Le scandale comptable dans lequel s'est enferré Toshiba renforce la nécessité déjà maintes fois soulignée de corriger le fonctionnement des entreprises japonaises avec ses collusions en haut, une discipline muette en bas et une absence de contrôle externe efficace, selon des spécialistes.

La gouvernance d'entreprise est un problème récurrent dans les études sur les firmes nippones qui, à partir des années 1950, ont grossi et forgé leurs propres méthodes de direction.

Leur structure est très hiérarchisée et la progression des salariés à l'ancienneté toujours vivace même si l'emploi à vie, lui, n'est plus garanti.

«Prenez la liste des membres des instances de direction et vous ne trouvez généralement que des personnes de plus de 50 ans qui ont fait toute leur carrière ensemble dans l'entreprise en ayant gravi un à un tous les échelons», explique à l'AFP Takeshi Natsuno, ex-dirigeant de l'opérateur de téléphonie mobile NTT Docomo et actuellement professeur à l'université Keio.

«Depuis 30 ans, tous mangent dans la même gamelle. On sait que ce n'est pas bien, mais pour autant cela ne change pas», s'agace-t-il.

«Il ne suffit pas de faire venir des personnalités extérieures, il faut aussi bâtir des conseils d'administration sur la diversité des carrières et profils des membres», plaide M. Natsuno.

Pour lui, le recrutement en masse chaque année de frais émoulus et la tradition de faire carrière dans une seule et même société sont désormais la plaie de la «Japan Inc.» après avoir été sa force dans la période faste, de la fin des années 50 à la décennie 1980.

Dans son rapport annuel de 2014/2015, Toshiba écrivait pourtant: «dans le but d'élever la valeur de l'entreprise pour les actionnaires, de renforcer l'efficacité de la direction et d'en améliorer la transparence, nous sommes passés en juin 2003 à une nouvelle structure avec 16 membres au conseil d'administration, le président, le vice-président, deux commissaires aux comptes et 4 administrateurs étant sans fonctions exécutives dans le groupe».

Et de poursuivre: «de la sorte, nous avons mis en place une organisation appropriée de contrôle de la direction».

Las, ces dispositions n'ont pas suffi à empêcher le scandale d'irrégularités intentionnelles dans les comptes du groupe, sur cinq années et dans plusieurs divisions.

Trop obéissants

Les auditions des employés par le comité d'experts indépendants mandatés pour enquêter sur les erreurs montrent en fait que l'efficacité des moyens de contrôle ne vaut que si les notions de surveillance mutuelle et de responsabilité personnelle existent à tous les niveaux de la hiérarchie.

En l'espèce, les patrons n'ont pas eux-mêmes falsifié les comptes. Ils n'ont pas non plus instamment enjoint à leurs équipes de maquiller les résultats, mais ont fait pression de façon indirecte en souhaitant que les chiffres finaux se rapprochent des objectifs.

«Je voudrais un bénéfice d'exploitation pour les PC, c'est difficile, mais il faudrait y parvenir», a par exemple dit en 2008 le PDG d'alors, Atsutoshi Nishida, à ses collaborateurs, selon le rapport des experts.

Ou encore, toujours le même: «ces chiffres sont honteux, nous ne pouvons pas les publier ainsi».

«Corrigez, cela ne convient pas du tout», aurait aussi ordonné son successeur, Norio Sasaki, aux comptables lui présentant les résultats de la division «images» (comprenant les téléviseurs) en septembre 2012.

Quant à M. Tanaka, patron jusqu'à mardi, il est accusé d'avoir dit en novembre 2013 à ses subordonnés: «dans la mesure du possible, je souhaiterais que les pertes (sur les travaux d'installation des systèmes de paiements autoroutiers) ne soient pas reconnues dans les comptes du troisième mais du quatrième trimestre».

Face à ces attentes répétitivement exprimées par la direction, les collaborateurs, obéissants, ont répondu en utilisant parfois à contrecoeur divers moyens de calculs, selon les témoignages cités dans le rapport des experts.

«On ne va pas à l'encontre des souhaits du patron si l'on veut continuer de vivre ensemble dans la même organisation», décrypte M. Natsuno.

«Ce problème n'est pas propre à Toshiba, dans beaucoup d'entreprises japonaises l'attitude jugée intelligente est de ne pas s'opposer aux chefs», ajoute sur internet Hitoshi Kujiraoka, journaliste du quotidien Asahi Shimbun.