Les diplômés en droit de l'UQAM sont en minorité dans les grands cabinets d'avocats. Sont-ils victimes de discrimination?

À première vue, rien ne différencie l'avocat Jean-François Hudon de ses collègues de Davies Ward Phillips&Vineberg, ce cabinet en droit des affaires où pratique notamment l'ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard.

Pourtant, il y a chez ce jeune homme de 29 ans un signe distinctif, certes imperceptible à l'oeil nu, qui en fait presque un martien au pays des avocats d'affaires: il est diplômé en droit de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

 

Et alors? Et alors rien, si ce n'est qu'il s'agit d'un fait unique, presque à classer dans les anales de la petite histoire du droit québécois. Car il est le seul uqamien à pratiquer dans ce bureau fondé en 1895 - qui compte 250 avocats à Montréal, Toronto et New York - et le premier à y avoir été embauché, à l'été 2008. En plus de 110 ans!

«En fait, dans toute l'histoire du cabinet, Jean-François est le premier diplômé de l'UQAM à qui nous avons fait une offre», souligne Justin Vineberg, l'associé qui s'occupe du processus du recrutement des étudiants.

La situation est loin d'être unique. À Montréal, dire que les diplômés en droit de l'UQAM sont sous-représentés dans les grands bureaux d'avocats est un euphémisme. Chez McCarthy Tétrault, par exemple, sur les quelque 150 avocats du bureau de Montréal, seulement deux sont uqamiens, selon le site du cabinet. Pareil chez Stikeman Elliott, qui ne compte qu'un seul diplômé de l'UQAM parmi les 152 avocats répertoriés dans le site.

Il est vrai que la faculté de droit de l'UQAM est celle qui compte le moins d'étudiants. Seulement une centaine repart chaque année avec le diplôme, trois fois moins qu'à l'Université de Montréal.

Il n'empêche que l'écart demeure considérable entre le nombre de diplômés de l'UQAM embauchés par les grands bureaux et leurs collègues des autres universités. Au bureau montréalais de Stikeman, l'uqamien doit se sentir bien seul en comparaison des 53 avocats de l'Université de Montréal et des 48 de McGill. Et c'est comme ça dans tous les cabinets, de grande et de moyenne taille.

Faut-il conclure que les grands bureaux boudent les diplômés de l'UQAM? La question n'est pas anodine, alors que débute cette semaine la «course aux stages», une période durant laquelle les cabinets tentent de séduire les meilleurs étudiants en droit de deuxième année et que ceux-ci magasinent les cabinets où ils effectueront leur stage.

Pas de discrimination

Tous en choeur, dans les cabinets, les responsables du recrutement des étudiants disent qu'il n'en est rien. Au contraire, ils font autant d'efforts pour séduire les uqamiens que les autres; ils les invitent à visiter le cabinet, participent aux journées carrière, commanditent certains événements de l'association étudiante, etc. À les écouter, on se demande même si ce ne sont pas plutôt les étudiants de l'UQAM qui boudent les grands cabinets!

«On reçoit moins de CV en provenance des étudiants de cette université, il est donc normal que l'on en rencontre moins et qu'en bout de piste on en embauche moins», dit Justin Vineberg. Il explique que son cabinet recherche avant tout des candidats brillants, travaillants et dont la personnalité cadrera bien avec la culture du cabinet. A priori, dit-il, toutes les universités ont des étudiants intéressants à cet égard. «Notre rôle est de les trouver, peu importe leur faculté.»

Stephen Kelly, président du comité de recrutement des étudiants et stagiaires au bureau de Montréal d'Ogilvy Renault, est sensiblement du même avis. Cet associé souligne que son cabinet reçoit bon an, mal an, de 500 à 600 CV, mais seulement une trentaine en provenance d'étudiants de l'UQAM. Voilà pourquoi seulement deux avocats du cabinet sont diplômés de l'UQAM et qu'Ogilvy n'a fait qu'une seule offre à un uqamien en cinq ans... en 2004.

«Ce qu'on cherche, ce sont de très bons étudiants, capables d'entregent et de dialoguer avec les clients, insiste Me Kelly. La provenance universitaire, je m'en balance!»

À l'UQAM, André Riendeau, le directeur du programme de premier cycle de la faculté de droit et de sciences politiques, insiste pour dire que la formation reçue des étudiants les prépare pour tous les domaines du droit, y compris celui des affaires. Pour preuve, dit-il, les uqamiens se débrouillent plutôt bien depuis quelques années aux examens du Barreau. Mais il admet que les intérêts des étudiants de l'UQAM sont probablement plus variés que ceux des autres étudiants des autres universités, ce qui pourrait expliquer pourquoi on les retrouve moins dans les grands bureaux.

«Nos diplômés se dirigent vers la fonction publique, le droit social et international, l'aide juridique, la protection de la jeunesse, etc., dit-il. Pas seulement en droit des affaires.»

Jean-François Hudon, lui, a choisi l'UQAM pour des raisons pratico-pratiques. Parce qu'il travaillait le jour, il recherchait une faculté offrant des horaires d'études flexibles avec cours du soir, si possible, ce que seule l'UQAM permettait. Il ne regrette aucunement sa décision. Il estime même que sa formation l'a probablement mieux préparé à l'École du Barreau et à sa nouvelle carrière en cabinet privé.

«On reçoit une formation axée davantage sur la pratique que dans les autres facultés», dit-il. Il souligne que les nombreux travaux pratiques qu'il a dû effectuer à l'UQAM lui sont sûrement plus profitables que s'il n'avait eu qu'à passer des examens à la fin de la session. «Ça m'aide aujourd'hui à mieux travailler en équipe.»

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