Des chercheurs du CHUM lancent une étude sur l’utilisation du microbiote fécal pour augmenter l’efficacité de l’immunothérapie anti-cancer. Le traitement du mélanome pourrait être amélioré de 20 %.

Quelle est l’étude annoncée mercredi ?

« On lance une étude randomisée sur presque 130 patients atteints de mélanome avancé à travers le Canada », répond Arielle Elkrief, oncologue au Centre de recherche du CHUM.

Les patients recevront sous forme de pilule du microbiote fécal, des bactéries contenues dans les selles, de donneurs en santé. Des résultats préliminaires montrent que le microbiote fécal améliore de 20 % l’efficacité de l’immunothérapie anti-cancer chez ces patients.

L’immunothérapie oncologique stimule certaines composantes du système immunitaire humain pour lui permettre de mieux lutter contre le cancer.

Est-il sûr d’ingérer le microbiote fécal d’une autre personne ?

Les échantillons seront testés pour une variété de pathogènes, dont celui qui donne la COVID-19, indique la Dre Elkrief.

Les pilules de microbiote fécal seront fabriquées à l’Université Western, en Ontario, qui fera aussi les tests de pathogènes.

On appelle aussi cette stratégie « greffe fécale », même si le patient ingère la pilule. Le microbiote fécal du donneur colonise le tube digestif du patient.

PHOTO FOURNIE PAR LE CHUM

La Dre Arielle Elkrief et le Dr Bertrand Routy, oncologues au Centre de recherche du CHUM

Comment le microbiote fécal peut-il agir contrer le cancer ?

On ne sait pas exactement. « C’est l’une des questions auxquelles on veut répondre avec cette étude », dit Bertrand Routy, aussi du CHUM. Mais le microbiote a un rôle important dans le système immunitaire, qui est la première ligne de défense contre le cancer.

En 2023 dans la revue Nature Medicine, les deux chercheurs ont montré que chez 20 patients, la greffe fécale augmentait de 20 % l’efficacité de l’immunothérapie pour les mélanomes de stade avancé. Et il y a un mois, à une conférence de l’Association américaine pour la recherche sur le cancer (AACR), ils ont confirmé ces résultats « extraordinaires » chez 20 autres patients atteints du mélanome et 20 patients ayant un cancer du poumon.

Y a-t-il eu d’autres études sur l’utilisation oncologique du microbiote fécal ?

Le CHUM est le centre le plus important au monde pour les recherches oncologiques sur le microbiote fécal, selon le DRouty.

« Il y a quelques petites études sur le microbiote fécal en radiothérapie oncologique, notamment pour les diarrhées post-radiothérapie. Il y a aussi des études sur l’utilisation du microbiote fécal pour les greffes allogéniques [greffes de cellules saines, notamment pour la leucémie]. Mais le domaine le plus hot est l’immunothérapie. Il y a trois études similaires en cours en France et aux États-Unis, mais la nôtre est la plus importante. »

Quand l’étude sera-t-elle terminée ?

Le recrutement se fera sur trois ans et les premiers résultats seront connus après ce délai. Les patients seront suivis pendant deux ans après leur traitement d’immunothérapie avec microbiote fécal.

L’étude en cours est notamment financée par la Société canadienne du cancer et la Fondation de la famille Weston.

PHOTO FOURNIE PAR L'INSTITUT DE RECHERCHE EN SANTÉ LAWSON

Prélèvement à la pipette d'une bouillie de selles centrifugées

Pourquoi faire cette étude avec le mélanome plutôt qu’avec le cancer du poumon, vu que les résultats sont aussi bons pour ces deux cancers ?

L’immunothérapie est beaucoup plus utilisée pour le mélanome, explique le DRouty. Mais des pourparlers sont en cours pour un essai clinique similaire pour le cancer du poumon.

« L’immunothérapie a d’abord été approuvée pour le mélanome, puis après pour le cancer du poumon, dit le DRouty. Il y a des groupes aux États-Unis qui l’utilisent pour les cancers du rein ainsi que de la tête et du cou.»

Quels autres aspects du microbiote fécal doit-on encore élucider ?

L’étude qui vient d’être lancée permettra de déterminer s’il faut apparier les donneurs et les patients. « Pour le moment, on ne comprend pas très bien l’importance de la compatibilité donneur-patient. Dans notre premier article, les résultats étaient meilleurs quand le microbiote du patient devenait comme celui du donneur. Nous voulons identifier quelles bactéries sont importantes dans ce changement. »

Il n’est pas sûr que la compatibilité soit importante. Peut-être qu’un jour, on rassemblera les microbiotes fécaux des donneurs, comme on le fait pour le sang. « On pense qu’il faut une compatibilité, mais ça reste à démontrer. »

Une autre avancée serait de déterminer quel type de microbiote est nécessaire pour un bon succès de l’immunothérapie oncologique. « Peut-être qu’à l’avenir, pour les nouveaux diagnostics de cancer, on ne fera pas seulement une biopsie et un PET scan [tomographie par émission de positrons], mais aussi un séquençage du microbiote du patient », dit la Dre Elkrief.

En savoir plus
  • 89 %
    Taux de survie à cinq ans du mélanome au Canada
    Source : Société canadienne du cancer
    50 %
    Taux de survie à cinq ans du mélanome de stade 4 (avancé) au Canada
    Source : Société canadienne du cancer