Il faut péter la « balloune » des concessionnaires. Quand je dis « balloune », je parle d’un mode de financement interdit, mais largement répandu, qui consiste à reporter la dette d’un ancien véhicule dans le prêt d’un bolide flambant neuf. Et hop ! En voiture vers le surendettement !

Voyez plutôt…

En janvier 2019, un client entre chez son concessionnaire pour une simple réparation à son véhicule acheté à peine 16 mois plus tôt. Après un détour par la salle d’exposition, il ressort avec un Chevrolet Bolt Premier qui lui coûtera 116 000 $.

Oui, vous avez bien lu : 116 000 $ pour une petite voiture électrique. Pas une Tesla !

PHOTO DAVID ZALUBOWSKI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

« L’Agence de la consommation en matière financière du Canada a sonné l’alarme en 2016 à propos des prêts à long terme qui gonflent les “ballounes” chez les concessionnaires automobiles », écrit notre chroniqueuse.

« C’est déplorable ! Je ne peux pas dormir la nuit quand je vois ça », s’exclame George Iny, président de l’Association pour la protection des automobilistes, en décortiquant avec moi le contrat qui camoufle plusieurs « ballounes » superposées.

Déjà en 2017, le client troque prématurément sa Smart 2015 contre une Buick Encore. Comme son financement n’est pas terminé, une partie de sa dette est intégrée dans son nouveau prêt.

Pour masquer le tout, le concessionnaire gonfle la valeur de revente de la Smart, mais se reprend en gonflant aussi le prix du nouveau Buick d’environ 15 000 $. Première « balloune ».

En 2019, le concessionnaire refait la même acrobatie financière pour convaincre le client de changer de véhicule avant la fin de son prêt. Il accorde à la Buick Encore une valeur d’échange complètement exagérée de 48 000 $, supérieure au prix payé 16 mois plus tôt. Ça ne tient pas la route !

Mais il lui vend la nouvelle Bolt près de 84 000 $, un gros 30 000 $ au-dessus du prix suggéré. Deuxième « balloune ».

En ajoutant une assurance vie et invalidité de 16 000 $ (ouache !), les taxes et les intérêts de 4,18 %, le concessionnaire embarque donc son client dans un contrat de financement de 116 000 $ sur sept ans. Quelle horreur !

Le consommateur qui doit rembourser 640 $ toutes les deux semaines s’est fait dire qu’il rentrerait dans son argent grâce aux économies de carburant. « C’est impossible ! Ses économies mensuelles d’environ 150 $ ne compenseront pas la hausse de ses paiements », rétorque M. Iny.

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L’Agence de la consommation en matière financière du Canada a sonné l’alarme en 2016 à propos des prêts à long terme qui gonflent les « ballounes ». Mais le problème persiste.

Plus de la moitié des prêts automobiles ont une durée de 84 mois ou plus, selon les statistiques de 2019 de J.D. Power.

En étirant le financement sur sept ou huit ans, beaucoup d’automobilistes réussissent à s’acheter un véhicule plus gros ou plus luxueux, ce qui leur coûte plus cher d’intérêts. Mais le pire, c’est que de nombreux conducteurs continuent de changer de véhicule tous les quatre ans.

À cause de la forte dépréciation des premières années, la valeur d’échange du véhicule n’est pas suffisante pour rembourser complètement leur prêt. La dette de l’ancien véhicule est donc roulée dans le nouveau prêt.

C’est le refinancement de ce « capital négatif » qu’on appelle la « balloune ». Aujourd’hui, environ le tiers des transactions avec un échange de véhicule comporte une « balloune », proportion qui s’est accrue de plus de 50 % depuis une décennie, selon J.D. Power.

Les ballounes s’élèvent à 7000 $ en moyenne. Mais, souvent, les clients n’y voient que du feu, car ils ont les yeux rivés sur leurs mensualités. Et c’est là-dessus que misent les concessionnaires…

« Vous pourriez conduire un véhicule de l’année sans que ça vous coûte plus cher. Vous auriez une caméra de marche arrière que n’a pas le vôtre. Vous pourriez même gagner des accessoires allant jusqu’à 500 $… mais seulement si vous signez aujourd’hui », raconte M. Iny.

Tout ça pour le même prix ? Pas du tout ! D’accord, le paiement reste le même. Mais le client qui ressort avec un véhicule neuf en aura pour sept ans à rembourser, alors que son véhicule précédent aurait été payé plus tôt.

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À une époque pas si lointaine, les automobilistes économisaient pour verser un acompte à l’achat d’un véhicule neuf. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Ils ont un capital négatif qui alourdit le prix de leur nouveau véhicule.

Dettes par-dessus dettes. Intérêts par-dessus intérêts.

Pourtant, tout cela est interdit au Québec. L’article 148 de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) stipule qu’un prêt automobile « ne doit se rapporter qu’à des biens vendus le même jour ».

« Un contrat de vente à tempérament ne peut donc pas être utilisé par un commerçant de véhicules routiers afin de refinancer le solde du contrat de l’automobile que son client souhaite remplacer », m’a confirmé Charles Tanguay, porte-parole de l’Office de la protection du consommateur (OPC).

Mais selon la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec (CCAQ), « l’article 148 de la LPC n’est pas si clair quant à son application. Ce qu’on prétend, c’est que, lorsqu’il y a une équité négative, il s’agit d’une dette qui est reportée. On ne vise pas deux biens », m’a expliqué Ian P. Sam Yue Chi, vice-président directeur général de la CCAQ.

Il ne se gêne pas pour dire que le financement d’un capital négatif est « une pratique qui existe, tant en location et qu’en financement. Ça se fait en transparence ».

Bref, l’industrie n’en fait qu’à sa tête, parce que l’OPC a toléré la situation trop longtemps. Faute d’une réelle surveillance, les « ballounes » sont devenues monnaie courante. Il est grand temps de clarifier la loi et surtout de la faire appliquer.

Ça tombe bien, l’OPC a l’intention de proposer de nouvelles mesures, m’a dit M. Tanguay. Sauf que l’Office semble vouloir reprendre une proposition écartée en 2018. Loin d’interdire les « ballounes », on voulait plutôt limiter le financement à 120 % du prix du véhicule, alors qu’en ce moment, il grimpe souvent à 135 % et parfois même jusqu’à 180 %, avec la bénédiction des prêteurs.

« Ç’aurait été un immense recul. Pourquoi permettre quelque chose qui est interdit depuis 1978 et qui est censé lutter contre le surendettement ? », lance Yannick Labelle, avocate à l’Union des consommateurs.

Si on fait marche arrière, ce sera un aveu d’échec pour la protection des consommateurs.