Non seulement l'Autorité des marchés financiers (AMF) a reconnu hier ne pas détenir de preuve directe d'échange d'information privilégiée provenant de David Baazov dans le cadre de son enquête pour délit d'initié relativement à l'affaire Amaya, mais une importante pièce à conviction potentielle semble lui avoir échappé de peu.

« On s'est rendu compte que le téléphone de David Baazov avait été changé au lendemain de la première perquisition effectuée au siège social d'Amaya [le 10 décembre 2014]. Si bien que le contenu des messages et des échanges téléphoniques n'a pas pu être récupéré », a révélé hier l'enquêteur Xavier Saint-Pierre à la fin du contre-interrogatoire dont il faisait l'objet devant le Tribunal administratif des marchés financiers du Québec.

Le 10 décembre 2014, les enquêteurs sont repartis du siège social d'Amaya, à Pointe-Claire, avec six boîtes de documents papier, quatre ordinateurs et trois disques durs. Mais sans téléphone intelligent. Le « nouveau » téléphone de David Baazov a finalement pu être saisi dans le cadre d'une perquisition subséquente, a précisé Xavier Saint-Pierre.

L'Autorité des marchés financiers n'a pas voulu réagir lorsque La Presse a demandé pourquoi le cellulaire de David Baazov n'avait pas été saisi dès la perquisition du 10 décembre 2014. Ian Robertson, porte-parole de David Baazov, n'a pas voulu non plus commenter cet aspect précis.

Xavier Saint-Pierre a cependant indiqué que l'AMF avait saisi une douzaine de téléphones cellulaires chez Josh Baazov, le frère de David. « Ces téléphones font l'objet d'un secret professionnel et ne peuvent pas être analysés actuellement », a-t-il indiqué.

UNE PREUVE CIRCONSTANCIELLE ATTAQUÉE

Avant de faire son étonnante révélation au sujet du cellulaire de David Baazov, l'enquêteur du gendarme boursier québécois avait passé la journée à se faire interroger par l'avocate de David Baazov. Sophie Melchers, du cabinet Norton Rose Fulbright, a grillé Xavier Saint-Pierre avec des questions visant, notamment, « à donner une idée de ce qui n'a pas été communiqué », a-t-elle dit.

Dès le départ, l'avocate s'est attaquée aux allégations de « tuyauteur » et de « responsable de coulage majeur d'information privilégiée » portées à l'endroit de son client. Sophie Melchers a relevé plusieurs « incohérences et inexactitudes » dans la preuve étalée par l'AMF, qu'elle a qualifiée d'incomplète.

Notamment, Sophie Melchers a fait remarquer à l'enquêteur qu'il ne mentionnait nulle part l'existence d'accords de confidentialité existant entre Amaya et ses employés (contractuels ou permanents) afin de laisser entendre que si ces derniers avaient violé leurs engagements, ce n'était pas la faute de son client.

« Je ne peux pas m'expliquer que l'AMF ne veuille pas que vous sachiez ça », a-t-elle dit en s'adressant à la présidente du tribunal après avoir constaté que l'avocat de l'AMF, Philippe Levassseur, soulevait une objection devant ses propos.

Sophie Melchers a par la suite tourné son attention vers les relevés téléphoniques des intimés. Elle a fait admettre à Xavier Saint-Pierre que pour tous les appels de courte durée apparaissant sur les différents relevés, l'enquêteur ne savait pas si des gens s'étaient effectivement parlé ou si les appels avaient échoué dans une boîte vocale ; si des gens avaient communiqué entre eux, il était impossible de savoir ce qu'ils avaient pu se dire. L'avocate a aussi fait réaliser à Xavier Saint-Pierre l'existence de plusieurs nouvelles connues des marchés financiers au sujet de différentes entreprises et de communications entre intimés qui semblaient avoir échappé à l'enquêteur.

L'avocate a également porté son attention sur l'interprétation et la traduction de certaines informations colligées qui pouvaient manquer de nuances. Elle a, par exemple, souligné que « early very quiet stages of considering a purchase » est traduit dans le résumé d'enquête par « mis au courant d'une transaction à venir ». Des calculs mathématiques erronés d'appréciation de cours boursiers ou de gains boursiers présentés dans le résumé d'enquête ont aussi été relevés par Sophie Melchers.

L'audience d'hier s'inscrivait dans le cadre du second dossier d'enquête de l'AMF pour délit d'initié concernant Amaya. Cette seconde enquête a été lancée l'été dernier après la découverte d'informations qui ont débouché sur des ordonnances de blocage à l'endroit d'une douzaine de personnes, en mars dernier. Cette enquête se poursuit toujours actuellement. David Baazov est mis en cause dans ce dossier en étant présenté comme la tête dirigeante d'un réseau sophistiqué à l'origine d'une série de délits d'initié où la transmission d'information privilégiée se ferait sous une forme pyramidale et où le paiement de ristournes aux tuyauteurs est prévu.

« La journée d'hier est un premier pas visant à remettre les pendules à l'heure. » - David Baazov

« J'aimerais réitérer que je n'ai pas reçu d'argent, de cadeaux ou d'autres choses en lien avec des transactions réalisées par les intimés, a commenté David Baazov, en soirée, par l'entremise de son porte-parole. Je suis impatient de me voir exonéré de toutes les allégations à mon endroit afin de placer cette affaire derrière moi. »

Le contre-interrogatoire mené par Sophie Melchers se poursuivra le 4 octobre.

David Baazov est par ailleurs une des trois personnes faisant face à des chefs d'accusation pour délit d'initié découlant du premier dossier d'enquête de l'AMF déclenchée à l'été 2014 après l'annonce de l'achat de PokerStars par Amaya au coût de 5 milliards US.

Photo Patrick Sanfaçon, Archives La Presse

Le 10 décembre 2014, les enquêteurs sont repartis du siège social d'Amaya, à Pointe-Claire, avec six boîtes de documents papier, quatre ordinateurs et trois disques durs.