Les Australiens entretiennent une relation amour-haine avec leurs mines et leurs gisements de gaz et de pétrole. C'est la source de leur nouvelle richesse. Mais là-bas comme ici, c'est la cause d'innombrables déchirements.

À bord du traversier qui transporte de nombreux baigneurs et surfeurs en ce samedi ensoleillé, l'île de North Stradbroke se laisse lentement découvrir. Plages d'une blancheur immaculée, eaux turquoise piquées de voiliers et de motomarines, végétation luxuriante.

Ce paysage idyllique correspond à l'image que l'on se fait du paradis. Jusqu'à ce que l'on remarque une vaste bande de sable blanc qui dénude de façon incongrue un sommet de l'île.

Cette curiosité pour les touristes est une balafre pour de nombreux Australiens qui possèdent une résidence secondaire dans cette île recherchée au large de Brisbane, la capitale du Queensland.

Cela n'a rien de nouveau. Depuis des décennies, des entreprises minières creusent cette île de sable riche en minéraux lourds, pour en extraire du titane, du zirconium et du rutile, entre autres. L'industrie des sables noirs, c'est le gagne-pain traditionnel de cette île de 3000 habitants, où l'on est mineur de père en fils.

Mais cette activité suscite de plus en plus d'opposition, dans l'île comme sur la côte. Le gouvernement du Queensland s'est engagé à créer un parc national et à mettre un terme aux forages d'ici 2027.

«Mais qui veut travailler dans le tourisme, des jobs d'esclave avec des salaires de misère?» demande John Semple, résidant de Point Lookout de 54 ans.

John Semple s'est réfugié sur «Straddie» à l'âge de 19 ans, pour fuir la conscription lors de la guerre du Vietnam. Il y a rencontré sa femme, Donna. Dans leur maison en hauteur, tout ouverte sur la mer, ils y ont élevé leurs trois enfants.

Après avoir appris le métier dans les mines de North Stradbroke, il est devenu expert en santé et en sécurité sur les chantiers miniers. «C'est sûr que c'est destructeur, toute activité minière laisse des cicatrices. Mais elles s'effacent», dit-il alors qu'il conduit son pick-up sur un chemin poussiéreux. D'un côté du chemin se trouve la nature à l'état brut. De l'autre, des terrains qu'il a lui-même reboisés, voilà 32 ans. Pour qui l'ignore, la différence est imperceptible.

«C'est mon île, dit John Semple. Toute ma vie, j'ai voulu la remettre dans le même état que je l'ai trouvée.»

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Les Australiens entretiennent une relation amour-haine avec l'industrie minière, qui repart sur sa folle lancée après avoir fait une pause durant la crise financière. La demande de la Chine et du reste de l'Asie semble insatiable.

En raison de la poussée des prix des matières premières et de la hausse de la production, l'Australie a expédié pour 165 milliards $A de minerais et de produits pétroliers et gaziers en 2010. Ces expéditions, qui ont progressé de 25% en seulement un an, représentent 71% des exportations de marchandises du pays ! C'est deux fois plus élevé qu'au Canada (36%), selon les calculs de La Presse à partir de données fournies par Statistique Canada.

Aucune autre industrie n'a progressé aussi rapidement en cinq ans. Les Australiens en ont profité. L'industrie emploie près de 206 000 personnes, une main-d'oeuvre 57% supérieure à il y a cinq ans. Mais les minières aussi, surtout les grandes comme BHP Billiton, Rio Tinto, XStrata ou Forescue Metals, dont les profits se chiffrent par dizaines de milliards de dollars.

Cette voracité dans l'extraction des ressources de l'Australie dérange même ceux qui, comme John Semple, défendent l'industrie minière. «Tout cet argent qui se retrouve dans les poches des actionnaires étrangers! Ce sont les ressources du pays. Lorsqu'elles auront été dilapidées, il n'y en aura plus. Notre pays doit recevoir sa juste part des profits», martèle-t-il.

C'était l'idée derrière la nouvelle taxe sur les superprofits des minières. Le gouvernement travailliste de centre gauche de Kevin Rudd l'a dévoilée le 2 mai dernier. Cette taxe de 40% devait s'appliquer sur tous les profits passés un rendement de base (taux des obligations du Trésor de 10 ans), à partir de juillet 2012. Elle a suscité un tollé dans l'industrie, qui n'a pas vu venir le coup. «Nous avons été renversés autant par son ampleur que par son application», raconte David Peever, directeur général de Rio Tinto pour l'Australie.

Les sociétés minières ont orchestré une coûteuse campagne pour renverser cette mesure. Voyant cette opposition féroce et la déception des Australiens devant l'abandon de la promesse, par Kevin Rudd, d'imposer une taxe sur le carbone, des travaillistes influents ont orchestré un putsch contre leur chef. Le 24 juin, la vice-première ministre, Julia Gillard, s'est installée dans son fauteuil.

Quelques jours après, le gouvernement Gillard a adouci cette taxe, rebaptisée taxe sur les ressources minérales. Cette taxe réduite à 30% s'appliquera à partir d'un seuil de profits plus élevé. Et comme les sociétés minières pourront déduire des coûts d'extraction, son taux effectif est plutôt de 22.5%

«C'est un compromis, insiste David Peever. Nos investissements en Australie ne sont plus à risque. Malgré tout, nous sommes au sommet de la courbe de l'imposition.»

Ce débat qui s'était calmé est revenu à l'avant-scène en février, lorsque les Australiens se sont rendu compte que ce « compromis » priverait les finances publiques de revenus estimés à 60,5 milliards sur 10 ans... « Pourquoi les Australiens se sont-ils fait duper?» a demandé en substance la chroniqueuse Jessica Irvine, du Sydney Morning Herald, après avoir calculé que, pour chaque dollar dépensé à dénigrer la taxe à la télé, les minières ont économisé 2750$!

Il n'y a pas qu'à Canberra que ce débat fait rage. Car si les Australiens veulent toucher leur part des profits, ils ne souhaitent pas voir d'activités minières dans leur cour. Cela ne pose pas problème en Australie-Occidentale. Les forages sont concentrés dans le Pilbara et le Kimberley, deux régions peu peuplées au nord de la province. C'est autre chose dans le Queensland.

Dans la région rurale de Darling Downs, par exemple, des agriculteurs font campagne contre le gouvernement. Ils en veulent à Queensland d'avoir délivré un permis à une société d'État, Tarong Energy, pour l'exploitation d'un gisement de charbon de Haystack road, près du village de Warra. Cette activité minière ruinerait des terres considérées parmi les plus fertiles au pays. D'où ce slogan des fermiers: «coal for breakfast», du charbon au petit déjeuner!

«Le gouvernement se trouve en conflit d'intérêts, dénonce Wayne Newton, président de la division des grains d'Agforce, l'union des producteurs agricoles du Queensland. Il est censé réglementer l'industrie, mais il a désespérément besoin des fonds venant de la vente des droits miniers.

«Pourtant, les bénéfices à long terme de conserver de bonnes terres agricoles dépassent largement les profits à court terme qui peuvent être empochés par l'industrie minière.»

Si seulement les riches habitants de Brisbane venaient passer leurs vacances sur les fermes à l'ouest de la capitale plutôt que sur les plages de sable fin de North Satradbroke, soupire Wayne Newton avec une pointe d'ironie. Les terres des agriculteurs seraient bien protégées...