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Est-ce que l’utilisation du nucléaire est envisagée pour des sondes spatiales plus durables ?

Bertrand Roy

Oui. Il devrait y avoir des vols en orbite terrestre dans les prochaines années et des applications opérationnelles dans la prochaine décennie.

« La propulsion nucléaire est la seule qui permettra la flexibilité nécessaire aux prochaines missions orbitales terrestres et lunaires », explique Scott Rauen, l’ingénieur nucléaire qui dirige le programme DRACO chez Lockheed Martin, une entreprise d’aéronautique. « Pour une mission martienne, on pourrait réduire le transit de six à neuf mois à trois ou quatre mois. Et une mission martienne pourrait faire demi-tour en cours de route en cas d’urgence. »

DRACO (fusée de démonstration pour des opérations cislunaires agiles) est un partenariat entre Darpa, l’agence de développement technologique militaire des États-Unis, et la NASA. Le vol est prévu pour le début de 2027.

M. Rauen travaillait jusqu’en 2014 pour la marine américaine, sur les porte-avions et les sous-marins à propulsion nucléaire. La société qui fabrique les réacteurs pour la marine, BWXT, est celle qui construira le réacteur de DRACO et des autres projets spatiaux nucléaires de Lockheed.

Les sondes qui explorent les confins du système solaire, comme Cassini (lancée en 1997 vers Saturne) et New Horizons (lancée en 2006 vers Pluton), sont équipées de piles nucléaires qui produisent de l’électricité grâce à leur chaleur, mais qui ne fournissent pas de propulsion.

Pour les sondes actuelles, on parle d’une puissance de quelques dizaines de watts, pour un maximum de 200 watts. Avec la propulsion nucléaire, on arrive à plusieurs kilowatts, peut-être 1 mégawatt.

Scott Rauen, ingénieur nucléaire

Les deux obstacles à la propulsion nucléaire spatiale sont le maintien du financement et les craintes du public.

Cosmos 954

En 1978, le satellite militaire soviétique Cosmos 954 s’est écrasé dans le nord du Canada. Il était mû par un réacteur nucléaire et des milliers de kilomètres carrés ont été irradiés.

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

En 1978, un satellite nucléaire soviétique s’était écrasé dans le nord du Canada, nécessitant une recherche des débris radioactifs.

« Ç’a été un cauchemar pour la propulsion nucléaire spatiale, dit M. Rauen. On avait fait beaucoup de recherches sur le sujet dans les années 1960 et 1970. Ça avançait bien. »

L’opprobre qui a suivi a confiné le nucléaire aux piles comme celles de Cassini et de New Horizons. « Ce sont des matériaux nucléaires complètement inertes avant qu’on les active en orbite, dit M. Rauen. Même si la sonde s’écrase sur Terre peu après le lancement, comme pour Cosmos 954, il n’y a aucun risque de contamination. »

Le réacteur de Cosmos 954 était alimenté par de l’uranium enrichi, de type militaire, ce qui était beaucoup plus dangereux, selon M. Rauen.

L’inquiétude concernant la propulsion nucléaire spatiale est aggravée par les projets d’armes nucléaires en orbite, comme cela a été récemment évoqué pour la Russie.

Un autre projet est un réacteur nucléaire pour une base lunaire. « D’autres pays ont annoncé que leur base lunaire serait alimentée de cette façon, dit M. Rauen. Je pense qu’on va y arriver dans les années 2030. »

Pour une sonde allant aux confins du système solaire, une propulsion nucléaire permettrait d’y aller plus directement, sans les accélérations par gravité avec différentes planètes (gravity assist maneuver), et des instruments plus énergivores. « Imaginez aller vers l’une des lunes glacées comme Europe avec un radar pénétrateur de surface », dit M. Rauen.

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  • 499 millions US
    Budget de DRACO
    Source : NASA