Vincent Lacroix obtiendra sa libération conditionnelle totale le 7 février, après 3 années en prison et 3 autres en maison de transition, à la suite de sa condamnation à 18 ans d'emprisonnement pour fraude et d'autres infractions.

Neuf mille investisseurs floués, 113,5 millions envolés... L'ampleur sans précédent de l'arnaque orchestrée par l'ex-grand patron de Norbourg, ancienne étoile du monde financier québécois, a fait réaliser à des milliers d'investisseurs à quel point ils sont vulnérables devant les stratagèmes des mandarins de la finance.

D'autant plus que d'autres personnes condamnées ou en attente de leur procès se sont ensuite succédé devant les tribunaux: Earl Jones, Carole Morinville, Lino Matteo, grand patron de Mount Real... Des vedettes comme Bruno Pelletier et Karine Vanasse se sont fait flouer. Et de nombreux retraités, ayant perdu les économies patiemment accumulées au fil des années, ont dû retourner au travail.

Le seul côté positif de ces scandales, c'est que les épargnants savent maintenant qu'ils doivent surveiller leurs affaires. «Les investisseurs n'ont pas le choix d'être plus allumés et plus vigilants qu'avant, souligne Gilles Viel, planificateur financier et victime de Norbourg. Cette affaire, c'est comme un cauchemar. Ç'a été très douloureux, j'ai pensé y laisser ma santé.»

Cependant, malgré les millions de dollars perdus dans des scandales financiers, bien peu de mesures ont été prises pour mieux protéger les investisseurs contre les arnaqueurs, dénoncent les victimes de fraudes et les groupes de défense des épargnants. Et, dans la majorité des cas, les victimes ne récupèrent jamais leur pécule.

«Il y a eu quelques améliorations pour mieux surveiller et contrôler l'industrie de la finance, mais ça ne change pas grand-chose pour l'investisseur, qui ne se sent pas mieux protégé», souligne Robert Pouliot, administrateur de la Fondation canadienne pour l'avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada), qui enseigne à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM.

«C'est très difficile d'être indemnisé. La majorité des investisseurs floués doivent encore se tourner vers les tribunaux pour obtenir justice, mais rien n'est fait pour leur faciliter la tâche. Et à cause des coûts élevés, plusieurs laissent tomber», poursuit-il.

«Nous avons fait toutes les vérifications avant d'investir, nous avons suivi toutes les règles, mais nous n'avons eu droit à aucune indemnisation», lance Janet Watson, l'une des 1600 victimes qui ont perdu collectivement 130 millions dans la débandade de la firme Mount Real, en 2005. Les 68 000$ d'épargne-retraite de la dame de 67 ans se sont volatilisés.

Près de neuf ans plus tard, le principal dirigeant de la société déchue, Lino Matteo, n'a toujours pas été jugé, bien que des centaines d'accusations criminelles aient été portées contre lui et une trentaine d'individus dans cette affaire. Un recours collectif réclamé par les victimes a été autorisé en 2012, mais l'affaire n'a toujours pas été entendue et les investisseurs lésés n'ont toujours rien récupéré.

Plus d'enquêtes

Après l'éclatement du scandale Norbourg et des autres qui ont suivi, les gouvernements et les organismes de réglementation ont mené plusieurs consultations pour savoir comment protéger les investisseurs et indemniser les victimes.

Les gestionnaires de fonds communs ont maintenant des règles plus strictes à suivre. Des équipes d'enquête mixtes, auxquelles collaborent l'Autorité des marchés financiers (AMF), la Sûreté du Québec, la Gendarmerie royale du Canada et le Directeur des poursuites criminelles et pénales, ont été créées pour détecter les fraudes et sévir plus rapidement contre les escrocs.

«Notre personnel d'enquête a doublé, on a maintenant 150 enquêteurs, explique le porte-parole de l'AMF, Sylvain Théberge. On se fait dire qu'il y a plus de fraudeurs, mais c'est surtout parce qu'on en détecte plus.»

Indemnisation limitée

Mais rien n'a amélioré l'indemnisation des victimes. Actuellement, une minorité des demandes d'indemnisation sont acceptées. L'an dernier, sur 111 décisions de l'AMF, seulement 18 ont donné lieu au versement d'indemnités, soit 16%.

Dans l'affaire Norbourg, seulement 10% des 9200 victimes ont été couvertes par le Fonds d'indemnisation, ce qui avait provoqué un tollé - elles ont ensuite touché d'autres sommes à la suite d'un recours collectif et de la liquidation des actifs de Lacroix et de sa firme. Dans le cas Mount Real, aucun des 1600 investisseurs floués n'a été indemnisé. Ni dans l'affaire Earl Jones, puisque le conseiller financier véreux n'était pas accrédité auprès de l'AMF.

À la suite de consultations, des changements ont été recommandés l'automne dernier par l'AMF au Fonds d'indemnisation des services financiers (FISF). Mais le ministre des Finances, Nicolas Marceau, n'y a toujours pas donné suite.

De plus, les modifications suggérées ne permettraient pas de couvrir la majorité des investisseurs floués, dénoncent les défenseurs des victimes. La fraude commise par un conseiller sans permis ne serait toujours pas couverte. Ni les malversations de gestionnaires de fonds communs et de courtiers.

«C'est déjà difficile pour les consommateurs d'épargner pour leur retraite. Ce n'est pas possible pour eux de surveiller les gestionnaires des fonds où ils investissent», souligne Robert Pouliot. La Coalition pour la protection des investisseurs, dont il fait partie, a suggéré un nouveau fonds payé et contrôlé par les investisseurs qui couvrirait l'ensemble des cas de fraude et de négligence en agissant comme une assurance placements. Ses responsables évalueraient les gestionnaires de fonds pour informer les investisseurs. De plus, étant donné la complexité croissante des produits financiers, ils devraient être analysés et agréés afin d'en évaluer le risque pour les consommateurs.

Mais ces propositions n'ont pas été retenues par l'AMF.

L'organisme a tout de même proposé un léger élargissement de l'indemnisation. Actuellement, si un conseiller commet une fraude en vendant à ses clients des produits pour lesquels il ne détient pas de permis, les victimes ne sont pas couvertes - par exemple, un courtier d'assurance qui vend des placements. L'AMF recommande de lever cette restriction, ce qui aiderait plus de victimes. «Ça aurait permis à un plus grand nombre de clients de Norbourg d'être indemnisés», illustre Sylvain Théberge.

De plus, pour éviter que le fonds ne se vide, comme ce fut le cas après le paiement de 31 millions aux victimes de Norbourg, l'AMF propose de prélever 15% sur chaque versement d'indemnisation. Ce qui revient à faire payer les victimes, dénoncent les défenseurs des épargnants, qui attendent toujours des gestes concrets afin de pouvoir investir l'esprit en paix.

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DEUX HOMMES, DEUX SCANDALES

Vincent Lacroix - PDG de Norbourg

> Fraude de 113,5 millions aux dépens de 9200 victimes

> Plus de 100 chefs d'accusation. Reconnu coupable.

> Les victimes ont reçu 31 millions du Fonds d'indemnisation des services financiers (FISF) et 140 millions provenant de la liquidation des actifs de Lacroix et Norbourg, et du recours collectif contre l'AMF et d'autres firmes. Au final, elles ont récupéré 85% de leurs capitaux et payé 11,6 millions en frais d'avocats.

Lino Matteo - PDG de Mount Real

> Fraude présumée de 130 millions aux dépens de 1600 victimes

> 690 chefs d'accusation. Accusations portées en 2007 au pénal. Le procès devrait commencer à l'automne. Aussi accusé au criminel, pour son implication dans l'affaire Cinar-Norshield.

> Les victimes n'ont rien reçu du FISF. Recours collectif autorisé en 2011, mais l'affaire n'a pas encore été entendue.

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L'AFFAIRE NORBOURG

> Août 2005: Perquisition aux bureaux de Norbourg. Dépôt d'un recours collectif au nom de 9200 investisseurs.

> Juin 2006: Les investisseurs reçoivent 32 millions.

> Janvier 2007: Le Fonds d'indemnisation des services financiers verse 31 millions.

> Décembre 2007: Lacroix reçoit une peine de 12 ans moins un jour. La Cour d'appel réduira la peine à cinq ans moins un jour.

> Sept.-oct. 2009: Il plaide coupable à 200 chefs d'accusation et écope de 13 ans de pénitencier.

> Juin 2010: Les investisseurs recevront 55 millions comme règlement d'un recours collectif.

> Janvier 2011: Libération conditionnelle. Lacroix emménage dans une maison de transition.

> 7 février 2014: Libération conditionnelle totale. Sa peine se termine en 2026.