Difficile à croire, mais de plus en plus d'investisseurs aguerris sont prêts à perdre de l'argent pour détenir des titres de dette de certains pays.

Par exemple, si vous aviez acheté sur le marché la semaine dernière une obligation de l'Allemagne, échéant dans 10 ans, vous acceptiez alors d'obtenir un rendement annuel négatif de - 0,62 % en conservant ce titre jusqu'à l'échéance.

Autrement dit, vous êtes prêt à payer une « taxe de sécurité » pour détenir des « bunds » allemands, car ils constituent à vos yeux une valeur sûre.

Et chercher ailleurs n'est guère une meilleure solution.

Par exemple, les obligations du Japon, à 10 ans : rendement de - 0,92 %. La Suisse : - 0,32 %.

Les sommes en jeu sont énormes. Selon le Wall Street Journal, les grands investisseurs - caisses de retraite, fonds de placement et grandes fortunes surtout - ont accumulé plus de 11 000 milliards US de ces titres de dette à taux négatifs.

Cela représente environ un cinquième du marché des obligations de première qualité (« investment grade », dans le jargon financier), selon l'indice Bloomberg Barclays Global Aggretate Bonds, qui mesure le rendement des obligations des gouvernements et de grandes entreprises.

Autrement dit, dans l'esprit de certains, mieux vaut payer pour dormir tranquille la nuit, plutôt que de posséder de la dette italienne, par exemple, qui offre pourtant un rendement positif de + 2,48 %, sur 10 ans, ou des obligations de la Grèce, à + 3,78 %.

L'économie mondiale

En temps normal, faut-il le rappeler, ceux qui placent leur argent reçoivent un intérêt de ceux qui reçoivent leurs liquidités. Mais avec des taux d'intérêt négatifs, la logique est inversée.

L'Allemagne, qui n'a pas connu des taux aussi bas depuis 2016, n'est pas seule à jouer dans ce film étrange.

Une pléiade de pays considérés comme « sûrs » sur le plan financier ont vu les taux de rendement sur leurs dettes reculer ces dernières semaines. L'Australie, le Canada, les États-Unis et d'autres affichent des taux obligataires positifs, mais historiquement très bas.

Manifestement, il y a quelque chose qui cloche sur la planète économique. Les experts, eux, ont désigné un grand coupable : une économie mondiale mal en point.

« La hausse des incertitudes politiques, les tensions commerciales [...] et la diminution de la confiance » laissent présager un ralentissement plus important que prévu, prévient l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son dernier rapport.

L'état de santé de la Chine, en particulier, inquiète de plus en plus les marchés. Et pour cause.

Depuis 2008, la Chine est le principal contributeur de la croissance mondiale. Elle représente 15 % du PIB global et 10 % des échanges commerciaux.

Or, en février, ses exportations ont plongé de 21 %, signe que l'empire du Milieu a beaucoup ralenti.

Alors que le conflit commercial avec les États-Unis perdure, l'OCDE estime qu'une décélération brutale de la Chine amputerait d'au moins 0,4 % la croissance mondiale.

« Tout le monde risque d'être affecté », affirme Adam Slater, du cabinet Oxford Economics, dans une note financière.

Les plus exposés sont évidemment les proches partenaires de la Chine, dont Taiwan, qui lui destine près de la moitié de ses exportations, mais aussi Singapour et la Corée du Sud.

Or, les grands producteurs de matières premières sont aussi vulnérables à une Chine grande consommatrice de pétrole et de métaux. Les pétromonarchies, l'Australie et le Canada sont en première ligne.

Le commerce mondial ralentit

Il a suffi de quelques mauvaises statistiques ces derniers jours en France et en Allemagne, sur fond de Brexit, pour envoyer les taux d'intérêt au tapis.

Les investisseurs ont aussi appris la semaine dernière que la guerre commerciale États-Unis/Chine écorche sérieusement l'économie mondiale.

Les échanges de marchandises dans le monde n'ont crû que de 3,3 % en 2018, après 4,7 % l'année précédente, vient d'annoncer l'Institut de prévision néerlandais CPB. Et comme l'indique le graphique ci-dessus, le dernier trimestre de 2018 a été tout simplement affreux, avec un plongeon de 1,8 %.

Les manufacturiers des grandes puissances voient aussi leur carnet de commandes se dégarnir, note le CPB, ce qui est de mauvais augure pour l'avenir.

« Le commerce mondial explique entre un tiers et la moitié de la croissance mondiale et vice versa », souligne Ludovic Subran, économiste en chef de l'assureur-crédit Euler Hermes, cité par l'Agence France-Presse.

Jeudi et vendredi, le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, et le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, étaient à Pékin pour tenter de désamorcer les tensions avec la Chine. À nouveau, des « progrès » ont été rapportés et les discussions reprendront à Washington cette semaine sans qu'un accord définitif soit en vue.

Pendant ce temps, l'inquiétude s'accroît. L'économie continue de ralentir. Et la dette allemande semble de plus en plus alléchante.

Les taux obligataires dans le monde

Rendement* des obligations des gouvernements, échéant dans 10 ans

Suisse : - 0,41 %

Japon : - 0,10 %

Allemagne : - 0,68 %

Royaume-Uni : + 0,99 %

Canada : + 1,55 %

États-Unis : + 2,38 %

Mexique : + 7,97 %

Brésil : + 9,09 %

Argentine : + 22,44 %

Venezuela : + 46,58 %

*Le taux de rendement indique combien rapporte une obligation. En clair, il est calculé ainsi : rendement = intérêts versés/le cours du titre (sur le marché secondaire). Donc, dès que le cours monte, le rendement diminue, et vice et versa.