Je ne sais pas encore si cet été et à l’automne, on va s’habiller québécois, construire québécois, réparer québécois, conduire québécois, jouer québécois…

Mais une chose est sûre, on va manger québécois.

Les grandes chaînes de supermarchés me l’ont confirmé mercredi quand je les ai contactées. La demande pour les produits locaux, non seulement québécois mais carrément régionaux dans certains cas, est en forte croissance.

Une sorte d’explosion.

Et les producteurs qui fournissent les supermarchés le voient bien.

Malheureusement, ceux qui travaillaient directement pour les restaurants ont eu tout un défi à surmonter, vu la perte immédiate de leurs débouchés. Mais les producteurs qui envoyaient leurs produits chez les IGA, Mero ou Provigo ?

Ils roulent. Et ils font des chiffres de Noël tous les jours, pour reprendre les mots d’Anicet Desrochers, producteur de miel dans les Hautes-Laurentides.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Ce jeudi, un collectif dont la porte-parole sera notamment la chef Colombe St-Pierre lance la campagne #MangeTonStLaurent.

Et les restructurations effectuées pour dépendre moins de l’extérieur marchent aussi, du moins du côté de la transformation de la viande. Ces dernières semaines, dans la province, on a abattu quelque 760 bœufs par semaine, dans des installations qui ont l’approbation fédérale, comparativement à 250 à pareille date l’an dernier, m’a confié Jean-Sébastien Gascon, directeur général de Bœuf Québec. Et 200 bêtes comparativement à 100 par semaine dans les plus petits abattoirs dits « provinciaux ». « Il y a eu une grosse augmentation de la demande », confirme M. Gascon. Le travail s’est recentré ici.

Chez IGA, pour encourager l’achat local, on a lancé une campagne suggérant aux gens d’ajouter un produit québécois à leur épicerie, en échange de quoi la chaîne déposait 10 cents dans une cagnotte pour aider les banques alimentaires québécoises.

Mercredi, la porte-parole Hélène Lavoie m’a confirmé que 1 million de dollars ont ainsi été récoltés depuis le début du mois.

L’exercice a marché. C’était l’objectif qui avait été fixé.

« Les clients désirent retrouver certes des produits québécois, mais aussi des produits provenant de leur communauté immédiate », m’a en outre dit la porte-parole de Provigo, Johanne Héroux. « À titre d’exemple, la marchande-propriétaire de notre magasin Provigo à Boucherville me disait qu’elle a listé quelques plats cuisinés du restaurant Chez Lionel plus tôt cette semaine. Elle en a vendu au-delà de 350 unités en quatre jours, ce qui est faramineux pour ce type de produit. »

Et vous avez vu le texte de ma collègue Marie-Eve Fournier ? Même Maxi a décidé d’assouplir sa politique d’approvisionnement pour pouvoir faire affaire avec des petits producteurs qui n’ont pas nécessairement la capacité de fournir des quantités pour toute la chaîne, mais qui peuvent néanmoins remplir les tablettes de quelques succursales. C’est ainsi que le poulet de la Ferme des voltigeurs et les boissons gazeuses de 1642 vont se retrouver dans certains Maxi.

Bref, il y a un nouveau mouvement nationaliste au Québec, qui passe par l’alimentation.

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Est-ce que tout cet enthousiasme a été uniquement déclenché par l’appel à la consommation locale du premier ministre François Legault, en début de pandémie ?

Il est évident que le message a été entendu clairement et qu’il a eu de l’effet.

Mais je pense aussi que le fruit était mûr.

Quand j’ai écrit l’an dernier que le poulet des pâtés au poulet de St-Hubert venait de Thaïlande, j’ai été inondée de réactions de lecteurs. Quand j’ai rappelé que le jus de pommes Rougemont était préparé avec des pommes chinoises, même chose. Pourtant, pour le jus, c’était déjà connu. Donc cette réalité nous scandalise aujourd’hui alors qu’elle ne nous faisait pas réagir il y a 10 ans.

Les attitudes ont totalement changé.

Quand j’ai vu en 2018, dans une épicerie de campagne, dans la section des produits laitiers, une affiche affirmant que tout était d’origine canadienne, j’ai compris que le vent avait tourné.

Donald Trump venait de dénoncer notre système de gestion de l’offre dans le secteur laitier et les producteurs d’ici étaient alors en campagne contre les nouveaux accords commerciaux avec les États-Unis et le Mexique. C’était donc dans l’air.

Mais un air qui n’a cessé de se charger depuis.

Vous connaissez le mouvement Slow Food, lancé en 1986 quand McDonald's a ouvert une succursale au centre de Rome, à deux pas de la Piazza di Spagna ? Il a été fondé par d’anciens communistes italiens, dont Carlo Petrini, qui se sont rendu compte que faute de pouvoir changer le monde au complet, ils essaieraient au moins de protéger le terroir et la culture culinaire italienne du rouleau compresseur que peut être le capitalisme à l’américaine.

Leur travail a porté ses fruits partout dans le monde, en soulevant des interrogations profondes au sujet du modèle agricole et alimentaire industriel qui s’est bâti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Et en articulant les questions autour d’un axe solide : les bas prix alimentaires méritent-ils qu’on détruise, abîme ou fasse disparaître nos traditions, l’environnement, notre santé, le respect des droits de la personne ?

Aujourd’hui, cette réflexion politique et économique sur l’alimentation nous rejoint.

On réalise que manger est un geste politique qui définit notre rapport avec la planète, avec les autres et avec notre santé, bien sûr.

Ce qu’on choisit de manger définit le type de développement économique qu’on veut avoir. L’occupation du territoire aussi. Le niveau de pollution qu’on est prêts à tolérer ou qu’on veut rejeter. Et comment on veut que les travailleurs soient traités.

Tout ça augure bien pour un nouveau projet. Ce jeudi, un collectif dont la porte-parole sera notamment la chef Colombe St-Pierre lance la campagne #MangeTonStLaurent.

On veut encourager les Québécois à manger les poissons et fruits de mer du fleuve. Il y en a beaucoup plus qu’on pense. Et si on ne veut pas qu’ils se retrouvent sur les tables à l’étranger pendant qu’on mange du poisson d’élevage venu du bout du monde, c’est à nous de chercher ces produits d’ici, de les demander à nos poissonniers, et ainsi créer des emplois et mettre la table pour un meilleur respect du Saint-Laurent.

Vive la crevette libre !