La vague commence juste à déferler. Le nombre d’entreprises qui crient à l’aide augmente chaque jour, et partout dans le monde, la faillite guette une multitude d’entre elles. Elles ne pourront pas toutes être sauvées. Et il ne faudrait pas les sauver toutes non plus.

Le cycle de vie des entreprises est semblable à celui de l’humanité. Chaque crise fait tomber les plus fragiles d’entre elles et la pandémie actuelle, qui a plongé le monde en récession, laisse présager une hécatombe sans précédent dans la population des entreprises.

Parmi celles qui survivront, il y en aura un certain nombre qui auraient dû mourir. Elles viendront plutôt rejoindre la population croissante des entreprises zombies, qui parasitent l’économie.

Une entreprise zombie est une entreprise qui ne fait pas de profit depuis des années et qui poursuit ses activités parce qu’elle continue d’avoir accès à des capitaux par l’entremise des banques, des actionnaires ou des gouvernements. On en connaît tous, mais on n’en nommera aucune ici, même si c’est tentant.

Les entreprises zombies ne sont pas un nouveau phénomène. Le Japon en a fait vivre pendant les années 1990, lors de ce qu’on a appelé la décennie perdue. Dans ce cas particulier, les banques japonaises continuaient de financer des canards boiteux pour ne pas avoir à fragiliser leur bilan en radiant leurs mauvais prêts, comme elles auraient dû le faire.

L’exemple du Japon est bien connu, mais le nombre d’entreprises zombies est en augmentation dans tous les pays développés. C’est ce que constate une étude récente de la Banque des règlements internationaux (BRI), qui est la banque des banques centrales des principaux pays industrialisés.

Entre 1980 et 2017, la proportion d’entreprises qui répondent à la définition d’entreprise zombie est passée de 4 % à 15 % dans les 14 pays avancés qui ont fait l’objet de l’examen. Il s’agit uniquement d’entreprises dont les actions sont inscrites sur le marché boursier, ce qui veut dire que le nombre d’entreprises qui ne devraient pas être encore en vie faute de rentabilité est en réalité beaucoup plus élevé.

C’est au Canada, en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis que le nombre d’entreprises zombies est le plus élevé. Elles représenteraient jusqu’à 30 % des entreprises à capital-actions au Canada, selon la BRI. Leur nombre tend à augmenter plus rapidement depuis la crise financière de 2008-2009.

Des parasites

La crise actuelle a forcé les banques centrales à réduire les taux d’intérêt au plancher et même au sous-sol, avec des taux négatifs. Elle a aussi conduit les gouvernements à accorder un appui financier sans précédent aux entreprises. Ce sont deux facteurs qui risquent de faire augmenter considérablement le nombre d’entreprises zombies : endettement facile et aide publique.

En Allemagne, les économistes viennent de sonner l’alarme, selon un sondage de l’IFO Institute, qui indique que la majorité d’entre eux s’attendent à une augmentation du nombre d’entreprises non viables. Pourquoi s’en inquiéter ? Parce que les entreprises qui mériteraient de mourir accaparent des ressources qui pourraient être mieux utilisées ailleurs dans l’économie. Elles sont des parasites qui nuisent à la croissance des entreprises qui font leur travail d’entreprise, c’est-à-dire utiliser le capital disponible pour produire quelque chose, générer des emplois et des profits pour réinvestir et alimenter ainsi la grande roue économique.

Selon l’OCDE, il y aurait un lien direct entre l’augmentation du nombre d’entreprises zombies et le ralentissement de la croissance dans les pays industrialisés.

La crise actuelle pourrait donc aggraver le problème.

Les gouvernements empilent actuellement les dettes pour venir à la rescousse d’une économie mondiale frappée par le coronavirus. Toutes les entreprises qui lèvent la main finissent par avoir accès à l’aide publique sous une forme ou sous une autre.

L’intention des gouvernements est d’éviter les faillites massives et de relancer l’économie. Mais ce déluge d’argent aura aussi pour résultat de prolonger la vie d’entreprises qui auraient dû disparaître et, en fin de compte, de nuire à la croissance économique.

En plus du virus, les entreprises zombies souffrent d’autres maladies qui auraient dû les conduire à une vente, une fusion ou une recapitalisation selon les normes du marché. Ou à disparaître, parce que ce sont les règles du grand jeu du capitalisme.

C’est peut-être beaucoup demander à un gouvernement qui doit penser à sa réélection de laisser tomber les entreprises qui le mériteraient. On doit peut-être s’attendre à une invasion de morts-vivants.

Lisez l’étude de la BRI (en anglais).