La ville de Shenyang s'intéressait aux avions avant même que Valcourt ne construise des motoneiges, comme en témoigne l'antique avion biplan à l'entrée de l'entreprise.

Les origines de la Shenyang Aerospace Corporation (SAC), fournisseur de Bombardier, remontent à 1930. C'est à ce moment que le célèbre général chinois Zhang Xueliang fait construire une piste d'atterrissage à Shenyang, le coeur de la province du Liaoning, au nord-est de la Chine. L'aventure sera courte. Les Japonais envahissent la Mandchourie un an plus tard. Ils saisissent 260 des 400 avions Fokker garés en bordure de la piste. Il faudra attendre 20 ans pour que la Northeast Aviation Plant renaisse de ses cendres, en 1951.

La guerre civile qui a précédé la création de la République populaire de Chine, en 1949, a dévasté les infrastructures industrielles du pays. Dans le premier plan quinquennal, Shenyang est identifiée comme priorité. Avec l'aide de l'U.R.S.S., la Chine modernise l'entreprise en ruine, rebaptisée Usine d'État 112.

En 1955, SAC produit le premier avion de chasse chinois, le J-5. Il s'agit d'une copie du jet russe MiG-17, dont les Chinois ont obtenu les plans. C'est le début de la longue tradition militaire de SAC, qui se poursuit aujourd'hui.

Une immense grille de métal avec un dispositif électronique contrôle strictement l'accès au campus de l'entreprise, une enfilade de hangars et d'usines anonymes entrecoupés de stationnements pour vélos. Il y a une fonderie, une école, un service de santé, des cafétérias et bien sûr la célèbre piste d'atterrissage. Mais n'allez pas demander ce que Shenyang fabrique exactement, c'est motus, bouche cousue.

La seule chose que les dirigeants de SAC révèlent à une journaliste occidentale, qui serait la première à entrer dans le ventre du dragon, c'est que 15 000 des 16 000 salariés de Shenyang planchent sur des projets militaires.

Les activités civiles sont plus récentes. SAC a commencé à fabriquer des pièces pour Airbus en 1985. Ce constructeur européen reste son principal client, même si SAC travaille comme sous-traitant pour Boeing, Bombardier, Israël Aerospace Industries et Singapore Technologies Aerospace.

Ces clients génèrent des revenus de «plus de 100 millions US», indique Pang Zhen, président des activités commerciales de SAC

Ces activités viennent d'être incorporées en une nouvelle compagnie, appelée AVIC I Commercial Aircraft Company. SAC et une société cotée à la Bourse de Shenzen, Xi'an Aircraft International, contrôlent cette entreprise qui démarre avec un investissement de 70 millions de dollars (500 millions de yuans).

«Si nous avons besoin de capitaux pour financer notre croissance, Xi'an pourra émettre des actions, dit Pang Zhen. Nous aurons plus de facilité à obtenir du financement que du temps où nous étions une entreprise d'État à 100%.»

L'État subventionne néanmoins les infrastructures de la nouvelle entreprise qui s'établira dans la Shenyang Aviation Economic Zone, en construction au sud de la ville. Depuis 2003, en effet, Pékin a fait une priorité de la renaissance du Nord-Est, le «Dongbei».

Il faut voir que Shenyang, comme toute la région, a loupé jusqu'à tout récemment le boom capitaliste de la Chine. Le Dongbei étant le berceau de l'industrialisation chinoise, l'âme de la révolution communiste, c'est ici que la restructuration des grandes entreprises d'État a fait le plus mal.

À Shenyang, l'immense statue de Mao qui domine la place Zhongshan n'est pas qu'un vieux monument que plus personne ne remarque. Plusieurs habitants de la ville, surtout les chômeurs qui jouent aux cartes par petits groupes sur le trottoir, sont nostalgiques de cette époque. Petite anecdote, j'ai même vu une photo du Grand Timonier accrochée au rétroviseur d'un chauffeur de taxi, ce qu'on ne verrait jamais à Shanghai.

Entre le 11e plan quinquennal et la Bourse de Shenzhen - ne cherchez pas la contradiction -, Shenyang devrait pouvoir financer son envolée.