sans doute « significativement modifié par les partenaires », la STM a proposé de retrancher temporairement entre 5 et 40 ressources des quelque 200 employés de son bureau de projet.


La ministre « confiante »


La ministre déléguée aux Transports et responsable de la Métropole, Chantal Rouleau, a créé en avril un « groupe d’action » pour revoir significativement à la baisse les coûts du projet de la ligne bleue. L’estimation de la facture est passée de 3,9 milliards en 2018, à 4,5 milliards l’année suivante, puis à 6,1 milliards actuellement.

Les délais s’accumulent aussi, si bien que la STM ne croit pas pouvoir livrer la ligne bleue avant au moins 2027, sinon plus tard.

Des dirigeants de la STM, de la Ville de Montréal et de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) siègent notamment à ce comité, qui devra faire part de ses recommandations à Chantal Rouleau le 23 juin. L’objectif : ramener la facture autour de 4,5 milliards.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Chantal Rouleau, ministre déléguée aux Transports et responsable de la Métropole

« Ce sont les personnes les mieux placées, qui sont imputables, qui ont l’expertise, ils ne sont pas nombreux », a fait valoir la ministre en entrevue avec La Presse.

« Il y a un budget qui a été identifié déjà, il y a une portée et un échéancier, a-t-elle précisé. Comment peut-on faire pour optimiser le projet ? Pour s’assurer qu’il se réalise ? On n’a pas deux ans : je leur ai donné trois mois. »

Certains scénarios ont déjà été évoqués par la STM et la Ville de Montréal pour réduire la facture du projet, comme le retrait d’édicules secondaires, d’ascenseurs ou encore de stationnements incitatifs et terminus d’autobus.

Chantal Rouleau souhaite conserver les cinq stations, mais elle reconnaît que toutes les cartes sont sur la table. Il n’est pas exclu que l’une d’elles soit éliminée.

« Dans toute l’évaluation, c’est sûr qu’il y a des scénarios, souligne-t-elle. Nous, notre objectif, ce qu’on veut, c’est cinq stations du métro Saint-Michel jusqu’à Anjou. Mais on ne peut négliger les scénarios comparatifs, ce qui va nous permettre de prendre les meilleures décisions. »

S’arrimer au REM

Le comité vise aussi à assurer un arrimage harmonieux entre la ligne bleue et le « REM de l’Est ». Ce projet de 10 milliards, piloté par une filiale de la Caisse de dépôt et placement, prévoit 23 stations étalées sur 32 kilomètres et au moins une interconnexion avec le futur tronçon de la ligne bleue.

Plusieurs sources bien au fait du dossier ont affirmé à La Presse que la STM avait appris l’existence de ce nouveau projet la veille de l’annonce du 15 décembre dernier, ce qui a causé toute une commotion.

Le rapport déposé au conseil d’administration de la STM en février, que La Presse a obtenu, avance lui aussi que la STM a été informée à 24 heures d’avis de l’existence du REM de l’Est, un projet réalisé « en silo ». « Il s’agit pourtant d’un projet majeur qui a des impacts significatifs […] et qui ajoute des jalons qui n’étaient pas compris à l’échéancier maître du projet », écrit-on.

Faux, rétorque la ministre Rouleau. Elle soutient que les partenaires du projet étaient informés bien avant.

Quoi qu’il en soit, plusieurs questions demeurent sur la manière dont pourront cohabiter deux chantiers aux modes de fonctionnement très distincts. CDPQ Infra bénéfice d’une série de pouvoirs accrus pour réaliser ses projets de façon accélérée, notamment en matière d’expropriation.

La STM doit quant à elle fonctionner selon un mode plus classique, même si l’adoption du projet de loi 66 en décembre dernier à l’Assemblée nationale lui donnera davantage de latitude pour réaliser les dernières expropriations.

« Les modes sont quand même complémentaires : il y a une façon de faire avec le mode traditionnel et une façon de faire avec le privé, dit Chantal Rouleau. C’est complémentaire, ça ne va pas l’un contre l’autre. La preuve, CDPQ est intégré dans les rencontres [du comité], pour s’assurer d’un arrimage avec le REM de l’Est et la ligne bleue. »

Mme Rouleau fait valoir que le projet de la ligne bleue aurait pu bénéficier de pouvoirs accrus plus rapidement si la première mouture du projet de loi 66 avait été adoptée l’an dernier. « Il a fallu s’y prendre à deux fois. Ce sont des députés de Montréal qui ont refusé. »

Elle se défend par ailleurs d’avoir annoncé un projet « politique » pour plaire à une frange de la population avec le REM de l’Est. « Ce n’est pas une question politique, sinon de volonté politique de donner enfin à une population qui est mal desservie un mode de transport enfin digne de ce nom. »

L’opposition bondit

Des députés des trois partis de l’opposition à Québec ont réagi avec vigueur aux révélations de La Presse sur les failles de gouvernance du projet de la ligne bleue — tirant à boulets rouges sur le gouvernement caquiste de François Legault.

« Pendant que la CAQ déroule le tapis rouge à CDPQ Infra et lui donne tous les pouvoirs pour que le REM avance à la vitesse de l’éclair, elle met des bâtons dans les roues de la STM et n’écoute pas ses doléances quand elle alerte le MTQ sur les problèmes de gouvernance qui l’empêchent d’avancer », a fait valoir la députée Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire en matière de transports.

« D’apprendre que la STM n’a pas été mise au fait du développement du REM de l’Est, que les problèmes de structure et de gestion sont connus depuis un an, et d’apprendre que la ministre déléguée aux Transports et le ministre viennent tout juste de se réveiller au mois d’avril, c’est troublant, c’est à se demander s’il y a un pilote au ministère ! », a pour sa part déclaré Joël Arseneau, porte-parole péquiste en matière de transports.

Le libéral Enrico Ciccone a quant à lui jugé « choquantes » les révélations de La Presse. « Le gouvernement n’a aucune ambition pour la ligne bleue et c’est désolant. Actuellement, c’est 500 000 $ par jour qui se perd et dont les contribuables paient les frais. »