(Denver, Colorado) Des universités américaines évitent désormais d’embaucher des employés qui ont déjà été sanctionnés pour des infractions de nature sexuelle dans d’autres établissements scolaires. Comment ? Simplement en permettant d’avoir accès à une partie du dossier disciplinaire du candidat. Explications.

« On assiste à la généralisation des mesures visant à contrer les “transferts de harceleurs” [pass the harasser] », explique Quinn Williams, qui dirige les affaires juridiques au réseau universitaire du Wisconsin, l’un des pionniers dans le domaine. « L’objectif est qu’un employé ayant déjà eu des sanctions disciplinaires pour une infraction sexuelle ne puisse pas être engagé par un autre établissement postsecondaire sans que cette infraction soit connue. Le processus couvre aussi les enquêtes qui ne sont pas encore terminées. »

Me Williams a présenté son système anti-transfert de harceleurs à la dernière réunion annuelle de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), à la mi-février au Colorado.

D’ailleurs, des réunions annuelles récentes de l’AAAS avaient déjà exposé des problèmes dans les départements d’anthropologie, d’archéologie, de géologie, de biologie, de physique et de mathématique. Par exemple, les quatre premières disciplines comportent souvent du travail de terrain où les étudiants et les professeurs restent dans des tentes pendant plusieurs jours, voire des semaines. Il s’agit de situations propices à des propositions inconvenantes, dans un contexte où l’étudiante (les harceleurs sont souvent des hommes) n’a pas son réseau de soutien habituel.

Dans le cas de la physique et de la mathématique, où moins de 20 % des professeurs sont des femmes, une tradition de brillance intellectuelle est souvent utilisée pour cacher des attitudes sexistes favorisant la « violence basée sur le genre », ont expliqué des experts dans une conférence de la réunion annuelle de l’AAAS à Seattle en 2020.

Toutes ces discussions ont mené à des programmes comme celui du Wisconsin, notamment dans le prestigieux réseau des universités de Californie.

Pour limiter les accrocs à la protection de la vie privée, les informations sur les sanctions disciplinaires pour inconduites sexuelles sont rassemblées dans un bureau distinct de celui qui collige les autres éléments d’un dossier disciplinaire. C’est ce bureau auquel doit s’adresser une université qui veut savoir si un professeur qu’elle s’apprête à embaucher a déjà été sanctionné pour inconduite sexuelle.

Et pourquoi inclure les enquêtes qui ne sont pas terminées ? « Parce qu’il arrive souvent qu’un professeur visé par une allégation de nature sexuelle quitte l’université plutôt que de subir cette enquête », répond Me Williams en entrevue avec La Presse.

Enquêtes négatives

Est-ce que les enquêtes qui se sont révélées négatives font partie des informations divulguées ? « Non », répond Me Williams. Même s’il y a plusieurs enquêtes négatives ? « Oui. Si un professeur est innocenté plusieurs fois, il est innocent sur le plan disciplinaire. »

Les informations divulguées par ce bureau spécialisé se limitent aux cas d’inconduite sexuelle, y compris le harcèlement. Elles n’incluent pas des accusations d’insensibilité, par exemple tenir des propos sexistes devant toute une classe ou mégenrer des étudiants ou collègues trans.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Finn Makela, spécialiste du droit du travail et du droit de l’éducation supérieure à l’Université de Sherbrooke

Pas au Québec

Un tel mécanisme ne serait pas possible au Québec, selon Finn Makela, spécialiste du droit du travail et du droit de l’éducation supérieure à l’Université de Sherbrooke.

« On a eu le débat sur cette question avec le projet de loi 42, qui devrait être adopté sous peu, dit Me Makela. On a éliminé l’effacement des dossiers disciplinaires en matière sexuelle, mais on n’a pas permis le dévoilement des dossiers disciplinaires sans l’accord d’un candidat à une embauche. La possibilité d’accéder à un dossier disciplinaire sans l’accord du candidat était une demande de l’organisme Juripop. »

La protection de la vie privée explique cette réticence à autoriser un accès aux dossiers disciplinaires, dit Me Makela. « On a récemment vu des entreprises demander les mots de passe Facebook de candidats pour vérifier qu’ils n’ont rien publié par le passé qui soit préjudiciable. Ce n’est pas acceptable. C’est le même principe qui vaut pour les dossiers disciplinaires. Il est aussi possible que si une personne sait que son dossier disciplinaire sera accessible, elle aura un incitatif supplémentaire à contester une allégation d’inconduite sexuelle. »

Les universités québécoises pourraient-elles convenir de demander systématiquement à des candidats à l’embauche la permission d’accéder à leur dossier disciplinaire d’autres établissements ? « Non, dit Me Makela. Il y a un principe en droit qui veut qu’on ne peut pas faire indirectement ce qui n’est pas permis directement. »

En savoir plus
  • 37 %
    Proportion des étudiants universitaires ayant rapporté avoir subi de la victimisation sexuelle, parmi les gens ayant participé à l’étude ESSIMU en 2019
    Source : Institut national de santé publique du Québec