Le Canadien National (CN) célèbre cette année le 100e anniversaire de sa fondation. Avec sa capitalisation boursière qui excède les 90 milliards, le CN est aujourd’hui la plus importante entreprise montréalaise, mais reste toujours très discret sur ses opérations. Son président Jean-Jacques Ruest, en fonction depuis un an, a accepté de nous en dire un peu plus.

Le CN — et sa capitalisation boursière — est de loin la plus importante société publique montréalaise, et pourtant vous êtes très discret. On ne vous entend pas et on vous voit peu dans le portrait pourtant très changeant de la métropole. Pourquoi cette discrétion alors que vous accumulez les succès financiers et opérationnels ?

Notre mandat numéro un est d’être très présents auprès de nos clients et de nos actionnaires. Chaque trimestre, je commente nos résultats financiers et je réponds à toutes les questions qui me sont posées.

On ne cherche pas à avoir un profil public. On est une entreprise privée, mais on est très présents avec nos actionnaires, avec nos clients et avec nos employés. Mais là, on fait un effort, c’est notre 100e anniversaire et on veut le souligner. Je pense qu’avec la Banque de Montréal et Molson, on est parmi les plus vieilles entreprises de Montréal.

Vous avez rejoint le CN en 1996, un an après sa privatisation. Vous avez donc vécu de l’intérieur la transformation de cette ancienne société de la Couronne sous-performante en une entreprise publique efficace. Quels ont été, selon vous, les faits marquants de cette transformation ?

J’ai connu le CN de l’extérieur avant de me joindre à l’entreprise. Je travaillais à la CIL et on utilisait les services du CN pour transporter nos produits chimiques. C’était une entreprise inefficace avec des problèmes de coûts et d’organisation.

Paul Tellier a transformé le CN, qui est passé du stade d’une entreprise canadienne régionale et pas très compétitive en un joueur nord-américain de premier plan.

Ce qui nous a transformés le plus, ç’a été de devenir une entreprise très axée sur le développement des affaires. Notre rôle, c’est de générer de l’activité économique et on le fait bien. On fait beaucoup de démarchage en Asie notamment. On a des bureaux là-bas et on amène des entreprises à venir faire des affaires au Canada.

Chaque année, on transporte plus de 250 milliards de marchandises sur le continent nord-américain. Seulement au Québec, on transporte pour plus de 60 milliards de produits d’exportation vers les États-Unis.

Chaque année, vous investissez beaucoup dans vos infrastructures, mais cette année, vous semblez avoir augmenté la cadence. Est-ce une impression ou c’est bien le cas ?

On est propriétaires de notre réseau de chemin de fer et de tous nos actifs, et chaque année, on investit entre 20 et 21 % de nos revenus pour augmenter ou améliorer nos capacités opérationnelles.

En 2017, on a manqué de capacités. Notamment à cause de l’hiver très rigoureux qu’on a connu et qui nous a obligés à réduire la taille de nos convois.

C’est pour ça qu’on a décidé de hausser à 25 % la part de nos revenus en dépenses en capital pour augmenter davantage nos capacités. On a investi 3,5 milliards l’an dernier et on va investir 3,9 milliards cette année, c’est 7,4 milliards sur deux ans. C’est considérable.

On construit davantage de voies de contournement pour assurer une plus grande fluidité de la circulation sur nos réseaux et on rajoute des locomotives pour avoir plus de convois en déplacement.

L’an dernier, vos revenus ont été en forte hausse en raison notamment de l’augmentation du transport pétrolier par rail. Est-ce qu’il s’agit d’une tendance qui va se poursuivre ?

Si on avait eu des problèmes de capacités en 2017, ça n’a pas été le cas l’an dernier alors qu’on a transporté jusqu’à 250 000 barils de pétrole par jour.

Même chose avec les grains de l’Ouest. On en a livré 1,9 million de tonnes métriques de plus que l’année précédente. La capacité était au rendez-vous, mais cette année, les livraisons de pétrole sont en baisse parce que les producteurs subissent un écart de prix trop grand.

La cohabitation du CN et de VIA Rail sur le même réseau ferroviaire ne semble pas toujours évidente. Est-ce que vous entrevoyez la possibilité d’un meilleur partage avec le transport de passagers longue distance ?

Écoutez, on partage notre réseau avec plusieurs usagers. Dans la région de Montréal, on le fait avec l’AMT (maintenant exo) et VIA Rail. On est le plus petit utilisateur de notre propre réseau.

Notre préoccupation principale et notre priorité, c’est de bien servir nos clients. Je n’ai pas le droit de pénaliser les producteurs forestiers du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui doivent livrer leur marchandise, c’est pour eux que le réseau existe.

Si le gouvernement fédéral veut investir pour augmenter les capacités sur notre réseau pour mieux servir VIA Rail, on est d’accord. VIA a un projet pour augmenter la fréquence des trains entre Montréal et Québec, mais ça va prendre des investissements de 4 milliards.

Le CN a une vocation économique. On existe pour supporter l’économie québécoise et canadienne et on va continuer de le faire.

Quels sont les grands axes de développement du CN pour les prochaines années ? Allez-vous être en mesure d’augmenter encore vos capacités et pour quels types de marchandises ?

On va poursuivre notre croissance de façon organique en accompagnant nos clients dans leurs activités. On a fait six acquisitions, notamment aux États-Unis, depuis 2000 et on va en réaliser d’autres, comme celle du groupe de camionnage TransX, de Winnipeg, que l’on vient tout juste de finaliser.

Mais on va surtout continuer d’automatiser nos opérations. Nos équipes de trains vont être équipées dans les prochaines semaines de 6000 tablettes portatives qui vont leur permettre d’avoir toutes les informations en temps réel sur le réseau et de mieux communiquer entre elles.

On commence à faire l’inspection de nos trains à partir de multiples photos qui sont prises de tous les angles pour être par la suite analysées par une machine qui pourra identifier les pièces qui doivent être changées. On est dans l’apprentissage machine et on vient de débuter une collaboration avec le Mila (Institut québécois d’intelligence artificielle).

Le CN devait être appelé à jouer un rôle important dans le déploiement du Plan Nord, mais visiblement, ça n’a pas levé. Est-ce que vous espérez toujours construire de nouveaux réseaux vers le Nord québécois ?

Le Plan Nord, ça n’a pas décollé du tout. On a essayé de notre côté de trouver des investisseurs. On a même négocié sérieusement avec un groupe de Hong Kong qui voulait exploiter un gisement de fer. Mais les prix se sont effondrés, et ils se sont retirés.

Pour qu’il y ait une éventuelle relance du Plan Nord, il va falloir que les prix des métaux et des minéraux se raffermissent, et sur une longue période de temps.

Le CN, encore un favori

PHOTO ANDREW VAUGHAN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le CN doit dévoiler ses résultats du premier trimestre lundi prochain.

Malgré un hiver encore une fois très rude qui pourrait affecter ses résultats du premier trimestre et même si la progression du titre de l’entreprise semble vouée à ralentir, le CN demeure l’un des, sinon le favori des analystes financiers dans le domaine ferroviaire en Amérique du Nord.

L’an dernier, le froid avait aggravé et mis en relief des pénuries de capacité du CN dans l’ouest du pays, ce qui avait mené à la destitution de son président, Luc Jobin, et à des pressions politiques à Ottawa en raison de la colère des producteurs de grains, incapables d’acheminer leur production.

Après un été d’ambitieux investissements en capacité, l’hiver 2018-2019 a été aussi rude au point de vue météorologique, mais passablement meilleur dans les livres de l’entreprise. Celle-ci doit dévoiler ses résultats du premier trimestre lundi prochain. Les attentes sont modérées, compte tenu du climat, mais personne ne semble inquiet.

Avec un titre qui a touché des sommets historiques lors de six des sept dernières séances, y compris celle d’hier, on peut d’ailleurs croire que le pire est passé, dans l’esprit des analystes.

« Nous continuons d’aimer le CN sur le long terme et croyons toujours qu’il mérite une prime par rapport à ses pairs, en raison de son meilleur bilan », a récemment écrit l’analyste Benoit Poirier, de Desjardins, qui venait pourtant de ramener sa recommandation d’« achat » à « conserver ».

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La performance récente du titre du CN, qui a progressé de 19 % depuis le début de 2019 et s’échange donc très près de sa pleine valeur selon lui, ainsi que l’environnement macroéconomique incertain, attribuable notamment aux tensions commerciales, expliquent la modération de l’analyste.

Cherilyn Radbourne, de TD Securities, considère elle aussi le CN comme son favori parmi les six grands chemins de fer nord-américains.

« Le CN est notre premier choix, puisque nous croyons que l’entreprise est entrée en 2019 avec un élan renouvelé et la capacité nécessaire pour profiter de ce que nous envisageons comme étant les perspectives de croissance les plus claires et les plus diversifiées du groupe », explique-t-elle.

L’entreprise dispose d’avantages stratégiques importants. À commencer par son réseau, qui rejoint trois côtes (Atlantique, Pacifique, golfe du Mexique) et 10 ports nord-américains.

« Parmi les six grands opérateurs, le CN a constamment eu les meilleures perspectives de revenus, en raison de son réseau inégalé avec accès exclusif aux ports de Prince Rupert et Halifax », rappelle Kevin Chiang, de CIBC.