Brigitte Jalbert ne croit pas être vraiment une femme d’affaires.

Si on la met face à la réalité, soit le fait qu’elle dirige depuis neuf ans Emballages Carrousel, la plus grande entreprise dans son secteur au Canada, dont le chiffre d’affaires est passé de 98 à 162 millions sous sa gouverne, avec 375 employés et des clients partout au pays, elle finit par admettre qu’on a de bons arguments.

« Oui, je dois être un peu d’affaires… »

Mais dans sa tête et son cœur, elle est autre chose. 

« Quelqu’un qui sait trouver les bonnes personnes pour les rallier autour d’un projet commun. »

Quelqu’un qui sait bien s’entourer.

Quelqu’un qui a saisi sa créativité, son énergie, son leadership, son désir d’assurer la pérennité de l’entreprise fondée par son père, Denis Jalbert, pour mener la barque plus loin et, espère-t-elle, bâtir un milieu de travail où les gens se sentent bien.

Quelqu’un qui « gère par le cœur ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Brigitte Jalbert dirige depuis neuf ans Emballages Carrousel, la plus grande entreprise dans son secteur au Canada, dont le chiffre d’affaires est passé de 98 à 162 millions sous sa gouverne, avec 375 employés et des clients partout au pays.

Ce qui m’anime, assise sous un cœur immense accroché au mur derrière son bureau, cadeau de ses employés, c’est les gens.

Brigitte Jalbert

Quand la Caisse de dépôt et le magazine Premières en affaires ont publié récemment leur palmarès des entreprises québécoises dirigées par des femmes, on y a découvert une foule de noms qu’on connaissait peu ou pas du tout. Brigitte Jalbert y était, avec Christiane Germain des hôtels Le Germain, Madeleine Paquin, présidente de Logistec, Julie Roy, de Roy. Elle fait partie de la liste de neuf femmes qui dirigent des sociétés québécoises dont le chiffre d’affaires dépasse les 50 millions.

Et en 2019, son nom s’est aussi retrouvé de multiples fois dans des palmarès d’affaires : Grand Prix de l’entrepreneur d’EY, catégorie Entreprise à Entreprise, reconnaissance platine des Sociétés les mieux gérées au Canada, prix Femme d’affaires du Québec, catégorie Grande Entreprise, Woman of Influence RBC, catégorie excellence en entrepreneuriat… 

Pas mal pour une femme pas d’affaires.

Née à Boucherville, établie à Boucherville, Brigitte Jalbert travaille depuis 1986 dans cette entreprise dont le siège social est aussi à Boucherville et que son père a lancée à partir de trois fois rien en 1971. À son arrivée à l’été 1986, pour donner un coup de main, il y avait 25 employés et le chiffre d’affaires était de 7 ou 8 millions.

Formée en photo, en gérontologie, en audiovisuel (et puis, plus tard, en gestion), elle ne se voyait pas faire carrière en entreprise. « Dans ma tête, je me voyais artiste. Je ne me voyais pas de compétences en business », relate-t-elle. Puis elle a décidé de créer une brochure illustrée pour montrer les produits offerts par l’entreprise. À l’époque, c’était inédit. La publication, qu’elle a conçue avec son œil de photographe, a gagné le prix Dominique Rollin de la Chambre de commerce et de l’industrie de la Rive-Sud, un événement marquant. 

« J’ai compris que je pouvais apporter du bien à l’entreprise avec mon côté artistique et ça m’a donné confiance. C’est après ça que j’ai commencé à avancer dans l’entreprise. » Une entreprise qui grandissait et où tout était à faire, du plan d’affaires à l’organigramme des employés.

Durant les années qui ont suivi, elle est passée par toutes sortes de secteurs : ventes internes, marketing, ressources humaines, achats… « Un jour, mon père m’a fait le plus beau compliment. Il m’a dit : “Tu es l’âme de Carrousel.” »

Quelque part en chemin, Brigitte Jalbert avait compris que « ce qui compte, ce n’est pas ce que tu vends ou fais, c’est ce qui te pousse à continuer. Et moi, c’est les gens. S’assurer que tout le monde soit heureux, se réalise ». Et pour cela, que l’entreprise cartonne.

À Carrousel, il y a peu de roulement des employés, dit-elle, et certains ont 45 ans d’ancienneté. Et le vendredi, si l’entreprise fait un appel à tous pour une livraison hors norme d’urgence, il y a toujours quelqu’un qui se porte volontaire.

La route à travers tout ça n’a pas toujours été tranquille. Prendre soi-même le flambeau des mains de son père n’est pas chose facile. Or, c’est ainsi que ça s’est passé. C’est elle qui a dû le convaincre, à 75 ans, de lâcher prise pour aider l’entreprise à aller de l’avant. « Je voyais qu’on stagnait. Il nous freinait sans le vouloir. »

Aujourd’hui, quand elle regarde comment les chiffres ont explosé, Brigitte Jalbert n’a plus de doute sur la justesse de ses idées et de son analyse à l’époque. Mais convaincre son propre père, le fondateur de la société, qu’il devait se tasser pour laisser la place à d’autres, ne s’est pas fait sans son lot de sentiments complexes. « Je m’en souviendrai toujours », raconte-t-elle. Le repas en tête à tête à l’Échaudée à Québec où elle lui explique qu’elle doit prendre la présidence pour faire avancer l’entreprise, sa liste de choses à faire si elle devient présidente – elle était vice-présidente de la société depuis 14 ans –, l’attitude totalement déprimée de Denis Jalbert le lendemain matin, qui a dit à sa fille qu’il avait l’impression de s’être fait coller une date de péremption sur le front.

Aujourd’hui, Brigitte Jalbert continue d’avancer, dans un univers où le monde de l’emballage est totalement remis en question par la nécessité de diminuer notre empreinte écologique et le gaspillage. Dans ce paysage, Carrousel est un distributeur, dont l’entreprise met en lien ceux qui offrent et ceux qui demandent. Mais sa taille et son pouvoir d’achat lui permettent de prendre part aux discussions. Et toutes sortes de nouveaux produits et services seront déployés bientôt.

Et elle a hâte d’en parler.

Car la présidente n’a plus peur d’être trahie par son peu d’intérêt pour la comptabilité ou la finance et embrasse et célèbre son intérêt pour tout le reste.

Et elle encourage les jeunes qui veulent être entrepreneurs à se faire confiance même s’ils ne correspondent pas à des normes, à un moule, à ce qu’ils pensent qu’on attend d’eux.

« Moi, ça m’a pris 20 ans à me trouver », dit-elle. 

Et 20 ans à voir qu’elle est une formidable gestionnaire.

Une formidable gestionnaire d’idées, de rêves, de volonté, de loyautés, d’humains, bref, de tout ce qui ne se calcule pas.