Dans la brume de son sommeil, Alicia Whillier entend la Harley-Davidson de son voisin pétarader, comme tous les matins. Mais ce qui lui semble incongru, en ce 12 janvier, c'est le gargouillis émis par le pot d'échappement.

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Cette étudiante de 21 ans entrouvre les yeux. Il fait encore nuit noire. Son copain Jason sort du lit pour aller voir. L'eau boueuse de la rivière Brisbane atteint presque la deuxième marche de leur appartement. Et elle monte à vue d'oeil.

Eux qui, la veille encore, pensaient s'en sauver en remisant leur ordinateur en hauteur n'ont plus qu'une idée en tête: fuir. Avec leurs compagnons.

Alicia et Jason placent Xeno, leur python long de deux mètres, dans une taie d'oreiller. Ils emballent leurs lézards. Puis ils mettent leurs chats, Ritona et Hestia, toutes griffes sorties, dans de simples sacs d'épicerie. L'eau atteint déjà le bras de vitesse de la voiture lorsqu'ils s'y assoient. Par miracle, le moteur démarre. C'est ainsi que leur arche de Noé improvisée s'est péniblement hissée au sommet de Park Road.

«On a vu tout cela d'un peu trop près», dit Alicia, une grande fille aux yeux clairs et aux cheveux bouclés, qui vit maintenant chez son père.

Enseveli sous les eaux pendant 24 heures, englué dans les sédiments, l'appartement vidé de tous ses meubles par des bénévoles n'est plus qu'une carcasse. Il appartient à la mère d'Alicia, Rebecca Walls. «C'est mon fonds de retraite», dit cette gestionnaire de contrats à l'institut national de recherche CSIRO, visiblement chavirée en regardant les photos du logement détruit défiler à l'écran de son ordinateur.

Pour Alicia Whillier, Rebecca Walls et bien d'autres résidants du Queensland, l'année 2011 a commencé de façon brutale. Les inondations qui ont culminé en janvier ont fait 35 morts. Elles ont été suivies par un cyclone de catégorie 5, qui a touché terre le 3 février. Yasi a frappé de plein fouet le nord de l'État, semant la destruction sur son passage.





Les cultures ravagées

C'est un autre coup dur pour les 25 000 fermiers du Queensland, qui ont reçu de la pluie presque sans discontinuer depuis octobre en raison du phénomène météorologique de La Niña. De quoi faire perdre au Queensland son surnom de Sunshine State.

Or, le Queensland, c'est le potager de l'Australie. Cet État produit 92% du sucre et 28% des fruits et des légumes du pays.

Le cyclone Yasi a ravagé les cultures de banane et de canne à sucre du nord de l'État, en pleine saison des récoltes. Les trois quarts de la production de bananes de l'État ont été perdus, estime la Fédération des fermiers de l'Australie.

Les importations étant restreintes, les bananes ont quadruplé de prix à l'épicerie. Elles coûtent près de 6 dollars le kilo. Ce qui n'empêche pas les petits Australiens d'en dévorer au goûter, ce fruit étant aussi irremplaçable que le «vegemite» au petit-déjeuner, la pâte à tartiner nationale.

Avec les inondations et Yasi combinés, le gouvernement estime à 2,5 milliards de dollars australiens la valeur des récoltes perdues. Une somme qui exclut les dommages causés à la machinerie agricole, aux routes et aux infrastructures rurales. Ainsi, Canberra prévoit consacrer 5,6 milliards à la reconstruction des zones sinistrées. De cette somme, 1,8 milliard viendra d'un impôt spécial à être payé par les Australiens gagnant plus de 50 000$.

PHOTO DAVE HUNT, AFP

Une plantation de bananes immergée après le passage du cyclone Yasi en février dernier, dans le Queensland.

Des dommages difficiles à évaluer

Dans les terres agricoles qui entourent Dalby, à 175 kilomètres à l'ouest de Brisbane, les agriculteurs étudient encore leurs champs pour évaluer l'ampleur des dommages.

On a peine à imaginer ces plaines inondées, alors que les champs de sorgho d'un rouge orangé contrastent avec le ciel bleu en ce vendredi de février. Mais les fossés s'assèchent encore, un mois après la crue de la rivière Condamine. Les nombreux chantiers pour réparer les routes éventrées trahissent aussi le passage des eaux.

Éleveurs de bovins shorthorns, avec quelque 1200 reproducteurs sur un troupeau qui atteint 3000 têtes, Spencer et Sophie Morgan n'ont perdu que 30 bêtes. Mais ils ont rescapé leur troupeau au prix d'efforts herculéens.

Anticipant la crue des eaux, ils avaient guidé leurs animaux sur une butte. Mais celle-ci n'était pas assez élevée. Sous le pont de Condamine, le 1er janvier, la rivière a atteint une hauteur de 1,2 mètre supérieure au sommet historique mesuré en 1890.

Ils ont réuni deux bateaux, une motomarine, un hélicoptère, un giravion et un petit avion servant normalement à l'épandage, empruntés à droite et à gauche. Cette armée de fortune a poussé les vaches à nager jusqu'en lieu sûr.

En revanche, le tiers de leurs 20 000 acres ont été immergées pendant des jours. Ils ont perdu tous leurs prés de pâturage, en plus de leurs récoltes de coton et de sorgho. À elles seules, ces récoltes valaient 250 000$A. C'est sans parler des clôtures qu'il faudra remplacer, du pâturage qu'il faudra replanter.

«En Australie, où nous sommes souvent frappés par la sécheresse, il y a un proverbe qui dit qu'il y a plus d'argent à faire avec de la boue qu'avec de la poussière. Mais je n'en suis plus aussi sûr», dit Spencer Morgan, 42 ans.

«J'espère que les banquiers vont être compréhensifs», ajoute-t-il, en vissant sa casquette verte sur sa tête.

L'Australie ne dispose pas d'assurance récolte. Quant aux assureurs, plus habitués à la grêle ou aux incendies, ils ne couvrent pas ce type de catastrophe. Jusqu'ici, les Morgan n'ont reçu qu'un dédommagement de 25 000$ du gouvernement. Ils sont toutefois admissibles à des prêts à taux d'intérêt réduits.

La situation est d'autant plus difficile pour les agriculteurs que plusieurs sols, lavés par les eaux, ont perdu leur richesse. Or, leur restauration prendra des années, dit Wayne Newton, président de la division des grains d'AgForce, l'union des producteurs agricoles du Queensland, qui compte 7000 membres. Depuis son pick-up, il montre les trous dans ses champs de sorgho et de coton. Cet agriculteur de 54 ans et son associé ont perdu le tiers de leur récolte d'été, la plus payante.

Entre la sécheresse et les inondations, les fermiers australiens sont endurcis aux épreuves, note Wayne Newton. «Mais j'ai reçu des appels de jeunes producteurs très endettés qui me disent qu'à moins d'un miracle, ils seront peut-être contraints de jeter l'éponge», ajoute-t-il.

Pour les Morgan, fermiers de père en fils depuis des générations, pas question d'abandonner. «C'est notre vie», dit simplement Spencer Morgan, père d'un garçon de 13 ans et d'une fillette de 9 ans. «C'est une grosse perte financière, ajoute Sophie Morgan, mais à la fin, nous sommes tous en vie.»

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EN CHIFFRES (Canada / Australie)

Population: 34,2 millions / 22,6 millions

Premier ministre: Stephen Harper, conservateur / Julia Gillard, travailliste

Capitale: Ottawa / Canberra

Taux de chômage 2010: 7,8% / 5%

Inflation 2010: 2,2% / 2,7%

Taux directeur: 1% / 4,75%

Taux de change: 1,023$US / 1,021$US

PIB réel 2010: 1325 milliards CAN / 1301 milliards A

PIB par habitant: 38 654$ CAN / 57570$ A

Sources : Statistique Canada, Australian Bureau of Statistics, calculs La Presse.

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71%

L'importance des expéditions de minerais et d'énergies fossiles (pétrole, gaz naturel) dans les exportations de biens de l'Australie en 2010. En comparaison, le poids des exportations canadiennes de minerais et d'énergies fossiles, dans nos expéditions de marchandises, était moitié moindre (36%), d'après les calculs de La Presse à partir des données fournies par Statistique Canada.

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Pour joindre notre journaliste: sophie.cousineau@lapresse.ca

PHOTO FOURNIE PAR AGFORCE

Wayne Newton, président de la division des grains d'AgForce, l'union des producteurs agricoles du Queensland.