La controverse entourant les actions à vote multiple n'est pas nouvelle. Elle existe depuis le jour où est née cette catégorie de titres qui donne plus de pouvoirs à un groupe d'actionnaires - habituellement les fondateurs d'une entreprise - au détriment des autres. Si, pour plusieurs, il est vertueux de répudier les actions à vote multiple, il y a des situations nombreuses et variées où la vertu doit faire place au gros bon sens.

Alain Bouchard, PDG et cofondateur de Couche-Tard, y va peut-être un peu fort lorsqu'il affirme qu'il serait ultimement prêt à vendre l'empire qu'il a construit au cours des 35 dernières années le jour où les actions à vote multiple du groupe de fondateurs perdront le privilège qui leur confère 10 droits de vote chacune.

À la dernière assemblée annuelle du groupe, les quatre fondateurs de Couche-Tard - Alain Bouchard, Richard Fortin, Jacques d'Amours et Réal Plourde - avaient demandé aux actionnaires du groupe de faire abolir la clause « crépusculaire » qui prévoit que les actions à vote multiple vont se transformer en actions ordinaires en décembre 2021, dans cinq ans.

Les actionnaires de contrôle n'ont pas obtenu les 66 % d'appuis nécessaires de la part des détenteurs d'actions subalternes pour faire accepter leur proposition. Selon nos informations, les fonds Fidelity s'étaient notamment opposés à la faveur demandée par Alain Bouchard.

Paradoxalement, c'est en toute connaissance de cause que les gestionnaires de fonds institutionnels ont acheté et accumulé au fil des ans des actions subalternes de Couche-Tard et qu'ils se sont grassement enrichis en participant à l'incroyable valorisation du titre de la multinationale du commerce de proximité.

Depuis la première émission de Couche-Tard en 1986, il y a 30 ans, la valeur des actions subalternes s'est appréciée de 600 fois par rapport à leur prix d'émission, qui est passé de 2,25 $ à plus de 1400 $ aujourd'hui. Depuis avril 2010, le titre s'est apprécié de près de 1000 %.

Il serait intéressant de recenser le nombre de titres qui ont enregistré pareille valorisation dans les différents portefeuilles des investisseurs institutionnels qui ont tous acheté et détenu de ces actions subalternes de Couche-Tard, mais qui refusent pourtant de prolonger leur existence.

Le cas de Couche-Tard n'est pas unique. Plusieurs entreprises canadiennes ont émis des titres subalternes, notamment Canadian Tire, Onex, Corus Entertainment, Fairfax Financial, Cara, Québecor, Financière Power, Jean Coutu ou Transcontinental.

Ryan Modesto, associé chez 5i Research, une firme de recherche indépendante, a publié lundi dans le Globe and Mail un tableau qui compare le rendement d'un panier de 24 titres d'entreprises qui comptent des actions à droit multiple et subalternes et le TSX.

Sur une période de 10 ans, les actions à deux catégories ont produit un rendement annualisé de 3,7 % contre 1,6 % pour le TSX. Et sur une période de 5 ans, les actions subalternes ont généré un rendement de 4,2 % contre - 0,9 % pour le TSX.

MAINTENIR LA PROPRIÉTÉ QUÉBÉCOISE

Depuis la confirmation de la vente de Rona au groupe américain Lowe's, en février dernier, on a eu droit à une déferlante de réactions pour dénoncer la perte d'un fleuron québécois. Si Rona avait eu une double structure de propriété avec des actions à vote multiple, l'entreprise aurait pu faire échec à l'offre d'achat de Lowe's.

C'est la raison pour laquelle les fondateurs de Couche-Tard veulent conserver la structure actuelle qui leur a permis de consolider le marché nord-américain et maintenant celui d'outre-mer des magasins de proximité.

Les quatre fondateurs de Couche-Tard possèdent 22,7 % du capital-actions de leur entreprise - 113 millions d'actions à vote multiple et 16 millions d'actions subalternes - , mais leurs actions à 10 votes leur permettent de contrôler 60 % des droits de vote rattachés à la totalité des actions en circulation.

C'est le même phénomène que l'on observe chez Bombardier où la famille des fondateurs possède 13,5 % du capital-actions de l'entreprise, mais contrôle plus de 52 % des droits de vote, grâce à ses actions qui lui accordent 10 votes chacune.

Cette structure de propriété a beau être critiquable, mais c'est uniquement grâce à cette structure que Bombardier arrive encore à exister comme entreprise québécoise et qu'elle n'a pas encore été absorbée par une concurrente étrangère.

Et pourtant, le gouvernement fédéral semble avoir voulu lier sa participation financière de 1 milliard dans la C Series à la condition que la famille Bombardier réduise son contrôle sur l'entreprise.

En d'autres mots, Ottawa souhaite injecter 1 milliard dans une entreprise à la condition que celle-ci se transforme en proie hautement vulnérable à la première offre d'achat qui se présente.

Avec une valeur boursière de 3,2 milliards, Bombardier ne survivrait pas une semaine sur le marché sans l'existence de ces actions à vote multiple. Une évidence que la vertu semble avoir totalement occultée.