La lune de miel est terminée entre Bell Helicopter Textron et son fournisseur chinois, Hafei Aviation, dont les ambitions préoccupent le constructeur d'hélicoptères civils de Mirabel.

«On a l'impression qu'ils se servent de nous comme d'une école de formation», résume Michel Legault, directeur principal, développement des affaires.

La relation est à ce point tendue que le président de Bell Helicopter Textron Canada, Jacques St-Laurent, d'ordinaire très amène, a refusé d'en discuter avec

La Presse dans le cadre d'une série sur les liens entre les industries aérospatiales du Québec et de la Chine.

Il s'agit d'un revirement complet de situation. Rencontré en septembre 2005 au salon aéronautique China Aviation Expo, Jacques St-Laurent s'enthousiasmait devant les occasions qu'ouvre cette association industrielle en Chine.

Hafei avait profité de cette foire, qui se tient à Pékin à tous les deux ans, pour livrer son premier morceau de fuselage à Bell Helicopter Textron.

En vertu d'un contrat de sous-traitance à long terme conclu en 2004, Hafei assemble le fuselage du Bell 430, un hélicoptère bimoteur de taille intermédiaire qui sert aux entreprises et aux services ambulanciers.

Clairement, Bell Helicopter Textron a déchanté. «On sent que les Chinois veulent être plus que des fournisseurs, dit Michel Legault. On sent qu'ils veulent devenir un OEM (Original Equipment Manufacturer ou constructeur). Ils veulent développer leurs connaissances au point où ils pourront développer des plates-formes complètes d'hélicoptères, pas juste faire des morceaux.»

Les Chinois ne s'en cachent d'ailleurs pas. Au salon aéronautique Asian Aerospace, qui s'est tenu début septembre à Hong-Kong, le directeur général de Hafei Aviation, Qu Jingwen, a expliqué par la voix d'une traductrice que son entreprise vise à produire des appareils - avions comme hélicoptères - avec la collaboration de constructeurs étrangers.

Hafei a d'ailleurs commencé à développer, avec le fabricant européen Eurocopter, un nouvel hélicoptère civil d'un tonnage gardé secret pour des raisons concurrentielles. À la suite d'un premier vol prévu en 2009, l'appareil devrait recevoir sa certification en Chine en 2011 et en France en 2012, précise Cécile Vion-Lanctuit, porte-parole d'Eurocopter.

Ce qui agace en particulier Bell Helicopter Textron, c'est que Hafei Aviation change constamment les équipes de travailleurs qui sont affectées à sa ligne d'assemblage.

«À force de changer le monde, on n'avance pas, dit Michel Legault. On aimerait qu'ils deviennent meilleurs à faire ce qu'ils font déjà.»

Pour améliorer la production, l'entreprise de Mirabel a dépêché «un paquet de Canadiens» à l'usine de Hafei, qui se trouve à Harbin, la capitale de la province du Heilongjiang, au nord-est du pays.

Ainsi, une vingtaine d'expatriés travaille chez Hafei, alors qu'ils n'étaient que neuf il y a deux ans.

«Cela arrive quand un fournisseur connaît des difficultés», note Michel Legault.

Hafei Aviation n'est pourtant pas inexpérimentée. L'entreprise qui fait partie du conglomérat étatique AVIC II assemble déjà pour Eurocopter le EC 120, un hélicoptère de cinq places.

Hafei a aussi créé une coentreprise avec l'avionneur brésilien Embraer pour construire des jets régionaux de 50 sièges.

Bell Helicopter Textron peine à régler ses différends avec Hafei, une difficulté que Michel Legault attribue seulement en partie aux différences culturelles.

«On leur parle, on leur parle. On hausse le ton. On met des ultimatums. Et ce n'est pas bien reçu. C'est là qu'on réalise qu'ils n'ont pas les mêmes objectifs que nous.»

Bell Helicopter Textron n'avait pas octroyé un contrat à Hafei pour abaisser ses coûts de production grâce à une main-d'oeuvre bon marché. Elle recherchait surtout un partenariat industriel qui lui donnerait un meilleur accès au marché chinois.

Or, ce marché, qui recèle un potentiel énorme avec les nouveaux riches chinois, reste encore largement fermé aux hélicoptéristes civils.

Les autorités militaires contrôlent strictement l'accès à l'espace aérien en basse altitude, réservé aux petits avions, ce qui rend peu alléchant l'achat d'un hélicoptère. Qui plus est, la Chine a un manque criant de pilotes d'hélicoptères.

Il n'y a guère que quelques services policiers, agences de secouristes et sociétés de forage pétrolier pour acheter des hélicoptères civils.

«Eurocopter n'a vendu qu'une seule machine à un privé, et celui-ci n'a pas l'assurance de voler quand il veut», note Cécile Vion-Lanctuit.

Bref, c'est un marché immense pour qui saura patienter.

Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse de la Fondation Asie-Pacifique du Canada.

Mon meilleur ennemiPour vendre des aéronefs en Chine, des entreprises d'ici s'allient à des fabricants chinois. Entre amitié et rivalité, entre collaboration et concurence, la frontière est mince.