Francophiles et fanatiques de hockey, les descendants de septième génération du brasseur John Molson ont réalisé leur rêve d'enfance: racheter le Canadien de Montréal. Portrait de trois frères qui ne «pètent pas de broue».

Lundi 26 octobre, au Centre Bell. Le Canadien affronte les Islanders de New York. Malgré de belles échappées des hommes de Jacques Martin, accueillies par les cris stridents des partisans, le score n'est que de 1-0 pour Montréal à la fin de la première période.

 

Derrière le banc du Tricolore, Andrew et Geoffrey Molson sont aux premières loges. Depuis des décennies, leur famille occupe les meilleurs sièges de l'amphithéâtre. Ce n'est plus comme avant, note toutefois Andrew Molson. Avant l'installation de la paroi protectrice en plexiglas, précise l'aîné des frères Molson avec une pointe de nostalgie, «on pouvait sentir les joueurs, on pouvait les entendre sacrer».

Geoffrey Molson, le cadet, que tous surnomment Geoff, se souvient aussi des matchs de hockey de son enfance. Lui et ses grands frères Andrew et Justin ne pouvaient aller au Forum qu'avec la permission de leurs parents, une fois leurs devoirs terminés.

Mais ces soirées de fête évoquent chez Geoff Molson un autre souvenir: cette parenthèse de six ans, de 1972 à 1978, durant laquelle le Canadien était tombé aux mains de la famille Bronfman.

En 1968, son grand-père Thomas et son grand-oncle, Hartland de Montarville Molson, ont cédé le Tricolore et le Forum à leurs cousins David, Billy et Peter. Dans cette transaction de 3,3 millions de dollars (un prix d'ami à l'époque), il était entendu que l'équipe resterait dans la famille.

Les cousins ont toutefois écouté le chant des sirènes. Fin 1971, ils ont cédé le Canadien à Peter et Edward Bronfman pour 13,1 millions. Ulcéré, Hartland a mis six ans avant de récupérer «son» club pour 20 millions.

Cette trahison et la rancoeur qu'elle a suscitée dans sa famille ont marqué Geoff Molson. «Quand j'étais jeune, et en particulier quand nous n'étions pas propriétaires, je pensais toujours à racheter l'équipe, dit-il. Je rêvais de cette occasion, et cette occasion est venue.»

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Les trois fils d'Eric Molson et de Jane Mitchell se ressemblent tellement qu'ils pourraient presque passer pour des triplés. Andrew a 42 ans, Justin, 41 ans et Geoff, 39.

Jusqu'à l'adolescence, ils ont fait les 400 coups ensemble. Leur complicité et leur rivalité sur la patinoire se transportaient sur les terrains de tennis l'été.

Lorsque deux frères se chamaillaient, Eric et Jane les séparaient, sur la banquette arrière de la familiale, en assoyant le troisième entre eux. «Je n'étais pas toujours la Suisse, raconte Andrew. Parfois c'était Justin, d'autres fois c'était Geoff. Et quand le neutre perdait sa neutralité, les choses tournaient mal!»

Leurs chemins se sont séparés lorsque les frères sont allés terminer leur high school dans différents collèges aux États-Unis.

Andrew entreprend alors son «voyage académique». À Princeton, cette université du New Jersey où il étudie l'histoire de l'art, Andrew rêve de devenir cinéaste. Admirateur de David Lynch, il réalise des films dans l'esprit du cinéma expressionniste abstrait de Jackson Pollock et de Stan Brakhage. «Je n'étais pas très bon, mais je suis resté accroché à ce rêve assez longtemps», admet-il en souriant.

Alors qu'il poursuit ses études en droit à l'Université Laval, comme nombre d'anglophones l'ont fait dans les années 60, Andrew Molson espère se spécialiser en droit du cinéma. Mais il finit par se rabattre sur le droit des affaires et s'intéresse à l'immobilier et aux valeurs mobilières.

C'est ce qu'il pratique au cabinet McCarthy Tétrault, où il entre après l'École du barreau. Pour faire ses preuves, comme tous les jeunes avocats, il bosse sept jours sur sept. Il était un travailleur acharné, se souvient Isabelle Marcoux, vice-présidente du conseil de Transcontinental, entrée chez McCarthy en même temps que lui. «Il n'y avait jamais de tâche trop ingrate pour lui. Il pouvait réviser un prospectus jusqu'à 4h du matin.»

Andrew Molson se lasse toutefois des contrats et des prospectus. Un dossier l'amène à travailler avec National, la firme de relations publiques qui conseille déjà les Brasseries Molson. Il y fait le saut en 1997. National le prêtera à la Bourse de Montréal, puis à la Compagnie minière IOC, avant de le ramener à la direction.

«Je suis tombé en amour avec l'entreprise», dit-il. En fait, comme le disait Victor Kiam dans les publicités des rasoirs Remington, Andrew Molson a tellement aimé National qu'il a acheté la compagnie!

Personnellement et par l'entremise de la société Molson Frères, Andrew Molson est l'actionnaire majoritaire de Res Publica Capital. C'est la société mère de Res Publica, qui chapeaute National et Cohh&Wolfe Canada, deux firmes qui emploient 360 professionnels. En 2008, Res Publica a enregistré des revenus de 65 millions de dollars.

Res Publica est devenu le port d'attache d'Andrew Molson, qui siège à de nombreux conseils de sociétés à but non lucratif (Université Concordia, hôpital Sainte-Justine, Fondation Vimy, etc.). Il rayonne ainsi dans plusieurs cercles à Montréal.

Toutefois, Andrew Molson reste d'abord vice-président du conseil de Molson Coors. Depuis la fusion, en 2005, la famille Molson a un droit de veto sur la brasserie, avec 43,8% de ses droits de vote, même si elle ne possède que 3,2% de son capital. Cette participation valait 230 millions US au moment d'écrire ces lignes.

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Andrew Molson n'a jamais voulu travailler à temps plein pour l'entreprise familiale, fondée en 1786. Pas plus que son frère Justin, même si celui-ci s'est longtemps amusé à brasser des bières artisanales. Mais c'était l'ambition de Geoff.

«Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours voulu travailler là», raconte-t-il. Son père ne l'entend toutefois pas de cette oreille. Il lui impose de faire ses preuves ailleurs.

Geoff Molson a un MBA de l'Université Babson. Il avait choisi son école de gestion parce qu'elle se spécialise dans l'entrepreneuriat. Mais aussi parce que Babson lui permettait de se rapprocher de sa future femme, originaire de Boston. Il a rencontré Kate Finn dans ses cours d'économie à l'Université St. Lawrence, dans l'État de New York - qui, en passant, est aussi l'alma mater de l'entraîneur Jacques Martin.

Geoff Molson passera par Coca-Cola, à Atlanta, et CSC Consulting, à New York, avant d'entrer chez Molson USA (à Boston puis à Denver) et de revenir chez Molson Canada (à Toronto puis à Montréal). Cet expert en marketing vient toutefois de céder son poste pour se consacrer entièrement au Canadien. «Je suis un entrepreneur, maintenant!»

Justin Molson est éloigné de tout cela, au propre comme au figuré. «Les affaires, cela ne m'a jamais intéressé», dit-il tout de go.

Le deuxième fils d'Eric Molson habite à Jericho, à l'est de Burlington, au Vermont. Il a laissé son travail d'architecte paysager pour s'occuper de son garçon de 5 ans et de sa fille de 2 ans tandis que sa femme, Julia, travaille comme psychologue.

Amateur de sculpture et de photographie, amoureux de la nature et préoccupé par sa conservation, il est l'artiste de la famille. «J'adore travailler de mes mains», dit celui qui s'amuse à construire des murs de pierre.

Justin Molson vient à l'occasion voir des matchs de hockey à Montréal, mais il coule des jours heureux au Vermont, à l'écart de l'attention médiatique qui entoure le Canadien. «J'aime être indétectable au radar», dit le plus timide des trois frères.

De toute façon, Justin Molson ne peut souffrir la ville, lui qui a toujours étudié et travaillé dans des villages du Québec et de la Nouvelle-Angleterre, comme à Lennoxville (Bishop) ou à Washington, au Connecticut (The Gunnery). «Au bout de quelques jours, il faut que je parte, dit-il. Il n'y a qu'à la campagne que je me sens bien.»

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Trois frères, trois hommes. Mais ils partagent une passion: le hockey. Dire qu'ils sont de grands amateurs est un euphémisme. Fans finis du Canadien, ils sont maniaques de ce sport.

Le soir du match Canadien-Islanders, Andrew Molson a dû s'excuser après la deuxième période pour aller jouer avec sa ligue d'amateurs à Westmount. Il est ailier aux côtés d'un électricien et d'un gardien de sécurité.

Même lorsqu'il travaillait chez McCarthy, Andrew Molson trouvait le temps de coacher des garçons. Robert Doyle, associé de ce cabinet, se souvient qu'Andrew a convaincu son fils de 11 ans de ne pas lâcher le hockey, un sport qu'il pratique toujours à McGill.

Justin Molson, lui, commence à coacher son garçon. Il a de l'expérience. Après avoir étudié à l'Université Bishop, il a travaillé comme entraîneur à The Gunnery, son ancien collège, où il avait joué comme centre et ailier.

Plus éloigné, Justin n'assiste pas à tous les matchs au Centre Bell. Qu'à cela ne tienne: il s'est abonné à une chaîne spécialisée et regarde chaque soir un match de hockey, du Canadien ou d'une autre équipe, peu importe.

Si Justin a déjà remporté un trophée Lady Byng, décerné au gentleman de la patinoire, Geoff est celui qui a récolté le plus de punitions. «Mon père me disait toujours de faire attention, raconte Geoff. Ces adversaires, ce sont de futurs clients de la brasserie!»

Mais on pardonne bien des choses à ce défenseur qui, de l'avis de ses frères, est le meilleur hockeyeur des trois. Geoff Molson n'a jamais rêvé de la Ligue nationale de hockey (LNH). Il n'avait qu'un but: jouer. À St. Lawrence, une université reconnue pour son programme de hockey, il patine sept jours sur sept. Même lorsqu'il part étudier en France, à sa troisième année d'université, il se déniche une équipe de hockey à Rouen.

Aujourd'hui encore, Geoff Molson joue dans une ligue d'amateurs à Notre-Dame-de-Grâce. Père de quatre enfants âgés de 3, 4, 7 et 8 ans, il assiste à tous les matchs de ses trois garçons et à presque toutes leurs séances d'entraînement.

Mais il faut être aux côtés de Geoff Molson pour voir l'intensité avec laquelle il regarde un match. Sa tension est palpable, tandis qu'il entrecroise ses doigts et se frotte les pouces. Son regard s'assombrit lorsque les joueurs récoltent de sévères punitions. Silencieux, il lui arrive de lancer de petits mots d'encouragement lorsque les joueurs du Canadien partent en échappée. Ses joues s'empourprent toutefois lorsque les attaquants ratent le filet.

À moins d'un but, Geoff Molson n'applaudit jamais plus de trois fois. C'est l'une de ses manies. Tandis qu'Andrew est superstitieux durant les éliminatoires (lorsque le Canadien gagne, il met la même cravate au match suivant et s'assoit au même endroit), Geoff l'est toute la saison. Pendant l'hymne national américain, il évite de regarder les visiteurs. Et il a une fixation sur le chiffre 22, le numéro de Steve Shutt, son idole de jeunesse. Lorsqu'il voit ce chiffre - sur le tableau des tirs, sur le cadran ou sur le chandail de Paul Mara -, il cligne des yeux trois fois. «Personne ne le remarque, il n'y a que ma femme qui le sache!»

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Faut-il s'étonner que Geoff Molson ait piloté le rachat du Canadien de Montréal? Du début à la fin, c'était son affaire.

La première occasion s'est présentée en 2000, lorsque la brasserie Molson a annoncé la mise en vente des Glorieux pour se recentrer sur la bière, une décision d'affaires logique, mais «amère» pour Andrew Molson. Celui-ci voyait d'un oeil craintif l'arrivée de l'Américain George Gillett tandis que Montréal, en plein «psychodrame Jeffrey Loria», s'apprêtait à perdre son club de baseball.

À l'époque, toutefois, les frères Molson se trouvaient trop jeunes et inexpérimentés pour racheter le club. Mais ce n'était pas faute d'intérêt! L'achat du Canadien de Montréal, c'était le fantasme ultime de trois garçons qui avaient passé leur enfance à pousser la rondelle sur la patinoire du hameau de Massawippi, dans les Cantons-de-l'Est.

Les trois frères ont eu la chance de se rattraper au printemps dernier, lorsqu'un George Gillett endetté s'est résigné à vendre le Canadien.

«Geoff était sur le point de prendre la place de son père au conseil de Molson Coors et il avait acquis de grandes responsabilités de gestion chez Molson. C'est ce qui lui a permis de prendre la rondelle et de monter au but», observe Luc Beauregard, le fondateur de National et le vizir de la famille.

Plusieurs groupes lorgnaient le Tricolore. Pour obtenir la caution des Molson, ils sondent l'intérêt de la famille à s'associer à eux. «Mais tant qu'à être partenaires, se demande Geoff, pourquoi ne pas être propriétaires?» C'est la question qui le tient éveillé la nuit.

Geoff Molson échafaude un plan d'affaires en secret. Il s'en ouvre à son confident, alors que ces deux anciens élèves du Lower Canada College se rendent à Las Vegas pour enterrer la vie de garçon d'un ami commun. Pendant le vol, ils jettent le plan sur une feuille de papier, que Geoff a conservée.

Le 7 mai au matin, Geoff Molson réunit son père et son frère Andrew au restaurant Eggspectation, boulevard de Maisonneuve. Il leur présente son projet. Andrew embarque sur-le-champ. Eric approuve après courte réflexion. «C'est lui qui nous a permis de faire quelque chose d'aussi énorme que cela», note Geoff.

Le 26 mai, Geoff Molson dévoile son intérêt et annonce qu'il se retirera des conseils de Molson Coors et du Canadien lorsque la vente de l'équipe de hockey sera discutée. Puis, il cherche à former un consortium. De son propre aveu, Geoff ne connaît pas les grosses pointures des affaires. En bon médiateur, Andrew lui brosse leur profil et fait les présentations. «J'ai rencontré le Québec inc. en 15 jours», raconte Geoff.

Lorsqu'il présente son offre, le 10 juin, Geoff Molson est optimiste. Les trois frères sont appuyés par BCE, Woodbridge, le Fonds de solidarité de la FTQ, Michael Andlauer et Luc Bertrand. Mais neuf jours après, il est assailli de doutes.

À 16h ce vendredi-là, Geoff Molson présente sa «dernière offre» puis part pour Dorval. De l'aéroport, il appelle son père. «Je lui ai dit que je ne pensais pas que cela allait marcher.» Même si cyberpresse.ca ébruite la nouvelle en début de soirée, l'heureux coup de fil ne viendra qu'à 1h du matin.

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Acheter le Canadien, cela change une vie. Plusieurs mois après la transaction, les frères Molson s'en étonnent encore.

Au premier entracte du match Canadien-Islanders, les dirigeants du Tricolore et des légendes du hockey se réunissent dans un salon privé pour fêter les 60 ans de Réjean Houle. Tandis que les coupes de champagne s'entrechoquent, «Peanut» rougit d'émotion devant un gâteau décoré d'une rondelle de hockey.

Une femme séduisante s'avance entre Jean Béliveau, Bob Gainey et Réjean Houle. Mais c'est à Geoff Molson qu'elle demande s'il accepte d'être pris en photo à ses côtés. «Il va falloir que je m'y habitue», philosophe-t-il.

Les frères Molson sont moins farouches que leur père. Ce chimiste timide a toujours fui caméras et micros. Geoff Molson, lui, a déjà annoncé la bière Canadian sur les ondes de la télé américaine! Dans cette publicité rigolote qu'on peut voir sur YouTube, il s'amuse à tirer des t-shirts promotionnels à l'aide d'un canon à air comprimé, semant la pagaille derrière lui.

Toutefois, même le plus extraverti des fils d'Eric Molson est secoué par l'attention énorme qui entoure le Canadien de Montréal. On reconnaît Geoff Molson à l'épicerie. Son frère Andrew s'est fait demander un autographe par sa blanchisseuse. La vie incognito, c'est du passé.

«Tu es dans un endroit public, et tu peux te faire twitter ou youtuber, dit Andrew Molson. On a toujours fait attention à ce qu'on dit, mais maintenant, on a peur que des choses puissent être mal interprétées.»

C'est ce que ce spécialiste des relations publiques surnomme le «risque de réputation». Mais lorsque l'occasion de racheter le Canadien s'est présentée, cette crainte a été balayée d'un coup de bâton de hockey.

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En achetant le Canadien, son amphithéâtre et la division spectacles pour 575 millions CAN, les frères Molson comptent démontrer qu'ils peuvent rentabiliser cette transaction record. Mais, avant même que la Ligue n'approuve cette acquisition, les frères Molson ont d'abord dû prouver leur attachement au Québec.

Le sujet n'est jamais abordé ouvertement. Toutefois, derrière les questions sur la présence de joueurs francophones ou sur le retrait du chandail de l'ex-capitaine Émile «Butch» Bouchard, une impression demeure: les Molson doivent doublement démontrer leur amour du Québec français.

Parce qu'ils vivent ou ont longtemps vécu aux États-Unis, parce qu'ils ont épousé des Américaines, Justin et Geoff connaissent moins bien la culture québécoise que ne l'est Andrew. S'il tape du pied sur un rigaudon qu'il adore au Centre Bell, Geoff Molson ne reconnaît pas automatiquement Gilles Vigneault.

En revanche, les trois frères sont beaucoup plus francophiles que les Québécois le croient. Du primaire à l'université, ils ont étudié de nombreuses années en français: Cours Chateaubriand, Collège Marie de France, Collège de Montréal, Selwyn House en immersion française. Tandis que Geoff a étudié à Rouen pour sa majeure en études françaises, Andrew a vécu un an dans une famille bretonne à Rennes.

Deux poids, deux mesures pour la famille Molson? «De toute façon, quand on est né avec un nom, il faut toujours en faire plus pour montrer qu'on n'est pas des enfants de riches qui se font tout donner, dit Andrew Molson. Toute notre vie, nous avons vécu avec cette présomption.»

Sauf lorsqu'il étudiait à Québec! Chroniqueur aux sports à La Presse, Jean-François Bégin était de la même promotion qu'Andrew Molson. C'est seulement lors d'un match au Centre Bell, après ses études, qu'il a réalisé que son ancien camarade de classe était un «vrai» Molson.

Rien en apparence ne laissait croire qu'il venait d'une famille riche de Westmount. Andrew Molson portait le plus souvent un chandail en coton ouaté de l'université. Il roulait dans une Ford Escort grise, qu'il a remplacée par une Saturn familiale bleue. Et contrairement à ses amis anglophones, qui rentraient en courant à Montréal les week-ends, il s'est intégré à Québec, se souvient son ami de l'époque, David Schwalb, aujourd'hui avocat à Bucarest. C'est dans la Vieille Capitale qu'il a rencontré Anik Wilhelmy, la mère de ses filles de 16 et de 13 ans.

«Il n'avait pas peur de prendre plus de cours que requis ou de choisir des professeurs exigeants, note David Schwalb. Il n'a jamais pris le chemin de la facilité.»

Ce chemin, on ne pourra pas dire que les frères Molson l'ont emprunté en rachetant le Canadien de Montréal. L'entreprise, à maturité, sera difficile à rentabiliser davantage que George Gillett, en brillant marketer, ne l'a déjà fait.

Les billets et la bière ne peuvent se vendre plus cher! Le Centre Bell est réservé à l'année. Pis, le Canadien est toujours aussi vulnérable aux fluctuations abruptes du huard par rapport au billet vert, la devise avec laquelle les hockeyeurs sont payés.

Les Molson prendront-ils le relais de George Gillet, qui s'était associé au départ au complexe immobilier que le groupe Cadillac Fairview projette autour du Centre Bell? «Il y a plusieurs occasions à l'extérieur des murs du Centre Bell, dit Geoff Molson, et pas seulement en immobilier.» L'homme d'affaires songe notamment aux nouvelles possibilités de commercialisation des matchs et des spectacles qu'offrent les téléphones intelligents.

Mais ce n'est pas à ces succès commerciaux que les partisans jugeront les frères Molson. Les fans du Canadien rêvent d'une 25e Coupe Stanley, rêve qui semble bien lointain en ce difficile début de saison. «Il va y avoir des hauts et des bas, et c'est clair que la pression va monter dans les temps durs», reconnaît Geoff Molson.

Si vous ne pouvez pas tolérer la chaleur, tenez-vous loin de la cuisine, aimait à dire le président Harry Truman. Mais les frères Molson ne sont pas du genre à lâcher ou à vendre pour empocher un profit rapide. C'est pourquoi Luc Beauregard était soulagé de céder sa firme à Andrew Molson, un «actionnaire professionnel» qui, selon lui, a à coeur la pérennité de ses entreprises. «Je savais qu'il ne flipperait pas la firme après deux ans: ce n'est pas le genre de la maison.»

Ainsi en sera-t-il du Canadien de Montréal. Comme le sénateur Hartland de Montarville Molson, qui a assisté à tous les matchs du Tricolore jusqu'à sa mort, à l'âge de 95 ans, Andrew, Justin et Geoff comptent s'asseoir derrière le banc du Canadien pendant fort, fort longtemps.

Pour joindre notre journaliste : sophie.cousineau@lapresse.ca

 

1763

Naissance de John Molson dans le Lincolnshire, en Angleterre. Il deviendra orphelin à 8 ans.

1782 John Molson émigre au Canada.

1786 La brasserie Molson voit le jour.

1821 John Molson contribue au financement du premier hôpital public de Montréal.

1836 Mort de John Molson.

1855 La Banque Molson reçoit sa charte d'institution financière.

1920 La famille Molson investit dans la construction du Forum.

1925 La Banque de Montréal achète la Banque Molson.

1945 La brasserie Molson entre en Bourse.

1957 Hartland de Montarville Molson et son frère Thomas, grand-père d'Andrew, de Justin et de Geoffrey, achètent le Canadien et le Forum.

1989 Molson achète la brasserie Carling O'Keefe.

2001 La brasserie Molson vend 80,1% du Canadien et son amphithéâtre pour 275 millions.

2005 Fusion de Molson et de Coors, qui deviennent le cinquième brasseur mondial.

2009 Vente pour 575 millions du Canadien, du Centre Bell et de la division spectacles à un consortium piloté par les trois fils d'Eric Molson.

 

LES IDOLES DE JEUNESSE DES TROIS FRÈRES MOLSON

1. Pierre Larouche pour Andrew Molson

2. Réjean Houle pour Justin Molson

3. Steve Shutt pour Geoffrey Molson