Pendant plus d'une décennie, Bernard Madoff a berné des investisseurs de Wall Street, les plus grandes familles de la noblesse européenne, la plupart de ses employés, des amis d'enfance.

Il a réussi à monter une fraude pyramidale évaluée à 65 milliards US, la plus vaste fraude financière de l'histoire, sans se faire attraper. Comment s'y est-il pris? Madoff était-il un génie?

La question est posée en filigrane dans No One Would Listen, le nouveau livre d'Harry Markopolos, l'analyste financier qui a tiré la sonnette d'alarme au sujet des opérations de Madoff.

Le titre du livre est approprié: pendant près de 10 ans, Markopolos a tenté d'avertir les autorités de la fraude. Pendant 10 ans, il a été ignoré. L'effondrement de Madoff l'a propulsé au rang de héros, un titre qu'il dit ne pas mériter.

«J'ai échoué, écrit-il. Je n'ai pas réussi à faire arrêter la fraude à temps, et des milliards ont été perdus.»

Markopolos travaillait pour une firme d'investissement de Boston, en 1999, quand un collègue a attiré son attention sur un fonds spéculatif dirigé de façon discrète par Madoff, cofondateur du NASDAQ et président de l'une des plus grandes sociétés d'investissement de Wall Street.

Madoff offrait des rendements de 12 à 15% par année, peu importe la volatilité du marché. Intrigué par ces rendements constants, Markopolos, expert en mathématiques, s'est mis à analyser les chiffres.

«Au bout de cinq minutes, j'ai su que c'était une fraude, écrit-il. Je ne savais pas ce qu'il faisait, mais je savais que les rendements déclarés étaient mathématiquement impossibles.»

Fasciné par ce qu'il venait de constater, l'analyste a monté au fil des mois un réseau de collègues et de connaissances à New York, Boston et Washington qui lui fournissaient des renseignements sur la firme de Madoff. L'année suivante, Markopolos a envoyé un premier rapport à la Securities and Exchange Commission (SEC), organisme fédéral chargé de réguler le marché. La SEC n'a pas tenu compte de ces avertissements.

Entre 2000 et 2008, Markopolos a envoyé un total de cinq rapports détaillés à la SEC. L'un d'eux était intitulé: Le plus grand fonds spéculatif du monde est une escroquerie.

Il a fait tout ce travail en vain. Personne ne l'a pris au sérieux. Ses rapports étaient trop détaillés pour être vrais, ont par la suite dit des enquêteurs. En 2005, la SEC a lancé une rapide enquête sur Madoff, avant de conclure que ses opérations étaient légitimes.

Ce résultat n'étonne pas Markopolos, qui dit être encore «enragé» par l'incompétence de l'organisme fédéral.

«Les gens de la SEC seraient incapables de trouver de la crème glacée dans un Dairy Queen», écrit-il.

No One Would Listen est un ouvrage captivant, qui se lit comme un roman policier. Tout le monde connaît la fin mais, ici, c'est la démarche qui est importante. Markopolos réussit à créer du suspense et à faire pratiquement bouillir le sang du lecteur, sidéré devant le degré d'incompétence de la SEC.

Le pire, écrit Markopolos, c'est que Madoff était loin d'être un génie.

«Il était charismatique, avenant et habile. Mais sa fraude était relativement simple. S'il a eu du succès, c'est parce que la SEC dormait au gaz. C'est ce qui lui a permis de continuer pendant si longtemps.»

No One Would Listen: A True Financial Thriller, Harry Markopolos, Wiley, 354 p.